Extraits

Elle partit si vite qu’elle donna l’impression de fuir.

— Votre petite-fille est timide, fit remarquer Damian pour rompre le silence qui s’installait entre lui et son mentor.

— Elle fera une épouse admirable, répliqua le vieil homme. Avec elle, aucun risque de flirt dans la cuisine pendant que vous recevez des invités.

L’allusion à ce déplaisant événement effaça la douceur dont Damian s’était laissé bercer en compagnie de Rosalia. C’était exactement le genre de souvenirs qui lui avait fait prêter l’oreille à la curieuse proposition de son mentor. Pour étrange qu’elle lui ait paru, il ne l’avait pas rejetée : il savait que le vieil homme avait du flair et le sens des affaires. N’était-il pas le seul à avoir eu suffisamment d’audace pour investir dans leur association quelques années plus tôt ?

Epouser Rosalia, c’était se retrouver détenteur de la moitié des valeurs Chavez-Torres… Même si l’effondrement de la Bourse avait un peu écorné la fortune de Benedicto, ces actions représentaient plus qu’un simple capital : elles signifiaient l’accès aux cercles d’affaires réservés à la noblesse espagnole. La fierté de Damian ne se contenterait pas de simples richesses, qu’il avait d’ailleurs obtenues sans l’aide de personne. Ce qu’il voulait vraiment, c’était ce dont sa naissance illégitime l’avait privé.

Etre accepté. Même s’il devait forcer la porte, il siégerait au conseil d’administration des mêmes sociétés que son frère, l’héritier du titre qui aurait dû lui revenir.

Damian la considéra gravement : ne faisait-elle pas contre mauvaise fortune bon cœur puisqu’à tout prendre, elle était déshéritée ?

Elle n’avait cependant consenti à aucune concession susceptible de radoucir le vieil homme à son égard, refusant même de reprendre son nom de jeune fille à présent que son mari était décédé. Si elle avait voulu plaire à sa famille, il lui aurait suffi de revenir à son patronyme espagnol.

Mais elle était bien trop indépendante pour cela. Pouvait-on en conclure que la richesse et le luxe inhérents au mode de vie de sa famille ne l’intéressaient pas ? Il était trop tôt pour le dire et le marché proposé par Benedicto ne mentionnait pas ce point.

— Cela va mieux, merci, fit-elle doucement.

— La plupart des Américains préfèrent l’air conditionné, mais vous avez été élevée ici…

— A partir de quinze ans, seulement. Avant, j’étais en Amérique.

Jusqu’à ce que son père décède… Alors, le comte Benedicto Chavez-Torres avait exigé le retour de Maria-Amelia et de sa fille Rosalia, adolescente. Elles avaient traversé l’océan et la mère de Rosalia, accablée de chagrin depuis la mort de son mari, n’avait pas compris à quel point sa fille souffrait de son nouvel environnement.

Lorsque Rosalia tentait de le lui faire comprendre, Maria-Amelia répondait qu’elle devait apprendre les usages espagnols, ceux de sa lignée maternelle. Mais Rosalia étouffait dans cette atmosphère noble et confinée et avait demandé à plusieurs reprises à rentrer aux Etats-Unis : son grand-père le lui avait toujours interdit.

Rien d’étonnant à ce qu’elle se soit enfuie à l’âge de dix-huit ans pour rejoindre un jeune Américain rencontré peu avant le décès de son père. Bien que sa relation avec Tobias ait été irrégulière, il avait fait preuve à son égard de plus de compréhension que n’en avait jamais montré sa propre famille. Bien entendu, sa mère et son grand-père s’étaient élevés avec force contre ce mariage…