Un désir scandaleux

** Extrait offert par Dani Collins **

1.

Angélique Sauveterre décrocha son téléphone et écouta Marcel, un de ses gardes du corps, lui annoncer l’arrivée de Kasim ibn Nour, prince héritier du Zhamair.

— Faites-le entrer dans mon bureau, répondit-elle, avant de lâcher un soupir.

Épuisée après avoir consacré sa journée à superviser les essayages de la robe de mariée de la sœur du prince, la princesse Hasna, et lui présenter toutes les tenues prévues pour son voyage de noces, elle espérait que cet entretien ne s’éterniserait pas — elle ne comprenait d’ailleurs pas pourquoi il avait demandé à la voir.

De nature très réservée, presque introvertie, Angélique étonnait toujours ses interlocuteurs lorsqu’elle avouait sa timidité. Des années de travail sur elle-même lui avaient permis de la surmonter, mais, toujours stressée à l’idée d’affronter une salle pleine de monde, elle attendait avec impatience que sa sœur, Trella, soit prête à représenter leur société de stylisme, la Maison des Jumelles, et à recevoir les clients à sa place. Une fois bien sûr qu’elle se sentirait enfin capable de gérer ses sorties publiques. Au cours des derniers mois, elle avait réalisé d’énormes progrès, et venait même de décider, à la grande joie de tous, d’assister au mariage d’Hasna et de Saliq.

Angélique se leva pour vérifier sa tenue dans la psyché dressée dans un angle de la pièce. Son large pantalon de soie noire tombait parfaitement sur ses hanches ; sa courte veste brodée ouverte laissait entrevoir un bustier blanc qui éclairait son visage. Son léger maquillage n’avait pas besoin d’être retouché, aussi se contenta-t-elle de remettre un peu de rouge à lèvres, puis elle retira les épingles de son chignon pour le refaire.

À cet instant, Maurice, son garde du corps, frappa trois coups discrets à la porte. N’ayant plus le temps de se recoiffer, Angélique passa rapidement les doigts dans ses longs cheveux châtains afin de leur redonner du volume. Elle alla ouvrir.

* * *

Stupéfaite par la beauté de l’homme qui se tenait dans l’embrasure de la porte, Angélique se figea. Il était grand, avec des yeux d’un brun très foncé, des cheveux noirs coupés court, un nez aquilin, des traits finement ciselés et une bouche charnue très sensuelle. Il portait un élégant costume, visiblement fait sur mesure, qui laissait deviner un corps musclé et une carrure athlétique.

Reprends-toi ! se dit-elle.

— Soyez le bienvenu, Altesse. Angélique Sauveterre. Je suis ravie de faire votre connaissance.

Prenant la main qu’il lui tendait, elle frissonna au contact de sa paume douce et chaude ; à son expression amusée, elle comprit qu’il l’avait remarqué.

— Bonjour.

Encore plus décontenancée par sa décontraction, elle s’éclaircit la gorge avant de s’adresser à son gorille :

— Merci, Maurice. Je vous appellerai si j’ai besoin de vous.

Angélique prenait toujours de grandes précautions lorsqu’elle se retrouvait seule avec un inconnu. Malgré le dispositif d’alerte qu’elle portait en permanence autour du cou, incrusté ce jour-là dans un pendentif, elle sentit une étrange panique la gagner, comme si cet homme représentait un danger.

— Asseyez-vous, je vous prie, lui dit-elle en indiquant un large fauteuil de cuir fauve.

Cette vaste pièce meublée avec goût était un endroit qu’elle affectionnait et partageait en temps normal avec sa sœur. Ce jour-là cependant, Trella était absente, partie se reposer dans la propriété familiale située en Andalousie.

— Désirez-vous une tasse de café ? demanda Angélique.

— Non merci. Je suis pressé.

Alors qu’elle s’efforçait toujours de mettre une distance avec les visiteurs, elle dut s’avouer déçue par ce refus. Puisqu’il ne semblait pas vouloir s’asseoir, elle se résolut à demander, d’une voix qu’elle voulait assurée :

— Que puis-je faire pour vous, Altesse ?

