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Extrait

Extrait ajouté par Sophie-331 2019-08-31T00:53:36+02:00

Clés en main, Julie se rua vers la porte d’entrée et lança un « à demain » façon éclair à sa mère.

— Quoi, déjà ? Oh, je n’avais pas vu l’heure ! Bon courage avec tes petits angelots ! répondit Maryse depuis la cuisine, pendant qu’elle préparait une infusion à la réglisse, censée réguler le système digestif après un repas calorique.

Adresser un « au revoir » furtif à sa mère ne ressemblait guère à Julie qui la saluait d’ordinaire correctement. Depuis la mort de son père, chaque minute auprès des êtres aimés lui paraissait précieuse, mais ce soir-là comme tous les samedis soir, elle redoutait d’affronter son regard et d’être prise en flagrant délit de mensonge par rapport au job qu’elle exerçait.

Elle lui avait raconté qu’elle faisait du babysitting chez des gens fortunés qui sortaient le week-end. Lorsque sa mère lui avait demandé comment elle avait trouvé une offre de babysitting qui payait généreusement, elle lui avait rétorqué qu’elle avait dégoté l’annonce du siècle sur le panneau d’affichage du lycée. Évidemment, ce n’était que pure invention.

— À part Laetitia, personne ne doit savoir ! lâcha Julie, pendant qu’elle descendait les deux rues qui séparaient son appartement de l’avenue des Gobelins.

Laetitia, qu’elle avait rencontrée au collège et qui habitait à une station de métro de chez elle, était sa meilleure amie. Partager son secret avec elle allégeait sa conscience.

Elle s’engouffra dans le bus 27 la menant directement à son travail, minutes de marche mises à part. La ligne 7 du métro ne lui aurait pas permis de profiter du paysage parisien. Elle éprouvait le besoin de se sentir comme une touriste assise dans un car spécial Paris by night.

Cinquante minutes plus tard, elle arriva devant le Dolly Bird, un club de striptease situé boulevard Poissonnière, à quelques mètres du cinéma Le Grand Rex. Avec son enseigne lumineuse teintée de bleu et de violet, le Dolly Bird faisait penser à un bar branché ou à une discothèque à la mode, mais ses prestations étaient réservées à un public averti.

Elle soupira quelques instants à l’extérieur, consciente de quitter la douceur du Paris by night pour se jeter dans les affres de la nuit parisienne.

Lorsqu’elle pénétra dans l’établissement pour prendre son service, elle fut saluée par Federico, alias Freddy, le quadragénaire d’origine espagnole qui gérait le club et qui affichait sans vergogne son homosexualité. Comme souvent, il l’autorisait à dîner sur place mais ayant déjà rempli son estomac, elle se contenta d’un virgin mojito à la framboise.

Après avoir siroté son verre, elle se dirigea vers les vestiaires où ses collègues et sa tenue de travail l’attendaient. Conformément aux instructions du patron, celle-ci devait être raccord avec celle des stripteaseuses et correspondre au thème de la soirée. Elle craignait de tomber sur quelque chose de trop échancré et d’être contrainte de revêtir une espèce de bikini amélioré, pailleté façon disco. À coup sûr, elle aurait droit à un haut qui laisserait entrevoir la naissance de ses seins et à une jupe qui ne couvrirait que ses fesses ; une ceinture plutôt qu’une jupe, en somme. À son grand soulagement, la soirée était orientée country sexy et sa tenue de cow-girl, encore trop courte à son goût, restait dans la limite du raisonnable et ne dévoilait pas trop de chair, contrairement à d’habitude.

Sur les conseils de Cynthia, l’une de ses collègues stripteaseuses, elle tressa sa longue crinière noisette, qui descendait jusqu’au milieu du dos une fois détachée.

Pendant que les stripteaseuses restaient en coulisse pour répéter leur numéro, elle s’affaira en salle avec les autres hôtesses pour s’assurer que la mise en place était impeccable avant l’arrivée des premiers clients.

Le club devint rapidement comble. La plupart des hommes venus se divertir étaient des hommes d’âge mûr. Certains affichaient un regard torve et libidineux, tandis que d’autres, seuls dans leur coin, se trouvaient en mal d’affection ou en voyage d’affaires. On recensait parfois un groupe d’amis trentenaires qui enterraient la vie de garçon de l’un des leurs.

