Vous utilisez un bloqueur de publicité

Cher Lecteur,

Nous avons détecté que vous utilisez un bloqueur de publicités (AdBlock) pendant votre navigation sur notre site. Bien que nous comprenions les raisons qui peuvent vous pousser à utiliser ces outils, nous tenons à préciser que notre plateforme se finance principalement grâce à des publicités.

Ces publicités, soigneusement sélectionnées, sont principalement axées sur la littérature et l'art. Elles ne sont pas intrusives et peuvent même vous offrir des opportunités intéressantes dans ces domaines. En bloquant ces publicités, vous limitez nos ressources et risquez de manquer des offres pertinentes.

Afin de pouvoir continuer à naviguer et profiter de nos contenus, nous vous demandons de bien vouloir désactiver votre bloqueur de publicités pour notre site. Cela nous permettra de continuer à vous fournir un contenu de qualité et vous de rester connecté aux dernières nouvelles et tendances de la littérature et de l'art.

Pour continuer à accéder à notre contenu, veuillez désactiver votre bloqueur de publicités et cliquer sur le bouton ci-dessous pour recharger la page.

Recharger la page

Nous vous remercions pour votre compréhension et votre soutien.

Cordialement,

L'équipe BookNode

P.S : Si vous souhaitez profiter d'une navigation sans publicité, nous vous proposons notre option Premium. Avec cette offre, vous pourrez parcourir notre contenu de manière illimitée, sans aucune publicité. Pour découvrir plus sur notre offre Premium et prendre un abonnement, cliquez ici.

Livres
710 598
Membres
993 221

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode

Un scandaleux héritage



Description ajoutée par PatBreg 2011-08-20T10:56:27+02:00

Résumé

Angleterre, 1816.

Orpheline, Sylvia a échappé à une vie de misère grâce à la générosité de son tuteur qu'elle aimait tendrement. Après le décès de ce dernier, elle espère, avec l'héritage qu'il lui a laissé, prendre son destin en main. Aussi, lorsqu'elle apprend que le défunt l'a confiée à la charge de son neveu, Christopher Evernden, est-elle au comble du désespoir. Car aux yeux de celui-ci, elle n'est rien d'autre qu'une femme entretenue, doublée d'une méprisable intrigante.

Un mépris qui ne la toucherait guère, s'il n'y avait, entre elle et son nouveau protecteur, une troublante attirance...

Afficher en entier

Classement en biblio - 10 lecteurs

extrait

Extrait ajouté par Underworld 2019-09-18T02:25:37+02:00

** Extrait offert par Ann Lethbridge **

1

Douvres, Angleterre, 1816

Derrière l’écran de son voile de deuil, Sylvia Boisette se préparait à affronter ses pairs, ou, plus exactement, ceux qui auraient pu la reconnaître comme l’une des leurs du fait de sa naissance, mais dont elle savait fort bien qu’ils ne l’accepteraient jamais parmi eux. Des rais de soleil, où dansait la poussière, filtraient à travers les fenêtres, faisant luire le décor patiné de la bibliothèque. Sur le seuil, derrière elle, les vieux serviteurs de la maison commentaient entre eux, à voix basse, l’imminente ouverture du testament.

— Je crois que Me Tripp souhaiterait que vous vous asseyiez à cette place-ci, mademoiselle Sylvia, lui souffla le majordome en lui montrant une chaise.

Devant le notaire ridé comme une vieille pomme se tenaient, sur trois rangées de sièges, des personnages vêtus de noir et figés dans la respectabilité. Derrière eux, la chaise vide qu’on lui assignait.

— Qui sont ces personnes, Burbridge ? chuchota Sylvia au majordome.

Murée dans son chagrin durant tout l’enterrement, elle n’avait pas encore vraiment pris garde à eux. Mais les domestiques savent toujours tout, c’est bien connu.

— Cette dame est Mme Imogene Molesby, la sœur de feu notre maître, murmura le majordome.

Il désignait une femme fortement charpentée, assise près de la fenêtre, qui portait une capeline noire passée de mode.

