Extraits

Il sembla un instant à Laura qu’elle allait défaillir. Elle s’était attendue qu’il frôlât sa joue, éventuellement ses lèvres, de sa bouche. Mais ce baiser était… plus sophistiqué, plus doux, plus troublant qu’elle n’aurait jamais pu l’imaginer. Elle s’aperçut avec horreur que ses genoux tremblaient et qu’elle devait s’agripper à la chemise de Bucky pour ne pas tomber. Sous le tissu, elle sentait des muscles aussi durs que des rocs. C’était sans doute un mufle, mais… quelle virilité !

L’alliance ? Quelle alliance ? Prise de panique, Laura s’aperçut qu’elle avait complètement oublié ce détail. Bizarrement, comme s’il avait pu lui être de quelque secours, elle se tourna vers Bucky. Tout comme le pasteur, il attendait… Horrifiée. Laura eut le sentiment que tous les invités devaient se poser des questions, dans son dos. C’est alors que l’homme qui se trouvait à son côté sortit discrètement un écrin de sa poche et le tendit au pasteur.

L’espace de quelques secondes, les yeux bleus de Bucky croisèrent les yeux bruns de Laura. En un éclair, elle se fit la réflexion qu’il avait un bon regard. Dans le même temps, Bucky trouva que celui de Laura s’était considérablement adouci et prenait une teinte presque jolie.

Bucky entendait le pasteur. Miss Je-suis-née-avec-une-cuillère-d’argent-dans-la-bouche… semblait mécontente de lui. Il aurait parié qu’elle lui en voulait parce qu’il était arrivé en retard. Ensuite, ses vêtements ne devaient pas lui plaire. Mais les siens ne lui plaisaient pas non plus. Elle portait une robe toute simple, couleur ivoire, qui avait dû coûter les yeux de la tête. Quand des gens mouraient de faim partout dans le monde, il était criminel de dépenser autant d’argent pour des futilités. Mais cette femme n’avait sans doute jamais pensé à quelqu’un d’autre qu’à elle-même.

— Nous sommes ici aujourd’hui pour unir cet homme et cette femme…

Laura percevait les paroles du pasteur, mais sa voix lui parvenait à travers une sorte de brouillard. Les seuls mots qui résonnaient très fort à ses oreilles avaient été prononcés par Bucky : « Bonjour mon chou. Alors, prête à passer à la casserole ? »

Du calme, Callahan ! Ce mariage est truqué, ce n’est qu’une association frauduleuse, se dit-il. S’il n’avait pas eu tellement besoin d’argent, il lui aurait dit ce qu’elle pouvait faire de son contrat !

Chaque fois qu’il y pensait, il frémissait d’horreur. Un fameux document, ce contrat ! Elle avait même fait inclure un paragraphe mentionnant qu’il n’y aurait pas de devoir conjugal. Ah, elle pouvait dormir tranquille ! En ce qui le concernait, elle était absolument en sécurité.

Bucky Callahan regardait sa fiancée approcher de l’autel, un bouquet à la main. Quelques minutes plus tôt, il avait dû affronter un majordome qui semblait avoir avalé son parapluie. Cet ostrogoth menaçait de lui arracher son Stetson, quand Douglas Nelson était arrivé. Il l’avait escorté – sans chapeau… – jusqu’à la pièce où l’attendaient le pasteur et les invités. Le révérend Clifford Stern, qui aurait sans doute été horrifié s’il avait su qu’il s’apprêtait à bénir un mariage truqué, lui avait gentiment souri. En revanche, le sourire de la mariée était glacial.

Laura était tout aussi inquiète. Son grand-père était mort quelques semaines avant son cinquantième anniversaire de mariage. Mamita, jusqu’alors septuagénaire bien portante, avait pris le lit pour y rester pendant près de trois mois.

Avait-elle des regrets ? Dès qu’elle avait rencontré Callahan, il lui était apparu clairement qu’il ne l’appréciait pas plus qu’elle ne l’appréciait. Si elle n’avait pas su qu’il s’agissait d’un brillant étudiant en droit, elle l’aurait pris pour un simple cow-boy. Il portait des jeans usés et des bottes de cuir éraflées. Sa tignasse brune disparaissait sous un vieux Stetson et sa moustache le faisait ressembler à un héros de western.

Bien sûr, le mariage devait être blanc et ne durer qu’une quinzaine de jours tout au plus. Si Laura n’avait pas eu à cœur de satisfaire sa grand-mère, elle y aurait mis fin sitôt les signatures apposées en bas du contrat.

Le mufle était en retard !

L’homme qu’elle avait engagé pour se marier avec elle s’était sans doute esquivé avec ses mille dollars en poche, pensa Laura Bradford. Bien entendu, il lui laissait le soin d’expliquer à leurs invités pourquoi il l’avait abandonnée au pied de l’autel. Elle aurait bien dû se douter que quelque chose de ce genre surviendrait. Dès le début, elle s’était méfiée de ce James Buckner Callahan… Bucky, ainsi qu’il se surnommait lui-même. Comme si un adulte responsable pouvait s’affubler d’un surnom aussi ridicule ! En excellente juriste qu’elle était, elle avait heureusement pensé à faire rédiger un contrat en bonne et due forme, mais cela ne lui épargnait pas l’humiliation d’une telle situation.