— M’envoyer la facture du trousseau de ma sœur.

Il déposa une carte de visite sur le bureau. Angélique tourna la tête pour admirer ses mouvements posés, son corps puissant et viril ; puis, voyant qu’il avait à nouveau surpris son regard, elle fit passer une mèche de cheveux derrière son oreille afin de dissimuler son embarras.

— Sa Majesté votre père m’a déjà fait la même offre, et je lui ai répondu qu’il s’agissait de notre cadeau de mariage pour Saliq et la princesse.

Kasim tiqua. La familiarité avec laquelle cette jeune femme prononçait le prénom de son futur beau-frère lui déplaisait fortement.

— Je sais, Hasna m’en a parlé, rétorqua-t-il sèchement. Mais il n’en est pas question. Je tiens à régler moi-même cette facture.

Face au regard inflexible de son visiteur, le pouls d’Angélique s’emballa. Elle s’exhorta au calme.

— Saliq est un ami, et nous souhaitons faire ce geste pour lui.

— Nous ? demanda le prince en haussant les sourcils.

— Notre famille.

Angélique n’en dit pas plus : cet homme n’avait pas à connaître les raisons pour lesquelles les Sauveterre étaient si reconnaissants envers Saliq. Ce dernier n’avait en effet jamais revendiqué l’héroïsme dont il avait fait preuve pour sauver sa jumelle, Trella.

— Si c’est là tout ce que vous désiriez, ajouta-t-elle, décidée à abréger l’entretien, je vous prie de bien vouloir m’excuser. Je dois encore vérifier certaines tenues.

* * *

Kasim fixa Angélique Sauveterre un moment en silence. La jeune femme possédait un charme et une beauté incontestables. Grande, mince, dotée d’une élégance naturelle, elle aurait pu être mannequin avec ses longs cheveux châtains, dont les boucles souples recouvraient ses épaules, et ses yeux verts qui ressortaient sur sa peau légèrement mate — qu’elle devait tenir de sa mère espagnole, songea-t-il.

Quand elle l’avait accueilli avec un large sourire, il l’avait trouvée si fascinante qu’il en avait oublié un instant le motif de sa visite.

— À propos des préparatifs du mariage, tout s’est bien passé aujourd’hui ? demanda-t-il.

Le matin même, sa sœur lui avait expliqué qu’elle partait avec les femmes de sa suite faire un des derniers essayages de leurs robes, avant d’assister à une présentation privée des tenues prévues pour son voyage de noces. Une fois les vêtements terminés, ils seraient expédiés au Zhamair, où la cérémonie devait avoir lieu le mois suivant.

— Parfaitement, répondit Angélique, hautaine.

Kasim avait eu vent du professionnalisme de la jeune styliste, ainsi que de l’accueil chaleureux qu’elle avait prodigué à Hasna.

— Ma sœur semble en effet satisfaite, admit-il, et je serais donc navré de devoir faire refaire à la dernière minute tout ce que vous lui avez promis.

— Tout ce que nous avons déjà fait pour elle, le corrigea aussitôt Angélique d’un ton sec. Et pourquoi devrait-elle renoncer à notre cadeau ?

— Ne faites pas l’innocente, je sais qui vous êtes.

— Pardon ?

— Il semblerait que vous connaissiez très bien le futur mari de ma sœur.

Oh ! Mon Dieu, pensa-t-elle. Il ne s’imagine tout de même pas que je suis la maîtresse de Saliq ?

Les journaux à sensation s’obstinaient en effet à lui prêter, à tort, de multiples liaisons avec les célibataires du gotha européen, et même avec des hommes mariés.

— Seriez-vous en train d’insinuer que j’ai une liaison avec Saliq ?

— Vous comprenez vite, ironisa Kasim. Inutile de chercher à le nier, je ne porte pas de jugement. J’ai moi aussi eu des maîtresses.

— Si tel était le cas, pourquoi aurais-je offert de réaliser la robe de la mariée et ses tenues pour le voyage de noces ? Cela n’a pas de sens.