Julie bossait au Dolly Bird depuis un mois. Après avoir soufflé ses dix-huit bougies au mois de juin, elle avait décroché un job bien payé qu’elle exercerait à côté de sa vie de lycéenne, sans devoir sacrifier ses journées le week-end. Elle assurait le service de vingt-deux heures à cinq heures du matin, ce qui lui permettait de récolter de meilleurs pourboires que dans la restauration classique.

Tandis qu’elle prenait les premières commandes, deux jeunes, dont l’âge maximal ne dépassait pas les vingt-cinq ans, s’installèrent contre le mur, à l’une des tables situées en retrait par rapport à la scène. Le brun à lunettes balaya la salle du regard, smartphone à la main, pendant que son pote blond jetait un œil à la carte des boissons.

Quelques minutes plus tard, des clics discrets d’appareil photo se firent entendre.

— Qu’est-ce que tu fous ? demanda le blond au grand brun, en lui lançant un regard d’incompréhension.

— Je photographie le décor. Oh, regarde, certaines Frenchies sont plus mignonnes que les Américaines ! s’enthousiasma son ami, en mitraillant Julie.

— Hein ? De quoi tu parles, crétin ? Le show n’a pas encore commencé. Ça ne devrait plus tarder, alors pose ça.

— Je te parle de la serveuse, là-bas.

— Attends un peu que j’évalue la marchandise. C’est malin, elle est de dos, maintenant. Tourne-toi, salope, et arrête de bouger que je puisse voir ta tronche ! Bon, passe-moi ça, toi !

Le blond arracha le portable des mains de son pote qui protesta en vain. Il n’en était pas sûr, mais la silhouette de Julie lui disait quelque chose. Plus il faisait défiler les photos en zoomant, plus ses doutes se confirmèrent. Il l’avait déjà croisée et si ça se trouve, il lui avait même déjà parlé.

— Tiens, je te le rends ! C’est bien ce que je pensais. Je l’ai déjà vue quelque part. J’en ai la certitude, maintenant. La question c’est… où ?

— Quoi, tu la connais ? T’as peut-être couché avec elle et tu t’en souviens peut-être plus.

— Raconte pas n’importe quoi, crétin ! Je me souviens toujours des filles qui ont le privilège de passer du temps avec moi. Si je réfléchis trop, ça va me prendre la tête. Attends, j’ai une idée pour savoir où je l’ai vue.

Le blond arbora un rictus sardonique qui lui donnait une expression comparable à celle du Joker dans Batman, ce qui n’augurait rien de bon pour la pauvre Julie.

— Le service laisse vraiment à désirer ici ! C’est scandaleux de traiter la clientèle de cette manière ! cria-t-il à tue-tête, en faisant mine de s’impatienter.

Quelques clients surpris se retournèrent, mais détournèrent rapidement les yeux en apercevant le clin d’œil qu’il leur lançait. Pour eux, le blond n’était qu’un petit con qui embêtait les hôtesses.

— Oui, j’arrive ! répondit à la hâte Julie, sans vraiment lui prêter attention, tandis qu’elle servait les hommes d’affaires assis à une table plus proche de la scène.

Le show commença et l’effervescence gagna la salle. Avant de procéder à l’effeuillage et de se déhancher sensuellement autour de la barre de fer, la danseuse avait opté pour un numéro de cow-girl accompagnée de son lasso et de son stetson, un numéro pas très original mais qui faisait son petit effet. Happé par le spectacle, le grand brun ne vit pas Julie s’approcher.

Lorsqu’elle se retrouva face au jeune homme blond, elle manqua de s’étouffer. Elle aurait voulu que la marraine de Cendrillon lui vienne en aide et la transforme en citrouille d’un coup de baguette magique. Ainsi, elle n’aurait pas eu à échanger des mots avec lui car les citrouilles, ça reste statique, ça ne parle pas et on leur fiche la paix.

Elle était désormais confrontée à Théodore Wagner, un gars de son lycée aussi beau qu’arrogant. Derrière son sourire de prince et ses manières courtoises, se cachait un être sadique qui usait de son charme pour parvenir à ses fins.

