Extrait

Prologue

Ma sœur s’est cassé la jambe.

Bien évidemment, vous allez me dire que cela arrive à beaucoup de monde et vous auriez raison, mais dans mon cas, cela m’oblige à traverser la France et faire des milliers de kilomètres pour me rendre à son chevet. Si cette idiote d’aventurière dans l’âme n’avait pas eu l’idée saugrenue de monter sa foutue agence de mannequins en Espagne et ainsi de s’isoler de la famille, je n’aurais pas eu besoin de quitter la capitale française que j’aimais tant pour voler à son secours. Le triplex qu’elle occupait devenait impraticable pour elle et son immobilité forcée la contraignait aussi à devoir céder pour quelque temps la direction de son entreprise, et sur qui retombait cette responsabilité ? Eh bien oui, sur sa sœur cadette, la brave et dévouée Iris.

En l’occurrence, moi.

Oui, je sais, mon nom est également celui d’une fleur. Allez dire ça à mes parents, gérants d’une boutique… de fleurs dans le treizième arrondissement. Paraît-il que j’étais fraîche et délicate comme une rose étant bébé. Ma mère voulait d’ailleurs m’appeler Rose, mais mon père a trouvé que cela était trop banal, et lui a suggéré « Iris ». Elle a sauté de joie et adopté immédiatement ce prénom, d’après ce qu’ils m’ont raconté. Du coup, cela s’est conclu par « Iris Rose Dubreuil ». Je ne me plains pas, ç’aurait pu être pire. Imaginez Pivoine, Muguet ou Chrysanthème Dubreuil… Nous sommes d’accord, c’est beaucoup moins gracieux. Cependant, si à dix ans, ou même à quinze mon prénom peut être plaisant, à vingt-sept ans, il peut taper sur le système. Bref, je ne vais pas m’éterniser sur quelque chose que je ne peux pas changer.

Je viens d’atterrir à l’aéroport de Gérone et le soleil cogne déjà fort. La chaleur me saisit au visage, mais une légère brise agréable soulève dans mon dos mes cheveux bruns trop fins. Je récupère ma valise sur le tapis roulant et me dirige vers la sortie. Je dois prendre un taxi, puisque ma chère sœur ne peut pas se déplacer, et je ne parle que très peu l’espagnol. Je compte sur le langage des signes pour m’aider à me faire comprendre. En principe, il est universel. Du moins, je l’espère, sinon je suis sacrément dans la mouise !

Je m’engouffre dans la première voiture stationnée devant l’aéroport et observe le chauffeur, ou plutôt la conductrice, qui me gratifie d’un petit sourire, en attendant ma requête. Les cheveux très noirs et le teint mat, il ne fait aucun doute qu’elle est originaire du coin. Ses lèvres rose foncé se tordent dans tous les sens à cause du chewing-gum qu’elle mâchouille avec ostentation.

Il est temps de balancer tes pauvres notions d’espagnol ma grande.

— Hola señora… Me gusta… me gusto… ânonné-je en triturant l’adresse de l’appartement de ma sœur entre les doigts.

La conductrice m’observe, un sourcil levé, sans faire le moindre effort pour me dépatouiller de là. Vaincue, je lui tends le papier chiffonné avec détermination.

— Por favor, dis-je avec un accent pitoyable.

Elle me sort une longue tirade incompréhensible qu’il me serait impossible de relater et démarre en trombe. Je regarde les paysages défiler à travers la vitre baissée et hume l’air marin. Malgré mon niveau catastrophique en espagnol, j’ai hâte de retrouver ma sœur.

L’aventure commence…

Source : kobo.com