— S’il ne s’était agi que d’une robe, je n’y aurais opposé aucune objection. Mais pourquoi vouloir offrir à ma sœur une garde-robe complète ? Connaissant les goûts d’Hasna, je sais que cela représente une véritable fortune.

— Je vous répète que ma famille y tient par amitié pour Saliq.

— Cela va bien au-delà d’un simple cadeau. Si je l’avais su plus tôt, je m’y serais fermement opposé.

Heureux de savoir que sa sœur faisait un mariage d’amour, Kasim souhaitait que tout soit parfait pour le grand jour. Il avait pour ce faire alloué à Hasna un budget pour les préparatifs. Au vu des factures cependant, il s’était étonné du montant dérisoire de ses dépenses et lui en avait demandé la raison.

— Si j’étais la maîtresse de Saliq, j’aurais tout fait pour éviter de rencontrer sa future épouse, rétorqua Angélique. Et je précise que ce n’est pas moi qui ai approché votre sœur : Hasna était une grande admiratrice de la Maison des Jumelles, mais elle ignorait que Saliq nous connaissait. Ce dernier lui a donc fait la surprise de tout organiser, et c’est nous qui avons décidé d’offrir les tenues.

— J’ai du mal à imaginer qu’il ait caché cette grande « amitié », comme vous dites, à la femme qu’il courtise depuis plus d’un an.

— En avez-vous parlé avec le principal intéressé ? demanda Angélique d’un ton glacial en croisant les bras devant sa poitrine. Je suis certaine que vos insinuations l’indigneraient autant que moi.

— Il est visiblement incapable de prendre la décision qui s’impose. Je lui en parlerai une fois cette affaire réglée.

— Je n’ai jamais eu de liaison avec lui ! Les hommes mariés ou fiancés ne m’intéressent pas.

— Je suis seulement certain d’une chose : vous avez arrêté de coucher avec lui après l’annonce de ses fiançailles avec ma sœur ; car depuis lors, tous ses faits et gestes me sont rapportés.

— Vous le faites suivre !

— La vie qu’il a menée jusque-là ne me concerne pas, mais je trouve malsain, et qui plus est dégradant pour ma sœur, que vous soyez encore en contact avec lui.

Bien qu’imaginer son futur beau-frère avec cette femme le perturbe plus qu’il ne l’aurait voulu, Kasim refusa d’approfondir la question. Avec son charme ravageur et son caractère affirmé, elle avait de toute évidence réussi à dominer un homme aussi naïf que Saliq. Lequel avait été ensuite trop faible pour rompre tout contact avec elle.

— Pourriez-vous me dire de quoi vous me ­soupçonnez au juste ? demanda la jeune styliste. D’essayer de le récupérer en habillant sa future femme ? Quelle logique, Altesse, j’en reste pantoise !

Kasim n’était pas habitué à ce qu’on lui parle ainsi. Angélique Sauveterre ne semblait pas comprendre à qui elle avait affaire, mais son impertinence, bien que déplacée, lui semblait stimulante.

— Cette discussion a assez duré, répliqua-t-il d’un ton ferme, ma patience a des limites. Je veux payer le travail que vous avez effectué. Si vous refusez d’accepter et de promettre de ne plus rencontrer Saliq, je me verrai dans l’obligation de refuser votre cadeau. Et peu m’importent les larmes d’Hasna.

— Seriez-vous capable de vous montrer aussi cruel avec votre sœur ? demanda Angélique, l’air abasourdi.

Kasim refusa de se laisser entraîner dans un débat pour justifier ses intentions. Même s’il se savait réticent à l’idée de faire de la peine à Hasna, il était prêt à tout pour protéger le couple de celle-ci, quitte à devoir faire refaire en un temps record sa robe de mariée et ses autres tenues.

Voyant que le prince ne répondait pas, Angélique tenta de négocier :

— Si je m’engage à ne plus rencontrer Saliq en tête à tête, me promettez-vous de ne pas priver votre sœur de la joie de porter les tenues de notre boutique ?