— … et à côté d’elle se trouve son époux, M. George Molesby.

La bedaine du monsieur en question débordait largement sur les côtés de sa chaise étroite.

A côté de lui se tenait un homme dont l’allure, la prestance, l’air distant et désapprobateur avait fortement impressionné l’assistance rassemblée à l’église, puis au cimetière.

— Et lui ?

— C’est M. Christopher Evernden, le frère cadet de lord Stanford.

Un éclair de colère passa dans les yeux de Sylvia, dissipant quelque peu l’abattement qui l’avait accablée toute la matinée. En tant que chef de famille, lord Stanford avait naturellement sa place à l’enterrement de son oncle. Il n’avait pas même daigné se montrer. Quand on pensait que monsieur Jean lui avait toujours dit tant de bien de son neveu…

Pauvre monsieur Jean ! Comme elle regretterait ces moments où elle lui faisait la lecture ! Jamais elle n’oublierait la façon dont il l’écoutait, son visage souriant illuminé par les flammes de l’âtre… La cheminée était vide et froide, comme l’était son cœur à présent. Parfois, une larme brillant au coin de son œil, il lui disait combien elle lui faisait penser à sa très chère mère. Peut-être Sylvia avait-elle, en effet, hérité de sa beauté, mais elle se promettait bien de ne pas connaître le même destin.

Elle respira profondément pour calmer les battements de son cœur. D’un mouvement de sa robe de soie noire, elle balaya au passage le tapis zébré de rais de lumière. Ceux-ci lui firent songer aux barreaux d’une échelle. Etait-ce un signe du destin ? L’avenir s’ouvrait-il enfin devant elle ? Encore lui faudrait-il pour cela réussir à fuir définitivement le passé…

Me Tripp prit acte de sa présence d’un signe de tête. Sentant ses genoux se dérober sous elle, Sylvia s’installa sur la chaise vide, derrière Evernden. Celui-ci se tourna pour la dévisager d’un regard hautain tandis qu’une expression de blâme se lisait sur le visage de ses compagnons. Sylvia se tint coite et le dos droit. Dans une minute, elle serait fixée sur son sort. Derrière la table de travail en noyer, le notaire feuilleta ses papiers.

— Tout le monde est là. Madame, mademoiselle, messieurs ? Peut-on commencer ?

La chaise placée devant celle de Sylvia craqua comme si son occupant s’impatientait et la jeune femme se risqua à lancer un coup d’œil discret à ce dernier.

Ses bottes à la hongroise soigneusement cirées moulaient de longues jambes musclées. Des reflets cuivrés jouaient dans son épaisse chevelure fauve, qui rappelait la couleur du miel. Le teint clair, la mâchoire ferme et ciselée, le front haut, il possédait tous les attributs d’un éminent représentant de la noblesse anglaise. Sa bouche mince, mais expressive, très bien dessinée, disait l’audace et la détermination.

A sa vue, Sylvia se sentit parcourue d’un frisson. Une sensation qui n’avait rien de désagréable mais qui la déconcerta. Jamais jusqu’ici elle ne s’était permis de lorgner les hommes. Un coup d’œil sur eux et voilà qu’ils s’autorisaient généralement à vous dévisager en retour comme si vous étiez une proie facile pour leurs appétits sexuels. Mieux valait ne pas les regarder du tout… D’ailleurs, ce n’était de sa part que de la curiosité, rien de plus.

Elle se concentra sur le notaire, qui commençait la lecture de l’acte.

— … Moi, John Christopher Evernden, sain de corps et d’esprit…

Par la fenêtre, Sylvia pouvait voir les nuages cotonneux filer dans le ciel bleu, semblables à des moutons menés par un invisible berger dans les vertes collines alentour. Comme elles allaient lui manquer, aussi, ses promenades dans la campagne entre Douvres et Folkestone…

La voix du notaire remplissait la pièce de son bourdonnement, et elle se força à l’écouter. Monsieur Jean laissait une petite dotation au majordome et à la gouvernante, et une guinée à chacun des autres domestiques. Cette attention lui ressemblait. Ses livres, qu’il aimait tant, étaient déjà en caisse. Ils iraient à un vieil ami, trop souffrant pour avoir pu venir à l’enterrement.

