Extraits

— En fait, j’allais… Oh, attends. Tu es sur le point d’en avoir une, n’est-ce pas ? Une vision.

— Non.

Lee se frotta le front, où le fracas de la pluie avait fusionné avec la pulsation rythmique des profondeurs de son cerveau.

— Peut-être. Oui, je crois.

— Merde ! Qu’est-ce que je fais ?

Lee étrangla un petit rire. Chaque fois que Gid ou lui se disait que Zeke n’était décidément qu’une grenouille de bénitier, il disait ou faisait quelque chose qui dévoilait la tendresse de son âme tout humaine.

Gideon traversa le gazon plein de mousse. Il plaisantait, au sujet du seuil : Lee et lui l’avaient déjà franchi en se portant l’un l’autre de tant de façons différentes, que l’acte physique aurait été inutile, ou alors la cerise sur un gâteau déjà délicieux. Cela aurait été une blague, un rappel aux traditions dont ils s’étaient libérés et qu’ils pouvaient désormais honorer à leur manière, tout comme l’idée du mariage qui avait commencé sur un ton léger, une excuse pour faire la fête et blanchir un peu plus les cheveux d’Ezekiel. 

— Tu ne me crois pas.

Gideon se redressa un peu. La douleur dans la voix de Lee le poignarda lui aussi.

— Ce n’est pas ce que j’ai dit.

— Quoi d’autre, alors ? Je n’ai pas de preuves, Gid. Je n’en ai jamais. Tu es le seul homme qui m’a toujours simplement cru, même à notre première rencontre, lorsque tu me prenais pour un charlatan.

— Je te crois. Je te crois persuadé que…

— Oh mon Dieu, non !

Lee s’éjecta du canapé, agrippé à la couverture. Il l’enroula autour de ses épaules comme un empereur romain inconsolable contemplant une ville en flammes.

— Ne commence pas avec le « je crois que tu crois » ! On est à deux doigts de la condescendance et tu n’as encore jamais…

— Écoute-moi. Tu es l’homme le plus talentueux, merveilleux, que j’aie jamais rencontré. Parfois, tu fais des choses qui me donnent la chair de poule. Mais il arrive que tu te trompes. Tu te laisses déstabiliser, surtout par le stress. Et tu l’as dit toi-même : parfois, tu vois les choses à l’envers, comme ce cheval de course.

— Oui, mais…

— Chut. Ce sera la seule fois où je te dirai d’oublier ton instinct et tes visions, et de croire en ma réalité.

Le regard de Lee se concentra sur lui. Ses yeux étaient toujours obscurcis par le doute, mais de l’espoir s’y éveillait.