Un bonheur si fragile, Tome 3 : Les Épreuves

Chapitre 1

Casseau

Corinne ouvrit les yeux dans le noir et attendit un long moment avant de repousser ses couvertures et de s'asseoir dans son lit. À l'extérieur, le vent mugissait et faisait trembler les vitres des fenêtres comme s'il avait décidé, en ce petit matin de février 1918, de pénétrer de force dans la petite maison grise du rang Saint-Joseph.

La jeune femme de trente-cinq ans saisit son châle déposé au pied de son lit, glissa ses pieds dans ses vieilles pantoufles et se leva avant d'allumer la lampe à huile posée sur sa table de chevet. Elle sortit de sa chambre en grelottant et se dirigea vers le gros poêle à bois de la cuisine d'hiver. Elle souleva un rond, il ne restait que quelques tisons qu'elle s'empressa de ranimer en jetant dessus deux rondins.

— Seigneur ! Est-ce que cet hiver-là va finir un jour ? dit à mi-voix la petite femme blonde en serrant encore plus étroitement contre elle les pans de son gros châle de laine. Une tempête attend pas l'autre.

Elle alla remplir la théière à la pompe installée sur le comptoir et la déposa sur le poêle avant de se diriger vers le pied de l'escalier qui conduisait aux chambres.

— Debout, les enfants ! cria-t-elle. Grouillez-vous ! Le train se fera pas tout seul.

À l'étage, il y eut des bruits et aussi des plaintes. La mère de famille, rassurée de constater que les siens étaient réveillés, s'engouffra dans sa chambre pour s'habiller et se coiffer. Quand elle revint dans la cuisine quelques minutes plus tard, une adolescente l'avait précédée et avait commencé à dresser la table pour le déjeuner.

— Est-ce que tout le monde est debout ? lui demanda Corinne en chaussant ses bottes.

— Il y avait juste Philippe qui traînait de la patte, m'man, mais je suis allée le secouer avant de descendre, répondit Madeleine.

La jeune fille de quinze ans ressemblait étonnamment à sa mère avec ses yeux bleus myosotis, sa petite taille, ses traits fins et son air volontaire. Son épaisse chevelure brune semblait être tout ce dont elle avait hérité de son père.

Au même moment, une cavalcade se produisit dans l'escalier. Norbert, suivi d'Élise et de Lionel le dévalaient, précédant de peu un rugissement en provenance de l'une des quatre chambres à l'étage.

— Qu'est-ce que t'as encore fait à ton frère, mon saudit haïssable? demanda Corinne en s'adressant à l'adolescent de treize ans au visage rond couvert de taches de rousseur.

— Il a lancé de l'eau à Philippe avant de descendre, le dénonça Lionel, le cadet de la famille qui venait d'avoir six ans.

— T'as pas fait ça? lui demanda sa mère.

— Oui, c'est ce qu'il a fait, confirma Élise, qui, à onze ans, était presque aussi grande que son frère Norbert.

— Toi, si t'as mouillé son lit, tu vas le changer avant de partir pour l'école. Tu m'entends ? fit Corinne, fâchée.

Elle aurait bien ajouté quelque chose, mais l'escalier fut soudainement ébranlé par un Philippe furieux et mal réveillé.

— Toi, mon...

— Fais bien attention à ce que tu vas dire, toi ! le mit en garde sa mère, en se plantant devant lui au moment où l'adolescent de seize ans cherchait à rejoindre son jeune frère pour lui allonger une taloche.

— Il m'a vidé une cruche d'eau sur la tête, expliqua l'aîné de la famille Boisvert en essayant de contourner sa mère qu'il dépassait d'une bonne tête.

L'adolescent mesurait presque six pieds et possédait la carrure et le caractère emporté de son père.