— … à ma chère sœur Imogene, je laisse l’horloge en bronze ouvragé qui appartenait à notre mère.

Sylvia réprima un sourire. Cette horloge, Mme Molesby la lui réclamait depuis toujours, mais, toujours facétieux, il avait fait la sourde oreille. Il devait bien rire, là-haut.

— … Cliff House sera vendue, afin d’acquitter mes dettes…

Et à elle, que lui ai avait-il réservé ? Elle savait qu’elle ne serait pas oubliée. Il lui avait promis un petit quelque chose pour assurer son avenir. Oh, elle n’avait pas besoin de beaucoup… Elle retint son souffle.

Me Tripp fit une pause, ajusta son pince-nez, considéra son auditoire un instant, puis s’éclaircit la gorge.

— Enfin je confie ma pupille, Mlle Sylvia Boisette, aux bons soins de mon cher neveu, M. Christopher Evernden.

Sylvia eut un hoquet de surprise et l’intéressé étouffa un juron dans une opportune quinte de toux.

Les rides du notaire se creusèrent encore davantage.

— Il recevra toute somme restant de la vente de la maison, afin de pourvoir à son établissement. Ce fonds devra constituer sa dot.

Sylvia sentit la vieille demeure tanguer autour d’elle, comme si la bâtisse était soudain descendue de la falaise pour naviguer librement sur les eaux agitées de la mer. Elle ferma les yeux, sentant venir une vague de nausée, et se tint très raide, jusqu’à ce que sa tête cessât de tourner. Elle n’allait certainement pas donner à ces gens la satisfaction de la voir défaillir.

Quelle mouche avait donc piqué monsieur Jean ? C’étaient comme si ses rêves s’effondraient et que le sol s’ouvrait sous ses pieds. En voulant la protéger au-delà de la tombe, son bienfaiteur ruinait bel et bien ses projets.

— C’est… c’est répugnant, éclata Imogene. Comment a-t-il osé… repasser sa… enfin, cette personne à un membre honorable de notre famille ? Il devrait y avoir une loi contre ça…

Cette venimeuse allusion fit s’empourprer Sylvia. Elle se força à garder le silence, bien qu’elle eût voulu hurler contre cette ignoble accusation. Non pas parce qu’elle salissait son honneur, non ; mais parce que ces mots jetaient l’opprobre sur monsieur Jean.

Derrière, les domestiques murmuraient de plus en plus fort, outrés de cet affront à la mémoire de leur maître. Sylvia se tourna vers eux et, secouant la tête, les dissuada silencieusement d’intervenir. Elle ne souhaitait pas qu’un esclandre public pût ternir cette journée.

Me Tripp s’essuya le front au moyen d’un grand mouchoir blanc.

— Ici s’achève le testament de M. John Christopher Evernden. Une collation attend la famille et les invités dans le salon bleu…

Sur le manteau de la cheminée, l’horloge en bronze sonna l’heure juste dans un silence contraint.

Monsieur Jean, malgré toute sa gentillesse, avait été un rêveur jusqu’à son dernier souffle. Sa funeste idée mettait à bas l’espoir qu’entretenait Sylvia de commencer une nouvelle vie, plus respectable.

Elle se leva, repoussant sa chaise d’une main tremblante.

Christopher Evernden, l’outrage et la réprobation flamboyant dans ses yeux verts, se redressa en même temps qu’elle et se courba brièvement en un salut fort raide. D’évidence, la décision de son oncle le heurtait tout autant qu’elle-même. Quel gentleman ne serait pas horrifié d’un tel diktat ? Devoir assumer la tutelle d’une jeune femme à la réputation douteuse était plus que ce que le simple devoir familial pouvait vous imposer.

Des larmes piquaient les yeux de Sylvia, et son esprit battait la campagne. Elle éprouvait un sentiment de perte et de vide tel qu’elle n’en avait pas connu depuis ce jour où, à l’âge de onze ans, on lui avait appris qu’elle ne reverrait jamais sa mère.