Avec ses cheveux blonds hirsutes, il ressemblait aux héros qui faisaient rêver la gent féminine dans les shojos et était le parfait sosie de l’acteur Alex Pettyfer, à l’époque où il jouait dans des teen movies comme Wild Child ou Sortilège. Seule la couleur des yeux différait. Ils étaient noisette et non pas bleus.

La plupart des filles étaient à ses pieds et il le savait. Pire, il s’en servait, mais le lycée ne constituait pas son terrain de prédilection. Il voulait choper ailleurs, comme il le disait si bien, car il avait une sacrée réputation à tenir. Passer pour un gros queutard auprès des élèves lui donnerait un côté malsain et desservirait son capital séduction.

Avec les filles de son école, il se comportait en prince charmant et jouait avec leurs sentiments, sans les faire passer à la casserole. Il percevait les cœurs brisés comme une leçon de vie. Si ces crétines étaient tombées amoureuses de lui, que pouvait-il y faire ?

Tellement de filles l’entouraient qu’il ne semblait pas reconnaître Julie qu’il avait pourtant insultée à chacune de leurs collisions au lycée. Il avait même exigé des excuses et cherché à la culpabiliser. Lui, « la perfection incarnée », ne commettait aucune erreur et tout lui était dû. Julie savait qui il était. Son nom revenait si fréquemment dans les bouches féminines qu’elle ne pouvait ignorer son identité. De toute façon, elle n’avait pas oublié le gredin qui l’avait renversée à maintes reprises avec sa saleté de trottinette ou ses rollers dernier cri, malgré leur interdiction dans l’enceinte de l’école. Elle gueulait, mais Théodore n’était jamais sanctionné. Seule Julie se rebellait contre lui et elle ne comprenait pas que l’on devienne maso face à un mec, quelle qu’en soit la cause. Pour les autres filles, se faire renverser par le beau Théodore représentait un honneur et comportait un côté romantique.

— Désolée pour l’attente. Je suis à vous, fit Julie, en forçant un sourire et en tâchant de garder son calme.

— On se connaît, non ? répondit Théodore, avec un large sourire de prince sur la figure, digne des pubs Oral-B.

— Je ne crois pas. Vous devez confondre.

— Ne va pas croire que je te drague, mais j’ai vraiment l’impression de t’avoir vue quelque part. Si ça peut te rafraîchir la mémoire, je m’appelle Théodore et ce gugusse, qui mate les courbes de ta copine sur scène, c’est Benoît. Il vit aux États-Unis mais là, il est de passage en France. C’est là qu’il a grandi.

— Enchantée. Je suis désolée. Je n’ai pas le temps de copiner avec la clientèle, je dois…

— Et toi, t’as bien un prénom ?

— Oui. Euh… je m’appelle euh… Blanche ! C’est ça, Blanche ! rétorqua une Julie hésitante, après avoir jeté un rapide coup d’œil aux manches de sa chemise de cow-girl, qui était d’un blanc immaculé.

— Bien, Blanche. Je ne vais pas te retenir plus longtemps. Je vais prendre un mojito et pour lui, ce sera un mélange gin-soda, s’il te plaît.

— C’est noté. Je reviens tout de suite.

Alors que Julie se dirigeait vers le bar, Théodore fouilla le portable de Benoît à la recherche des photos prises plus tôt dans la soirée. Son pote, captivé par la beauté de la stripteaseuse, s’était déplacé pour se rapprocher d’elle. Il avait donc le champ libre pour transférer les clichés de Julie vers son portable, avant de les supprimer du smartphone de son copain américain.

Ça peut toujours servir, se dit-il, après avoir manipulé le portable de Benoît. J’ai vraiment vu sa tête quelque part. M’aurait-elle menti ? Si c’est le cas, elle va me le payer car on ne me ment pas, à moi !

Le côté mystérieux de Julie, alias Blanche, exhortait le faux prince blond à jouer avec elle, car il s’ennuyait dans le club. Il n’avait pas besoin de venir dans une boîte de striptease pour voir des femmes dénudées. Il s’était laissé embarquer par Benoît qu’il n’avait pas vu depuis des lustres et avait renoncé à une séance de galipettes pour le suivre.

