Un regard mélancolique

1911

Debout près de l’une des hautes portes-fenêtres qui donnaient sur un jardin éclairé par des lanternes chinoises multicolores, Lucilla Welton essayait de passer inaperçue.

« Je me demande ce que je fais ici », se demanda-t-elle, peut-être pour la dixième fois.

Dans la somptueuse salle de bal de lord et lady Alperton, les glaces encadrées de doré, éclairées a giorno par la lumière électrique, reflétaient les bijoux scintillants des élégantes et les habits du soir des messieurs.

Lucilla n’avait pas pu refuser d’assister à la soirée donnée en l’honneur des fiançailles d’Ethel, la fille aînée des Alperton, des amis de sa tante Maud. Mais que n’aurait-elle donné, en cet instant, pour se retrouver transportée comme par miracle dans le Dorset, et revoir sa maison natale… Un ravissant manoir qui hélas !

– était maintenant en vente.

Un éclat de rire aigu la fit sursauter. Là-bas, une femme trop maquillée d’au moins trente ans semblait beaucoup s’amuser au milieu d’une demi-douzaine d’hommes tous plus jeunes qu’elle.

« À part Ethel et ses parents, que j’ai vus à peine deux ou trois fois, je ne connais personne ici », pensa la jeune fille.

Il y avait dans les salons d’influents membres du Parlement, des industriels importants, des banquiers… Quelques aristocrates, aussi, mais ces derniers ne constituaient pas une majorité. Lord Alperton, une personnalité de la City, avait plus d’amis dans le monde des affaires qu’à la Cour.

Il y avait aussi de nombreux Américains, amis ou associés du fiancé d’Ethel, un richissime banquier new-yorkais.

Lucilla portait une toilette à la dernière mode dont le satin vert s’harmonisait à la perfection avec la couleur de ses yeux. Une ceinture en velours d’un vert plus foncé soulignait la finesse de sa taille.

« Jamais, de ma vie, je n’ai possédé une aussi jolie robe », se dit-elle.

Sa tante Maud – qui était en réalité une lointaine cousine – avait patiemment relevé sa chevelure auburn en un chignon sophistiqué.