Avec sa dignité déjà fort malmenée, comme seul rempart contre les regards assassins de la famille, elle esquissa une révérence à l’intention de Christopher Evernden et des Molesby. Puis elle fit un signe de tête pour remercier le notaire et enfin, le front haut, prit le chemin du salon. Les domestiques s’écartèrent pour la laisser passer et on put les entendre murmurer de ferventes paroles de soutien à son égard.

Elle n’allait pas se laisser faire sans réagir. Il devait bien y avoir un moyen de se débarrasser de son nouveau « protecteur ».

* * *

Christopher, perplexe autant que révolté, se précipita à la suite du notaire. Il fallait corriger cette… erreur au plus vite.

Une main se referma sur son bras.

— Eh bien, nous ne nous attendions pas à te trouver ici, mon garçon…

Peste ! Pourquoi fallait-il que les Molesby aient assisté à cette comédie ? Cela ne pouvait que compliquer inutilement les choses…

— Mère a insisté pour que l’un de nous deux soit présent, oncle George, expliqua-t-il. Et malheureusement, Garth avait un autre engagement.

— Voilà qui n’est pas ordinaire, n’est-il pas vrai ? remarqua George Molesby, un demi-sourire lubrique illuminant son visage rond, te placer dans cette situation avec sa…

Il toussa délicatement dans sa main en coulant un regard de côté vers sa femme, dont les traits chevalins étaient figés par l’effarement.

— Euh… sa pupille, devrais-je dire, acheva Molesby.

Puis, avec un clin d’œil :

— Il paraît qu’elle est ravissante, on ne voit pas bien avec le…

De ses doigts boudinés, il mima la forme du voile de deuil.

Christopher se rembrunit. Les frasques de son frère Garth, qui rappelaient fâcheusement celles, anciennes, de l’oncle John, suffisaient largement, à son goût, à la renommée de la famille. Lorsque la nouvelle atteindrait les clubs de la capitale, il allait être à son tour la cible des ragots. Oncle George et ses semblables allaient pouvoir s’en repaître durant des semaines.

— Inutile ! cela suffit, intervint tante Imogène avec son éternel froncement de nez méprisant. Nous savons tous quel genre de créature elle est.

Remis au pas, le fautif regarda le bout de ses chaussures d’un air contrit. Christopher ne répondit rien. Il connaissait trop sa tante et ne voulait pas lui laisser la moindre occasion de cracher son venin.

Imogene montra ses dents proéminentes dans une parodie carnassière de sourire.

— C’est d’ailleurs pour cette raison que ton père avait banni John de la famille, mon cher Christopher. Mon frère était un jeune imbécile, il a ensuite tourné au vieux fou, c’était prévisible. Laisser tout l’argent qui lui reste à cette fille ! Et moi, je n’ai que l’horloge…

Sa voix rageuse faisait frémir les rideaux.

Christopher se força à rester impassible, malgré sa colère grandissante. Nom de nom, personne ne pouvait l’obliger à hériter de la maîtresse de son parent !

— Excusez-moi, tante Imogene, oncle George… Il faut que je parle au notaire.

Il s’inclina devant le couple et se rua dans le salon bleu.

Si rien dans ses murs crème et son élégant mobilier ne pouvait justifier son appellation, cette pièce était plus digne de la demeure d’un gentleman que l’austère bibliothèque.

A la fenêtre, fort raide et comme murée dans son deuil, Mlle Boisette regardait la Manche, pensant peut-être aux rives de la France, dont elle venait. Dans le contre-jour, sa robe noire boutonnée jusqu’au cou révélait des formes sinueuses et une taille fine. Sans doute avait-elle choisi de se placer à cet endroit pour mieux se mettre en valeur.

Il n’en avait cure.

Me Tripp se tenait près de la table en orme sur laquelle on avait dressé le buffet — appétissant sans trop d’ostentation, comme il seyait au triste événement qui réunissait la famille. Un beau bouquet de tulipes rouges et de jonquilles égayait tout de même la pièce silencieuse.