Faute de divertissement pour la soirée, il attendrait les boissons pour passer à l’attaque avec la serveuse, qu’il trouvait jolie comme un cœur. S’il s’était montré trop pressant dès le départ, à peine le show entamé, elle aurait pris peur et Benoît, pas suffisamment excité, les aurait gênés.

Il aurait pu jeter son dévolu sur une autre fille du club mais elles étaient toutes maquillées comme des camions volés. Or, il avait une sainte horreur des filles vulgaires, sans grande conversation. Julie lui paraissait différente et l’intriguait. Le fait de l’avoir déjà rencontrée sans même s’en rappeler, l’émoustillait.

Quelques minutes plus tard, sa cible revint avec les boissons et les énuméra poliment.

— T’as fait vite. Merci !

— De rien. Bonne continuation ! rétorqua Julie, sur le point de repartir vers le bar.

— Hé, mais attends là ! Tu ne vas pas déjà t’éclipser ? lui demanda Théodore, en lui agrippant le poignet.

Sans lui laisser le temps de réagir, il tira sur son bras pour l’attirer vers lui. Julie perdit l’équilibre et atterrit sur ses genoux. Elle se retrouva dans une position inconfortable, susceptible de prêter à confusion. Pour éviter qu’elle ne se relève et qu’elle ne lui échappe, il l’encercla avec ses bras.

Julie ne ressentait aucune peur. Elle était partagée entre gêne et colère. Elle avait envie de se débattre et de le sommer d’arrêter, mais elle était paralysée. Si un autre mec que Théodore avait agi ainsi, elle se serait défendue avec vivacité. Elle s’en voulait de ne pas savoir repousser un gars dont le caractère l’insupportait et elle ne comprenait pas pourquoi Théodore la tourmentait. Peut-être l’avait-il reconnue et qu’il s’amusait juste à la faire enrager.

Sentant son trouble, il lui mordilla le lobe de l’oreille avant de l’embrasser dans le cou. Des frissons lui parcoururent l’échine, sans qu’elle sache s’il s’agissait de frissons de plaisir ou de dégoût. Le sadisme de Théodore la répugnait, mais son corps refusait d’esquisser le moindre mouvement, comme s’il appréciait ses baisers sur ses zones érogènes.

— Hummm ! Tu sens bon, lui souffla-t-il d’une voix suave. Tu veux que j’arrête ? T’es très jolie avec tes nattes, Calamity Jane, mais je préfère les cheveux lâchés.

— Effectivement, je veux que t’arrêtes, lui intima Julie, qui avait repris ses esprits en entendant son compliment à double sens, qui faisait aussi office d’invitation sexuelle à ses yeux. Lâche-moi, espèce de pervers ! T’as entendu parler du harcèlement sexuel ? poursuivit-elle, en repoussant son torse.

Il resserra son étreinte.

— Tu me tutoies, maintenant ? Tu m’as pourtant dit tout à l’heure que tu étais à moi ou ai-je mal entendu ? Tu sais, les filles ne me disent jamais « non », d’habitude.

— Il faut bien un début à tout. Je te tutoie parce que t’as commencé à me tutoyer le premier. Maintenant, lâche-moi ! Je n’ai pas le droit de fricoter avec les clients. C’est interdit par le règlement.

— Excuse-moi d’avoir été aussi entreprenant avec toi, mais tu me plais. Je te relâche si tu me donnes ton numéro de téléphone. Si ça te gêne tant que ça, pourquoi les gars de la sécurité n’ont pas rappliqué ?

— Tu n’auras jamais mon numéro, lui balança Julie, tout en éludant sa question.

Théodore marquait un point. Les videurs de la boîte gardaient en priorité un œil sur les stripteaseuses, dont le risque de se faire tripoter se révélait plus important. De plus, la table en retrait choisie par Théodore manquait de visibilité, ce qui favorisait l’intimité et la lenteur des commandes, car les serveuses avaient tendance à oublier l’existence de ladite table.

— Si tu ne me donnes pas ton numéro, je viendrai ici tous les samedis et je commanderai à chaque fois toutes les boissons de la carte pour t’emmerder. Je resterai jusqu’à la fermeture et tu feras tellement d’allers-retours à ma table que les autres clients seront mécontents et se plaindront de toi. C’est ça que tu veux ?

