Extraits

Construisons à nous tous une chaîne de mots si longue qu'elle parvienne à la capitale et si solide que personne là-bas ne pourra la briser.

Au point que la seule évocation de ces souvenirs fit presque disparaître ses palpitations : les courses de la petite dans l’escalier entre les deux étages, les samedis après-midi passés à jouer aux cartes et, plus tard, les échanges de potins alors qu’elles se retrouvaient sur la terrasse pour y étendre le linge, les balades, l’été, à la recherche de mûres. Puis, le mariage de Sara, la naissance de son premier fils, celles des deux suivants.

Rosa consulta l’heure sur la table de chevet. Il était presque minuit. À peine Sara était-elle partie que son cœur s’était emballé, pris de palpitations qui cognaient à ses tempes et l’empêchaient de dormir.

Rien pourtant n’avait réussi à effacer de son esprit la mauvaise nouvelle : Sara allait partir ! Rosa avait beau essayer de l’imaginer loin de Porvenir, elle n’y arrivait pas. Notre village n’a rien de spécial : pas de chapelle préromane, pas de héros de l’indépendance, mais c’est le nôtre, songea Rosa tout en cherchant son nécessaire pour tricot dans l’armoire. Elle n’avait pas besoin de plus pour l’aimer.

D’un air absent, elle tripota les deux alliances en or qu’elle portait à la main gauche. Sa peau était presque translucide. Chaque fois qu’il y avait quelque chose qui ne lui plaisait pas, elle s’accrochait à ces bagues pour se calmer. Elle en était sûre, où qu’il se trouve, son Abel l’accompagnait et veillait sur elle.

« Pourquoi veux-tu qu’ils gardent un facteur alors que plus personne ne s’écrit ? » déclara Sara en détachant lentement chaque mot, lourd du poids de la défaite.

Sa voix triste, découragée, flotta dans l’air. Elle fut suivie d’un silence épais qui parut occuper tout l’espace.