Un verre de vin dans une main et un petit toast au pâté dans l’autre, Me Tripp arborait une expression satisfaite et gourmande. La lecture du testament semblait l’avoir mis en appétit.

— Servez-vous, lui dit-il aimablement, postillonnant quelques miettes au passage. Oh, mon Dieu, je suis désolé…

Il tira prestement son mouchoir et essuya les revers de la jaquette de Christopher.

Surveillant du coin de l’œil l’entrée des Molesby dans la pièce, le jeune homme s’obligea à sourire cordialement. Le couple alla s’installer près de la cheminée, pour s’entretenir avec le vicaire.

— Je vous en prie, c’est sans importance…

Le notaire rangea son mouchoir et fit signe au majordome.

— Un peu de vin ?

Ça, songea Christopher, un remontant serait le bienvenu, en effet. Et peut-être même plusieurs… Il choisit un verre de bourgogne rouge sur le plateau d’argent qu’on lui tendait, lança un coup d’œil à Mlle Boisette, puis un autre, circulaire, sur la pièce, avant de se tourner vers le notaire.

— Bon, lui dit-il, pour ce testament… il doit certainement y avoir une erreur…

— Oh, je ne pense pas, monsieur, répondit l’homme de loi. Je l’ai moi-même rédigé sous la dictée de M. Evernden, pas plus tard que le mois dernier.

Le mois dernier ?

Le jeune homme fronça les sourcils. Comme Imogene le lui avait rappelé, le père de Christopher avait coupé les ponts avec John, son frère cadet, douze ans auparavant. Lui-même ne l’avait plus jamais revu depuis, jusqu’à…

Oui, il y avait environ six semaines.

Il était littéralement tombé sur le vieil homme à Londres et, bien qu’il l’eût à peine reconnu, il n’avait pas eu le cœur de lui battre froid, d’autant que l’oncle John paraissait se souvenir avec émotion de lui et de son frère Garth, lorsqu’ils étaient enfants.

Me Tripp prit une nouvelle bouchée de son petit pâté, la mâcha consciencieusement, puis l’avala.

— Il revenait d’un voyage à Londres, expliqua-t-il, et il a insisté pour modifier son testament.

Christopher en resta muet d’étonnement. Il revoyait son oncle John, courbé sur sa canne à pommeau d’argent et lui demandant en plein St-James Street des nouvelles de sa mère et de son frère, les yeux pétillant de malice. Ils avaient bavardé un moment de choses et d’autres ; du mariage imminent de la princesse Charlotte, par exemple. Le vieil homme avait commenté la défaite française à Waterloo et Christopher s’était inquiété des émeutes de Bridgeport. Ç’avait été là toute leur conversation ; à peu près rien qui fût d’ordre familial ou intime. Puis ils s’étaient salués et chacun avait repris sa route. Il semblait au jeune homme que cette élémentaire courtoisie était en train de le mener droit dans un piège. Christopher eût préféré cent fois se briser une jambe plutôt que de s’être trouvé, ce jour-là, sur le chemin de son oncle.

— Il doit bien y avoir un moyen de changer cela, marmonna-t-il. En la payant, par exemple…

— Vous voulez dire… Mlle Boisette ?

Qui d’autre, sacredieu ?

— C’est cela, oui.

Avec un regard de regret pour le buffet, le notaire proposa :

— Peut-être pouvons-nous en discuter dans le cabinet de travail de feu monsieur Evernden ?

Christopher considéra la bonne société locale, qui prenait le buffet d’assaut, et tante Imogene, qui se plaignait à l’épouse rondelette du vicaire du mauvais état de “son” horloge de bronze.

— Je vous suis, dit-il au notaire.

Le cabinet aux murs lambrissés de chêne était encombré de vieux meubles à bout de souffle, qui sentaient le camphre et la poussière ; s’y entassaient d’innombrables trophées, mangés aux mites, d’animaux à poil ou à plume. Des tiroirs sortis de leur logement et des casiers à documents, laissés ouverts sur les sièges, empêchaient que l’on pût s’asseoir.

