Extrait

Le juge leva la tête. Il regarda longuement ce jeune Algérien aux yeux très noirs, petit, chétif, qui ressemblait à beaucoup d'autres. D'un geste du menton, il lui commanda de s'asseoir sur une chaise placée juste devant son bureau. Ali n'osa s'installer si près du juge, il recula un peu la chaise, pas trop pour ne pas s'attirer d'observation, il s'assit les genoux et les pieds joints, les bras croisés. Les gardes se mirent à distance sur des chaises collées au mur, leur devoir était de se faire oublier.

- Vous vous appelez Caillou Ali... Caillou Ali-François. Vous êtes de nationalité française. Vous êtes né...à Rennes... à Rennes ?

Le juge s'interrompit, regardant le prévenu :

- A Rennes, de Caillou Loïc Yvon, et de Bedjalli Layla, son épouse. Vous avez...dix-neuf ans - non dix-huit ans. Vous êtes domicilié... enfin vous étiez domicilié à Paris, dans le 3e arrondissement.

(...)

- Pouvez-vous me dire pourquoi vous avez emporté une bouteille de bière (à une manifestation pacifiste), une bouteille vide ? Vous ne trouvez pas, monsieur Caillou, que c'est une étrange idée ? Pourquoi l'avez-vous cachée dans votre blouson, cette bouteille vide ? Pourquoi ? Vous vous promenez souvent avec une bouteille vide dans le blouson ? Bien sûr vous n'êtes pas obligé de me répondre, vous êtes libre de vous taire...

Ali savait qu'il ne devait pas se taire, il savait que derrière cette histoire de bouteille il y avait toute son affaire, il cherchait la meilleure réponse, il hésitait, le juge commenta :

- Vous préférez ne pas répondre.

- Monsieur le juge, je n'avais pas de bouteille sur moi, je n'avais rien emporté, je suis innocent...

A nouveau le juge laissa s'installer le silence. Il prit et parcourut deux ou trois procès-verbaux, il en reprit d'autres. Tandis qu'il lisait, il grommelait :

- Vous êtes innocent, vous êtes innocent...

Puis il se mit à discourir sans lever les yeux, de plus en plus fort :

- Vous avez frappé le gardien de la paix au visage... une fois... deux fois... pas vous, je sais, un autre... d'autres frappaient avec vous... autour de vous... vous frappiez tous... vous avez tailladé le visage du brigadier Dubosc... vous avez continué de frapper quand le sang a coulé... vos camarades aussi avaient apporté leurs bouteilles... ils frappaient tous... il fallu vous maîtriser... vous étiez comme fou... je sais, ce n'était pas vous, c'était un autre qui vous ressemblait comme un frère...

- Je suis innocent, répéta Ali, très bas, pour ne pas froisser le juge.