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— Qui est-ce, Jack ? demanda Luc à son avocat, feignant l’indifférence.
En affectant un ton presque ennuyé, il entendait masquer sa fébrilité, aussi soudaine qu’inattendue. Après tout, la jeune femme qui venait d’attirer son attention n’était pas son genre. Non, pas du tout.
— Tu parles de la fille aux cheveux blond-roux coupés au carré, là-bas ? demanda Jack.
Luc acquiesça d’un hochement de tête agacé. Il n’aurait pas dû exprimer sa curiosité à haute voix ; et l’inconnue n’aurait jamais dû lui faire hausser un sourcil. Or, Jack le connaissait trop bien pour ignorer qu’il pesait toujours chacune de ses paroles, n’intervenant jamais dans une discussion sans absolue nécessité.
— C’est Jesse Moriarty, gérante de J.M. Holdings.
Désarçonné, Luc étudia plus attentivement la petite silhouette. Il ne pouvait guère jauger qu’une partie de son profil, car elle restait adossée au mur, dans un coin isolé. En outre, contrairement aux autres femmes présentes à la soirée, elle était en tenue de travail — un tailleur-pantalon gris. Sans doute sortait-elle précisément du lot à cause de ces vêtements… et de son embarras manifeste !
Même d’ici, il distinguait son expression gênée, ses doigts crispés sur une flûte de champagne qu’elle ne portait jamais à ses lèvres. Elle semblait fixer obstinément quelque chose, de l’autre côté de la salle.
Partant sans doute du principe que Luc n’avait jamais eu le moindre écho de J.M. Holdings, Jack reprit :
— Il se dit que la valeur actuelle de sa société dépasserait les cinquante-cinq millions de livres. Plutôt pas mal, pour quelqu’un qui est apparu dans le business de l’informatique il y a quelques années à peine, tu ne trouves pas ?
— D’où vient-elle ?
— Elle a obtenu une bourse à Cambridge. Alors qu’elle faisait ses études d’économie et de sciences de l’informatique, elle a conçu le système anti-piratage désormais utilisé par les plus grandes sociétés partout dans le monde, la tienne y compris ! Beaucoup de gens la considèrent comme un génie.
Luc fronça les sourcils. Cette femme si frêle et minuscule ne ressemblait pas à un génie. Elle paraissait perdue. Et fragile, seule dans cette foule. Un étrange élan protecteur le saisit à l’instant où il se faisait cette réflexion, comme s’il était poussé à la rejoindre, à prendre sa main dans la sienne, à veiller sur elle.
— Ceux qui travaillent à son service l’ont surnommée « La Machine », poursuivit Jack. La rumeur dit que dans ses relations personnelles, c’est un véritable bloc de glace. Impossible d’imaginer qu’elle ait une vie amoureuse, même si mon comptable suppose qu’elle est lesbienne, ce qui… Oh ! Bonsoir !
Jack venait d’être interrompu par une connaissance qui le saluait. Non sans un regard d’excuses, il s’éloigna ; Luc lui répondit par un sourire complice.
Il n’avait pas besoin d’informations plus ou moins fiables sur l’étrange spécimen féminin qui demeurait confiné dans l’ombre, à quelques mètres de lui. Ce qu’il aurait plutôt souhaité comprendre, c’était pourquoi cette Jesse Moriarty l’intriguait au point qu’il ne puisse en détacher son regard.
Bien sûr, il avait déjà entendu parler de J.M. Holdings. Le système apparemment inviolable que cette femme avait inventé était, sans conteste, génial. Mais jamais il n’aurait imaginé que la personne à la tête de cette fabuleuse entreprise était un petit bout de femme, si jeune et délicat !
Tandis qu’il la contemplait, leurs regards se rencontrèrent. Elle lâcha soudain ce qui retenait son attention jusqu’alors et, lentement, elle se retourna, lui faisant enfin face.
Dès qu’elle commença à pivoter, il sentit tous les muscles de son corps se tendre. Contrairement à ce que son tailleur sévère laissait présager, elle avait un visage adorable, d’un ovale parfait, et de grands yeux envoûtants. Son teint était pâle, diaphane. Il la regarda déposer sa flûte encore pleine sur le plateau d’un serveur qui passait près d’elle et fendre la foule dans sa direction.
Alors qu’elle approchait de lui, il réalisa qu’elle portait un chemisier blanc sous sa veste. En fait, sa tenue, à la fois classique et décontractée, dégageait un quelque chose de fortement féminin — tout spécialement en comparaison avec les fourreaux sophistiqués et les bijoux clinquants des femmes alentour. C’était comme si elle avait atterri ici par erreur, bien que, dans son expression, tout confirme qu’elle se trouvait exactement là où elle voulait être.
Elle était maintenant si près de lui qu’il mesurait la profondeur de son malaise : d’imperceptibles gouttelettes de sueur perlaient à son front.
Plus extraordinaire encore : elle ne portait aucun maquillage — et n’en avait, d’ailleurs, nul besoin.
Sa peau était parfaite.
Luc sentit son corps réagir violemment. Il n’aurait su dire depuis combien de temps il ne s’était trouvé en présence d’une femme sans maquillage. Il en éprouvait une impression d’intimité intense.
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