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Au lycée, timide et peu sûr de moi, je compensais ce manque d’amour-propre par des bons mots ou en faisant le clown en cours. Le langage était mon bouclier et mon épée.
C’était dans mes rapports avec le sexe opposé que la timidité me desservait le plus. Si j’invitais une fille à sortir et qu’elle m’éconduisait, je ne lui posais plus jamais la question. Son excuse pouvait être sincère : peut-être était-il vrai que sa mère était hospitalisée, que son père s’était brisé les deux jambes et que sa sœur adorée était coincée au XXIIIe siècle après avoir participé à une expérience secrète de voyage dans le temps organisée par le gouvernement. En réalité, je me disais que, en me regardant, la fille voyait l’image de mon père. Dès lors, il lui semblait plus sage de mettre le feu à ses cheveux que d’accepter mon invitation à aller danser puis à boire un milk-shake au Dairy Queen.
Et puis, en dernière année de lycée, arriva Gerda Cerra. J’avais déjà été attiré par des filles, charmé par elles, fasciné même, mais aucune ne m’avait jamais ensorcelé. Je n’avais jamais été amoureux. En fait, je pensais qu’il était impossible de tomber amoureux si l’on était né après 1890. Menue, gracieuse, jolie, Gerda avait une voix douce qui donnait à chacun de ses mots une tonalité intime et romantique. Lorsqu’elle me dit : « Tu as quelque chose qui pend au bout du nez », mon cœur s’envola. Et, surtout, son assurance me semblait surnaturelle.
Le fait que je la courtise, timide comme j’étais, de la terminale à la demande en mariage, prouve l’attrait puissant qu’elle exerçait sur moi, d’autant plus qu’elle m’avait éconduit quatre fois.
La première fois, lorsque je lui proposai de l’emmener au cinéma, elle prétexta travailler ce soir-là au pressing. Avant, si une fille plâtrée des pieds à la tête plaidait l’immobilité comme excuse pour décliner une invitation à sortir, j’en concluais qu’elle me trouvait repoussant et, par conséquent, je lâchais l’affaire. Mais, une semaine plus tard, je retentai ma chance avec Gerda.
Cette fois, elle m’informa que le soir en question elle travaillait au cinéma, derrière le bar. Il me semblait pourtant qu’elle avait un boulot au pressing. Soit elle n’allait pas vraiment « travailler » au cinéma, soit elle ne se rappelait pas son précédent mensonge.
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