— Il a beaucoup chassé de par le monde, dit sobrement le notaire.

Christopher ignora la remarque et alla droit au but.

— Que puis-je faire au sujet de ce testament ?

— Rien.

— Comment cela, rien, bon Dieu ?

Me Tripp eut une moue dédaigneuse.

— Excusez moi, ronchonna Christopher. C’est que tout ceci est tellement…

Il avala une gorgée de bourgogne. Au moins l’oncle John savait choisir ses vins…

— J’imagine que Mlle Boisette a dû être surprise, elle aussi, dit le notaire, ses bajoues tombant sur sa cravate. Une délicieuse jeune femme, vraiment. Et une charmante hôtesse…

L’éloge des talents de Sylvia importait peu à Christopher.

— Ne puis-je simplement vendre la maison et lui donner l’argent ?

Le notaire parut y réfléchir sérieusement un instant, puis il secoua la tête.

— Je ne crois pas. Votre oncle la trouvait trop jeune. Il lui faut une tutelle.

— Trop jeune ? explosa Christopher. Mais quel âge a-t-elle donc ?

Il aurait volontiers étranglé l’homme de loi de ses mains. Celui-ci se redressa.

— Vingt-trois ans. Votre tutorat devra s’exercer jusqu’à ses vingt-cinq.

Bonté divine ! Vingt-trois ans et elle vivait avec son oncle depuis douze ans ? Rien d’étonnant à ce que le vieux sacripant se fût cloitré ici durant toutes ces années ! Christopher sentait le sol se dérober sous ses pieds.

— Je regrette, mais je dois décliner cette responsabilité, dit-il fermement.

Me Tripp soupira.

— C’est bien ce que je craignais. J’ai dit à M. Evernden que sa famille allait s’y opposer. Il avait une grande confiance en vous, monsieur, il aurait été bien fâché de vous entendre parler ainsi.

— Maître, au risque de me montrer brutal, je vais être franc : je me fiche de ce que vous pouvez penser, comme des lubies de feu mon oncle. Je veux une issue à cette situation grotesque. Et je la veux maintenant !

Le notaire parut aussi indigné que tante Imogene. Mais Christopher s’en moquait bien.

— Les termes du testament sont très explicites, monsieur.

— Que dit la famille de son père ? Ou de sa mère ?

— Elle n’en a pas, que je sache. Sa mère est morte en France, quant à son père, monsieur votre oncle n’a pas voulu me révéler son identité. Je sais seulement qu’il a toujours refusé de la reconnaître. Il est donc bien inutile de savoir qui il est.

Christopher cherchait à se raccrocher au moindre espoir, aussi ténu qu’il pût être.

— Il y a tout de même sûrement un endroit… une institution où elle pourrait apprendre une profession… je ne sais pas… quelque part où une femme comme elle…

Le notaire eut quelques toussotements discrets, et joua du sourcil, pour prévenir le jeune homme qu’ils n’étaient plus seuls dans la pièce.

— Une femme comme moi, monsieur Evernden ? demanda une voix glaciale avec une légère trace d’accent français.

Peste ! L’impertinente ne s’embarrassait pas de préliminaires. Ma foi, tant mieux. Tourner autour du pot n’apportait rien de bon. Il le voyait bien dans ses affaires. Christopher lui fit face.

Me Tripp s’interposa entre eux.

— Mademoiselle Sylvia, permettez-moi de vous présenter M. Christopher Evernden.

Le visage toujours recouvert du voile de deuil, la jeune femme lui présenta une petite main gantée de noir et esquissa avec grâce une légère révérence quand il la prit dans la sienne. Puis elle se tourna vers le notaire.

— Maître, auriez-vous la gentillesse de nous laisser seuls ? M. Evernden et moi avons des choses à mettre au point ensemble.

Au grand soulagement de Christopher, la voix de Sylvia était calme et assurée. Pas de larmes. Du moins, pas encore.

— Mais certainement, répondit Me Tripp en se frottant les mains.

