Extraits

Marcus s’appliqua à laisser entre eux une distance respectable — cette danse allemande était assez risquée. Au bout de quelques pas, leurs regards se croisèrent pour ne plus se quitter. Jamais il n’avait remarqué la sensualité des yeux bleu-gris d’Ellen… Elle était si envoûtante que la foule qui les entourait n’existait plus pour lui. Il n’y avait plus qu’eux dans la grande salle illuminée — eux et leur désir brûlant, intime. Etouffant. Soudain, elle baissa les yeux et redevint la jeune fille sage et discrète qu’il avait épousée. Comment pouvait-elle se montrer si paradoxale ? Tandis qu’elle semblait se concentrer sur les pas, il étudia son visage, l’ombre de ses cils, la courbe soyeuse de sa pommette, le rose tendre de ses lèvres. Jamais encore elle ne lui avait paru aussi femme, aussi belle et désirable. Il pourrait la regarder ainsi toute sa vie sans se lasser d’elle ! Avait-il donc dormi tout le temps de leur mariage ? Venait-il à peine de s’éveiller d’un très long rêve ?

Impossible désormais de chasser Ellen de ses pensées, ni durant la nuit blanche qu’il passa seul, ni pendant la journée du lendemain où il tenta de se concentrer sur la question épineuse du domaine de Tollerton qui appartenait à son père… La tension sensuelle qui s’était créée entre elle et lui ne fit qu’augmenter jusqu’au soir où ils se rendirent ensemble au bal de Fallingham.

Sans un mot, il s’assit à côté d’elle et elle dut se faire violence pour ne pas le regarder. Un silence s’installa entre eux, bien différent de tous les silences pesants qu’ils avaient pu partager jusqu’à présent. Elle ne devait pas laisser sa nervosité la trahir, ni chercher à combler le vide par un bavardage futile qu’il ignorerait. Cette fois, elle allait laisser le silence envahir la loge, comme si elle y était seule, sans lui montrer à quel point la chaleur de son corps à son côté la troublait. Et, surtout, elle ne devait pas quitter la scène des yeux.

Toujours faussement concentrée sur la pièce qui se jouait en bas, elle ne put réprimer un sentiment de victoire. Pour la première fois depuis leur mariage, Marcus lui consacrait toute son attention, au lieu de l’ignorer froidement d’un air agacé. Sans lever les yeux, elle sentait l’intensité de son regard posé sur elle, et, pour la première fois, le poids du pouvoir qu’elle avait sur lui. Cela lui mettait du baume au cœur, après les blessures du passé…

Ellen Henshall, vicomtesse Stanley, prit une profonde inspiration dans l’espoir vain d’apaiser les battements de son cœur. Dans quelques secondes, Marcus serait devant elle, et l’image de façade qu’elle avait créée avec tant de soin devrait faire ses preuves dans l’intimité. Un doute la saisit soudain. Et si son projet ne se déroulait pas comme prévu ? Non, elle devait à tout prix atteindre son objectif. Elle n’aurait pas la force de revivre les premiers mois catastrophiques de son mariage. Sa détermination allait devoir suffire à calmer ses angoisses.

Southampton… L’endroit où son épouse, Ellen, se trouvait depuis quatre mois, « en visite chez ses parents ». C’était l’excuse qu’il avait donnée et personne n’avait osé remettre sa parole en doute. Personne n’osait jamais parler de sa femme ou de son mariage, Dieu merci.

Ignorant les regards rivés sur elle, l’inconnue prit le temps de s’installer avec une indolence presque sensuelle, comme si elle était chez elle. Comme si elle attendait Marcus… Et, bien sûr, nul ne pouvait manquer de remarquer qu’elle y était seule, à l’exception de sa suivante. Il ne faudrait pas longtemps à la foule pour répandre les rumeurs les plus extravagantes.

Confortablement installés dans la loge privée du duc d’Arlesford au Théâtre Royal, le vicomte Marcus Stanley et ses amis demeuraient silencieux, captivés par une autre loge, en face d’eux.

Moins d'une heure plus tard, Marcus revint chez lui, après avoir fait ce qu'il aurait dû faire dès le premières heures de son mariage...