Les dernières répliques de Théodore avaient beau sonner comme une menace, son ton se voulait doux. En réalité, rien n’était laissé au hasard. Pour intéresser Julie, il devait la piquer au vif, la faire sortir de ses gonds, tout en lui suggérant qu’il pouvait faire preuve de tendresse. Julie préféra se taire face à l’entêtement de son interlocuteur. Un sourire satisfait sur le visage, Théodore lui tendit son portable, certain d’avoir gagné la partie.

Quel con ! jubila Julie, pendant qu’elle enregistrait un numéro en 06 qu’elle avait mémorisé.

Théodore veillait au grain. Elle apparaissait dorénavant dans son répertoire sous le pseudo Blanche Laplace. Le nom de Laplace lui était venu à l’esprit en songeant à la façon dont elle était assise sur les genoux de l’autre pervers, qui s’en était donné à cœur joie avec elle.

Théodore tint parole et relâcha Julie, qui distribua d’autres boissons avant de partir en pause pour vapoter. Elle s’était accoutumée depuis un an aux saveurs gourmandes de ses e-liquides mais ce soir, elle avait envie d’une vraie clope, tant elle se sentait nerveuse.

En donnant un faux nom à Théodore, elle n’avait pas réfléchi, elle avait agi dans la précipitation pour sauver sa peau sur l’instant. Tôt ou tard, il découvrirait le pot aux roses, et son machiavélisme l’inciterait à répandre dans tout le lycée qu’elle bossait au Dolly Bird.

Si l’information au sujet de son job circulait, elle nierait en bloc car au fond, Théodore ne possédait pas la moindre preuve pour étayer ses allégations. Il lui suffirait de garder la tête haute et de faire croire aux autres qu’il s’agissait de racontars. C’était bientôt la rentrée et pour commencer, elle éviterait d’emprunter les mêmes endroits que Théodore, quitte à prendre des rallonges et à mettre plus de temps pour arriver en cours. Pour le reste, elle aviserait.

Quand Julie retourna en salle, Théodore la héla, un sourire malicieux sur la figure. Il mit ses nerfs à rude épreuve et commanda plusieurs boissons d’affilée pour la faire courir. Au bout du troisième aller-retour, elle avait envie de lui rentrer dedans, mais elle resta professionnelle. Au bout du sixième, elle ouvrit enfin la bouche.

— À quoi tu joues ? Je t’ai filé mon numéro, tu devrais être satisfait. Maintenant, fiche-moi la paix, tu n’es pas le seul client !

— Est-ce une façon de parler à la clientèle ? J’avais juste envie de te donner un avant-goût de ce qui se passera si jamais tu me déçois.

Julie soupira et leva les yeux au plafond, excédée par son attitude.

— Fais pas cette tête-là. Je vais bientôt partir. Je serais bien resté jusqu’à la fermeture pour te raccompagner chez toi, mais le gugusse est lessivé, et moi aussi. Je te contacte demain. T’as intérêt à me répondre, sinon…

— Je sais, le coupa-t-elle, pendant qu’elle ramassait l’addition.

Un client interpella Julie, ce qui mit fin à leurs échanges.

Théodore était partagé entre l’envie de rester pour la martyriser et celle de partir pour rattraper ses heures de sommeil. Son pote, qui ne tenait plus sur ses jambes à cause de l’alcool, l’incita à suivre le chemin de la sagesse.

Avant de se rendre aux toilettes, il déposa un tendre baiser sur la joue de Julie, tout en glissant discrètement un billet de cent euros dans sa main, ce qui la laissa coite durant quelques secondes.

Quand il eut disparu de son champ de vision, Julie emprunta à son tour la direction des WC pour le rattraper. Se faire taper sur les doigts par Freddy pour avoir déserté la salle lui importait peu. Elle ne pouvait laisser filer Théodore sans lui avoir restitué le billet de cent euros qu’elle considérait comme une provocation supplémentaire de sa part.

En l’acceptant, elle aurait l’impression d’être une catin que l’on paie après une gâterie, car d’après ce qu’elle avait vu à la télé, certaines prostituées prenaient cent euros par passe, à raison de dix passes par jour.

Dos au mur, Julie guettait Théodore depuis un couloir sombre et exigu qui lui fichait la frousse et qu’elle évitait autant que possible, de peur de se faire coincer par un client un peu louche, aux mains baladeuses. Chaque semaine, elle urinait avant son service et après la fermeture du club.