Il allait pouvoir retourner au buffet…

Il tira une carte de visite de sa poche et la tendit à Christopher.

— Si vous voulez bien passer à mon étude, un peu plus tard dans la journée… Quelques documents requièrent votre signature.

C’était bien de ces maudits notaires de province, songea le jeune homme. Pourquoi ne les avait-il pas apportés avec lui, ses documents, l’animal ? Il tut son irritation. Il devait d’abord s’employer à détruire tout espoir que pourrait nourrir cette fille de s’incruster dans la famille.

Le lointain murmure des conversations et le tintement des verres s’éteignirent lorsque Me Tripp quitta la pièce et referma la porte sur eux.

Sylvia se dirigea vers le bureau. La grâce de ses mouvements, son calme même, faisaient penser à quelque tranquille rivière de plaine. Son impénétrable voile de deuil retombait sur des épaules, qu’on devinait parfaites sous la robe noire. Christopher s’attarda sur son dos élancé, sa taille de guêpe… un plaisant spectacle, vraiment.

Chassant ces pensées incongrues, il s’assit à demi sur un guéridon et reprit une gorgée de vin. Rien de ce qu’elle pourrait lui dire ne le ferait changer d’avis.

Lui tournant le dos, Sylvia posa son verre parmi des papiers épars. Une tête de lion empaillée surplombait le bureau, elle en caressa l’oreille.

— J’avais tellement peur de toutes ces créatures, lorsque je suis venue vivre ici, dit-elle sans se retourner, que j’avais demandé à monsieur Jean de les retirer…

Elle poussa un doux soupir, plus léger qu’une brise de printemps, qui souleva à peine son voile.

— … Mais nous savons tous deux qu’il y a de par le monde des êtres bien plus malfaisants que ces pauvres bêtes, n’est-ce pas ?

Dans un mouvement très fluide, elle leva les bras pour retirer l’épingle à tête de perle qui retenait sa coiffure, puis déposa son chapeau sur le bureau.

Une couronne de tresses d’or enchâssait sa tête et de petites mèches folles, échappées sur sa nuque, effleuraient son col. Avec une grâce impériale, elle se retourna enfin vers lui, les mains jointes.

— C’est pourquoi il faut que nous parlions… Christopher déglutit avec peine. On eût dit un ange.

Des yeux d’un bleu limpide, bordés de longs cils dorés, dans un visage à l’ovale parfait. Un teint de crème, sans la moindre imperfection, une peau plus soyeuse que celle d’une pêche, une bouche, des lèvres à se damner pour elle, la vision d’un festin pour un homme affamé.

Il sentit ses mains devenir moites, comme celles d’un adolescent devant qui une jolie femme se dénuderait pour la première fois. Il lui fallut résister à la tentation de les essuyer sur les pans de sa jaquette. Dieu, il avait vu bien des beautés dans les salons londoniens, mais celle-ci les surpassait toutes de cent coudées.

Il se reprit. Depuis quand, sapristi, permettait-il à ses émotions de prendre le pas sur sa raison ?

Afficher en entier

Ajoutez votre commentaire

Ajoutez votre commentaire

Commentaires récents

Commentaire ajouté par Vitany 2015-04-02T09:05:32+02:00
Lu aussi

J'ai bien aimé l'histoire et surtout l'héroïne, pour qui la vie n'a pas toujours été facile.

Un agréable moment de lecture, sans plus.

Afficher en entier

Date de sortie

Un scandaleux héritage

  • France : 2009-08-01 - Poche (Français)

Activité récente

Gwen66 l'ajoute dans sa biblio or
2022-09-06T01:16:03+02:00

Titres alternatifs

  • The Rake's Inherited Courtesan - Anglais
  • La cortigiana e il libertino - Italien

Les chiffres

lecteurs 10
Commentaires 1
extraits 1
Evaluations 1
Note globale 7 / 10

Nouveau ? Inscrivez-vous, c'est gratuit !


Inscription classique

En cliquant sur "Je m'inscris"
j'accepte les CGU de booknode