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Lorsque Victor pénétra dans la maison de ses parents, rue du Présidial, tout lui parut effroyablement normal. Comme si rien ne s'y était passé et que rien ne puisse changer dans l'avenir.
Après l'avoir appelée en vain, il finit par trouver sa mère réfugiée dans sa chambre. Contrairement à ce qu'il avait pu craindre en venant, elle ne semblait pas avoir cédé au désespoir, elle était habillée et discrètement maquillée avec le même soin que de coutume. Assise devant sa coiffeuse, les mains sur les genoux, elle ne faisait rien de précis lorsqu'il entra.
De façon absurde, il s'était préparé à la trouver changée, mais bien sûr elle n'avait rien de différent, hormis peut-être une certaine fixité du regard, comme si elle se bardait de défenses en prévision de la visite de Martial.
- Ah, c'est toi...., dit-elle sans se retourner, l'observant dans le miroir.
Il comprit qu'elle était déçue et que, même si elle le redoutait, elle aurait préféré affronter son mari. Il s'approcha d'elle, se pencha et l'embrassa sur la joue.
- Ton père ne viendra pas ?
Posée à voix basse, la question contenait autant d'espoir que d'angoisse, et Victor se demanda comment elle pouvait encore espérer quoi que ce soit.
- Non, maman. Il est aux Roques.
Afficher en entierVictor ne voulait plus revoir Laura et pour rien au monde revivre la scène de la gare où son indifférence l'avait glacé. En conséquence, à la fin des vacances de Pâques, il prit un billet d'avion pour Thomas et le confia à l'une des hôtesses.
Quitter son fils après s'être occupé de lui quotidiennement durant deux semaines lui sembla très dur. Si chaque séparation était aussi douloureuse, il n'avait pas fini de souffrir. Seule consolation, il n'entendrait plus parler de Nils à tout bout de champ.
Afficher en entierFoulant à grands pas la moquette du salon, Martial Cazals allait et venait d’une fenêtre à l’autre, exaspéré. Il finit par s’arrêter pour jeter un coup d’œil au-dehors. La rue du Présidial était calme, admirablement mise en valeur depuis qu’un éclairagiste de génie avait installé à travers la vieille ville d’étonnants candélabres flanqués de spots en verre. Un moyen supplémentaire de séduire les nombreux touristes, quoique Sarlat n’en eût aucun besoin : c’était une ville magnifique, magique. Martial n’avait jamais regretté d’y être revenu après l’épisode tragique qui avait scindé sa vie en deux. Quand Blanche s’était obstinée à vouloir quitter la propriété des Roques, il s’était incliné à contrecœur, avant de se découvrir heureux de rompre avec le passé.
Afficher en entierCette fois il devenait agressif, pris d’une irrésistible envie de flanquer tout le monde dehors. Maxime lui broya l’épaule et enchaîna avec diplomatie. Au lieu de l’écouter, Victor se mit à faire rouler son stylo le long du sous-main de cuir noir. Laura n’était pas venue souvent ici, jugeant d’emblée qu’une étude notariale était un endroit sinistre. Il lui avait prouvé le contraire, un dimanche où il était revenu chercher un dossier, en lui faisant l’amour sur son bureau. Il était fou d’elle, de son corps, de son rire, de ses yeux, et désormais ce serait Nils qui allait la tenir dans ses bras.
Afficher en entierSon frère coupa la communication avant qu’il ait eu le temps de protester. Une façon de lui faire comprendre qu’il n’avait pas le droit de se dérober à ses obligations professionnelles. De nouveau il chercha son reflet dans le miroir. D’habitude il y voyait un beau brun au regard bleu, plutôt souriant, mais là, il avait exactement l’air de ce qu’il était : un pauvre type malheureux comme les pierres.
Afficher en entierEn matière de droit de la famille et de la propriété, Victor Cazals était absolument incollable. Qu’une succession soit testamentaire ou ab intestat ne changeait rien à sa parfaite maîtrise des transmissions de biens. Réunir des héritiers et les obliger à s’entendre, quels que soient leurs différends, ne lui posait aucun problème, il savait faire preuve de tact, d’autorité ou d’humour exactement quand il le fallait.
Afficher en entierSe défouler sur les objets ne lui ressemblait pas, mais mieux valait s’en prendre à un meuble qu’à Nils. Au-dessus de la console, il se découvrit dans le miroir encadré d’acier. Les yeux cernés, l’air hagard… impossible de se présenter comme ça devant ses clients. D’un geste nerveux, il passa sa main dans ses cheveux bruns, voulut rajuster son nœud de cravate qu’il mit carrément de travers.
Afficher en entierIl fit volte-face puis rentra dans la maison dont il claqua la porte avec une violence inutile. Il devait se rendre à l’étude où un rendez-vous incontournable l’attendait, pris de longue date avec six héritiers pour une succession délicate. Une belle scène en perspective, qui aurait pu le réjouir, mais là, il n’était même plus certain d’aimer son métier. Qu’allait-il aimer, d’ailleurs, dans les jours et les mois à venir ? En tout cas, le bonheur de rentrer ici en fin de journée, pressé de retrouver sa femme et son fils, avec ce plaisir intact qui lui faisait ouvrir la porte en souriant, n’existait plus. Désormais il était un mari trompé, trahi, quitté.
Afficher en entierÊtre en rivalité avec Nils et se retrouver perdant n’avait pas de sens. Laura était sa femme, la mère de son fils, pas une conquête d’un soir. Nils lui volait ce qu’il avait de plus précieux sans mesurer la portée de son acte. Il le dévisagea comme s’il cherchait à comprendre. C’était son petit frère, il avait passé tant d’années à le protéger qu’il n’arrivait même pas à le haïr. Après tout, le « pauvre » Nils avait des excuses, sa mère était morte dans des circonstances tragiques alors qu’il n’avait même pas trois ans, et depuis, quoi qu’il fasse, chacun dans la famille lui donnait toujours l’absolution.
Afficher en entierD’autorité, Victor tendit la main, habitué à ce qu’aucun papier ne lui échappe. Il le lut machinalement, se refusant à penser que cette simple feuille symbolisait la faillite de son existence. Laura partait, était déjà partie. Dans les cartons se trouvaient ses livres, ses vêtements, ses objets personnels auxquels Victor avait ajouté, au dernier moment, un petit coffret contenant tous ses bijoux. Un geste plus rageur qu’altruiste, il ne se faisait pas d’illusions. Parce qu’elle raffolait des bagues, des montres, il lui en avait offert un certain nombre, y compris un somptueux saphir quand leur fils Thomas était né. Il ne voulait plus jamais les voir.
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