— C’est dangereux d’attendre ici, fillette ! s’éleva la voix de Théodore, depuis l’entrée des toilettes pour messieurs. Qui sait ce qui pourrait arriver. Ne me dis pas que t’es en train de me courser pour me déclarer ta flamme ?

— Même pas en rêve ! Je te rends ton argent. Je ne peux pas accepter, grogna Julie, en lui tendant les cent euros.

Après avoir plaqué ses mains contre le mur, Théodore plongea ses yeux dans ceux de la serveuse, un sourire railleur sur les lèvres, comme s’il se sentait fier de lui bloquer le passage et de l’empêcher de bouger.

— Qu’est-ce que tu fais ? le questionna Julie, de nouveau prisonnière de lui.

Son sourire et son silence lui parurent plus que suspects.

— Garde le billet. C’est mon cadeau.

— Non vraiment, je ne peux pas. C’est une si grosse somme que ça frise l’indécence.

— J’insiste ! Je te l’ai dit, c’est mon cadeau.

— Cadeau pour quoi ?

— C’est mon cadeau pour t’être assise sur mes genoux mais aussi… pour ce que je m’apprête à faire, lui murmura-t-il au creux de l’oreille, en reprenant sa voix suave de lover, chose qu’il maniait à la perfection.

— Espèce de sale pervers, comme si j’avais eu le choix tout à l’heure ! hurla Julie, en essayant de se dégager de son emprise.

Il éclata de rire. Les sonorités qui s’échappaient de sa gorge le rendaient si maléfique que même Lucifer faisait grise mine à côté.

Julie observa son visage en fronçant les sourcils et s’interrogea sur le prochain tour que lui réserverait son chapeau endiablé.

Trouvant son expression risible, il l’embrassa à pleine bouche. La sachant vive et spontanée, il s’éloigna d’elle avant que ses instincts meurtriers ne se réveillent.

— Tu n’es vraiment qu’un pervers ! Tu m’as embrassée sans mon autorisation. Tu mériterais d’être sanctionné pour harcèlement sexuel ! Je te déteste, cracha-t-elle, tandis qu’il lui tournait le dos.

— Oh que non ! Tu m’aimes, mais tu ne le sais pas encore. À bientôt, Calamity Jane ! fit-il d’un air provocateur, en agitant sa main pour la saluer.

Pendant que Julie le maudissait et l’insultait dans son coin, il réveilla Benoît qu’il avait laissé à une table près de la sortie.

Lorsque Julie retourna en salle, il avait tiré sa révérence. Toujours sous le choc du baiser volé, elle proféra des noms d’oiseau à son encontre. Elle se demandait pourquoi Monsieur n’avait pas choisi l’avenue des Champs-Élysées pour se divertir. Il s’agissait pourtant d’un lieu en vogue et réputé festif, surtout pour un gars comme lui. D’habitude si charmante, elle apparaissait comme quelqu’un d’effrayant avec sa mine renfrognée et son langage fleuri adressé à « un fantôme ».

Par chance, Freddy s’était réfugié dans son bureau, ce qui lui avait évité un sermon ponctué par des « ma chérie ». Malgré son énervement, elle fut soulagée par le départ de Théodore qui l’aurait certainement fait galérer jusqu’à la fermeture.

*

Théodore fut réveillé vers 9 heures par le vibreur de son portable qu’il posait à gauche de l’oreiller pour regarder l’heure.

— Putain, c’est quoi ce bordel ? Foutez-moi la paix ! maugréa-t-il, lorsqu’il réalisa qu’il avait reçu deux sms d’affilée.

Couche-tard, il paressait dans son lit king size jusqu’à midi ou 13 heures le week-end, et ceux qui l’extirpaient de son précieux sommeil s’attiraient ses foudres.

Tout en se frottant les yeux d’une main, il consulta ses textos.

Le premier provenait de son ami Nicolas, alias Nick, qu’il connaissait depuis la maternelle et qui se trouvait dans sa classe. Revenu de vacances, il lui proposait une partie de basket, ce qui ne semblait pas le motiver.

Le second sms avait été envoyé par Alix, une autre camarade de classe, qui faisait aussi office de sex friend, et dont les parties de jambes en l’air dépendaient du bon vouloir de Théodore.

Son père, Philippe Wagner, avait convenu de les fiancer une fois leurs études achevées, ce qui ravissait le père d’Alix, avec lequel il avait tissé des liens d’amitié depuis de nombreuses années.

Cet arrangement de longue date enchantait Alix qui considérait Théodore comme un très bon parti. Beau et intelligent, il faisait l’amour comme un dieu et il appartenait à l’une des familles les plus puissantes du monde des affaires, ce qui le rendait plus charismatique à ses yeux.

Quand il la contactait, elle rappliquait aussitôt et acceptait ses frasques sans rechigner, du moment qu’elle passait en premier. Tant qu’il ne tombait pas amoureux, il pouvait faire ce qu’il voulait.

Lui, n’avait aucunement l’intention de se fiancer. Il percevait Alix comme un bouche-trou destiné à combler les vides de son emploi du temps. Avec elle, la partie était gagnée d’avance et il l’avait à portée de main, ce qui n’était pas le cas pour les autres nanas qu’il fallait apprivoiser avant la coucherie.

Théodore ouvrit le texto d’Alix :

« Je suis rentrée. Tu me manques. Puis-je passer te voir mon bel apollon ? Je me suis fait piquer par des moustiques à Venise, mais j’espère que t’auras quand même envie. Je t’embrasse. Signé : ta future femme. »

Théodore décréta qu’il y répondrait plus tard. Il avait envie d’une nouvelle fille dans son lit, comme la serveuse du Dolly Bird rencontrée la veille. Elle était devenue un défi dès l’instant où elle lui avait parlé de harcèlement sexuel en le traitant de pervers.

Pour une fois, sa bouille d’ange ne remportait pas tous les suffrages et il se faisait un devoir d’inverser la tendance pour demeurer à jamais le beau Théodore qui vivait en mode sans échec et à qui tout souriait.

Il se serait volontiers recouché avant d’aller bruncher, mais son désir de voir la fameuse Blanche l’emportait. Après un brossage des dents express, il descendit jusqu’à la salle à manger où il fut accueilli par Anna, la cuisinière trentenaire au service des Wagner depuis cinq ans.

C’était un petit bout de femme aux yeux bleus, avec des cheveux blonds coupés au carré et des taches de rousseur. Comme chaque dimanche, Théodore avait droit à un brunch gargantuesque, digne des plus grands palaces. Il savourait son repas comme il savourait les filles, en prenant un peu de tout, en petite quantité, malgré son faible pour les croissants chauds et croustillants, et les muffins au bacon et aux œufs préparés par Anna.

Il résidait avec son père dans une maison de huit pièces, nichée au sein d’une allée privée de la rue du Cherche-Midi, située dans le 6e arrondissement de Paris. L’intérieur n’avait rien à envier aux villas que l’on voyait dans les films ou les émissions de téléréalité, mais n’était pas suffisamment rustique pour faire penser à un manoir ou à un hôtel particulier.

Le père de Théodore, homme d’affaires féroce, se trouvait à la tête des Éditions Wagner, une maison d’édition spécialisée dans la fiction et les bandes dessinées. Sa présence se faisait rare. Lorsqu’il n’était pas pris par son travail, il désertait son domicile pour loger chez l’une de ses nombreuses maîtresses.

Fatiguée par les infidélités de son époux, sa mère avait demandé le divorce et en avait épousé un autre, avant de s’installer aux États-Unis avec son nouveau conjoint.

Charlotte, la sœur aînée de Théodore, aujourd’hui âgée de 26 ans, avait quitté la maison juste après son bac pour étudier en province. Il se retrouvait seul la plupart du temps et ne faisait que croiser son père.

Leurs seules discussions tournaient autour des études, de la succession des Éditions Wagner et des fiançailles, ce qui l’exaspérait. Philippe Wagner ne prenait pas la peine de souhaiter un bon anniversaire à son fils, événement qu’il inscrivait sur la liste des tâches superflues. Il préférait compenser son absence par de l’argent et des biens matériels, en veillant à ce que Théodore devienne plus tard un homme influent, respecté et adulé.

Après avoir englouti son brunch et remercié Anna pour ses délicieux muffins, il se brossa une nouvelle fois les dents et fit sa toilette avec un soin particulier, dans l’espoir de revoir Julie.

Il ne déclina pas l’offre d’Alix tout de suite et la garda sous le coude, au cas où les choses capoteraient avec la serveuse rebelle.

Après avoir fait savoir à Nicolas qu’il ne jouerait pas au basket, il envoya un sms à la supposée Blanche Laplace.

Il avait hésité à l’appeler directement, mais la crainte de se faire envoyer paître ou raccrocher au nez lui avait effleuré l’esprit. Le texto s’imposait de lui-même. Il fit simple et alla droit au but, sans oublier de se montrer courtois pour l’appâter :

« Bonjour, c’est Théodore. Excuse-moi pour hier, mais tu me plais vraiment. T’es libre aujourd’hui ? J’aimerais t’inviter quelque part pour me faire pardonner. PS : merci de m’avoir filé ton numéro. »

Attendre après une fille ne faisait pas partie du caractère de Théodore qui fit un tour à la Fnac de la rue de Rennes. Feuilleter des bouquins dans les rayons et lire des mangas valaient mieux que de zieuter son smartphone, à l’affût de la moindre réponse. Il activa la sonnerie de son téléphone dont il augmenta le volume.

Tandis qu’il arpentait les rayons du magasin en relevant le regard admiratif des femmes sur son passage, un bip retentit. Il s’isola dans un endroit moins fréquenté et dégaina son portable. Ce qu’il y découvrit le laissa pantois. Sur l’écran, un curieux message s’afficha :

« Bonjour ! Si vous lisez ce message, c’est que vous avez mis une femme mal à l’aise. Avec vous, elle ne s’est pas sentie en sécurité. Ce n’est pas très compliqué : si une femme dit non, inutile d’insister. Apprenez à respecter la liberté des femmes et leurs décisions. Merci. »

— Je rêve ! C’est quoi ce délire ? Ne me dis pas que… Salope ! Elle se fout vraiment de moi, cette satanée salope ! Elle m’a filé le numéro anti-relous ! réagit Théodore, en tapant son téléphone contre des ouvrages et en faisant fi des autres clients du magasin. Je me souviens, j’ai vu ça sur Internet. Si ça se trouve, elle ne s’appelle pas Blanche non plus. Connasse, tu vas me le payer ! Tout ça à cause de l’autre féministe du gouvernement là, Marlène machin avec son nom de spaghetti à la noix !

Il déclara la pause détente Fnac révolue. Autant fulminer pépère dans sa chambre, à l’abri des regards indiscrets et du jugement des autres. Il sortit en trombe, pressé de regagner son domicile.

Il n’avait plus envie de s’amuser avec Alix, ni avec personne d’autre. Il lui balança une excuse bidon pour éviter qu’elle ne se pointe. De toute façon, leur énième moment torride n’était que partie remise.

Blessé dans son orgueil, il prépara sa vengeance. En se remémorant la façon dont il s’y était pris pour faire courir la serveuse du Dolly Bird, un sourire diabolique s’incrusta sur son visage.

Dans un premier temps, il retournerait au club de striptease seul et commanderait toutes les boissons de la carte, sans forcément les consommer. Les commander une par une coulait de source. C’était le meilleur moyen pour épuiser la maudite serveuse. Elle s’emmêlerait les pinceaux et il exulterait.

Il paierait ensuite l’addition en petites pièces et si possible, avec des pièces cuivrées, dont le montant se révélait plus faible. De toute façon, ces dernières ne servaient qu’à alourdir le porte-monnaie ou qu’à orner les trottoirs trop ternes. Les refuser était illégal, il l’avait lu quelque part. Elle serait donc obligée de l’encaisser. Elle passerait trois plombes à compter et la voir se démener en offrant une superbe vue sur son décolleté rendrait le spectacle plus jouissif.

Enfin, il ameuterait tous ses contacts Facebook pour qu’ils viennent au club. Ils se comporteraient comme des clients assoiffés, prêts à tester toutes les boissons proposées et en bon client, il les inciterait à consommer.

Fier de sa trouvaille, il avait hâte d’être à samedi. La perspective de Julie en mauvaise posture l’excitait davantage que celle de la pré-rentrée qui aurait lieu demain.

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