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Extrait ajouté par anonyme 2014-07-06T17:52:24+02:00

— Très bien. Alors à présent, il va falloir s’organiser.

Alex se rétracta comme un chat devant une bassine d’eau froide.

— Que veux-tu dire ? interrogea-t-elle d’un ton glacial.

— Je veux dire qu’en tant que père de Luke, j’ai désormais un droit de regard sur la façon dont il vit. Donc sur la tienne, puisqu’il vit avec toi…

Piquée au vif, elle posa sur lui un regard noir. Il n’avait tout de même pas le toupet de lui expliquer comment elle devait vivre !

— Mais encore ? insista-t-elle, avec une ironie teintée de cynisme et d’agacement.

— Eh bien par exemple, il n’est évidemment pas souhaitable que tu amènes un homme ici.

Elle crut d’abord avoir mal entendu, mais réalisa que Gabriel ne plaisantait pas. Il voulait lui dicter sa conduite jusque dans son appartement !

— J’ai peur de ne pas avoir très bien compris.

— C’est pourtant clair ! Je ne veux pas d’homme ici.

Elle eut soudain une terrible envie de le gifler pour le remettre à sa place. Elle se raisonna : la violence ne la mènerait nulle part.

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Extrait ajouté par Underworld 2020-01-13T19:13:25+01:00

** Extrait offert par Cathy Williams **

1.

Gabriel retint un soupir de soulagement en entendant frapper à la porte de son bureau. C’était sûrement Janet, sa secrétaire, et jamais il n’avait autant souhaité sa venue…

Assise sur sa table de travail, croisant et décroisant ses jambes gainées de soie en une savante chorégraphie destinée à mettre en valeur ses stilettos, et à révéler ses cuisses fuselées que cachait fort peu sa minijupe, Cristobel n’avait cessé de l’abreuver de paroles. Depuis vingt minutes !

A l’entendre, elle avait un besoin vital et urgentissime de dévaliser les magasins, car le jour J approchait à vitesse grand V ; et bien sûr, il était hors de question qu’elle s’en remette aveuglément à cette ridicule société spécialisée dans l’organisation de mariages que lui avait imposée sa mère !

Chacune de ses véhémentes affirmations était ponctuée d’un mouvement de tête étudié pour faire virevolter ses boucles blondes artistiquement agencées, ainsi que d’un geste mutin de l’index et d’une moue faussement enfantine. Et pour couronner le tout, elle n’avait pas manqué de se pencher à maintes reprises vers Gabriel, assis derrière son bureau, pour lui offrir une vue plongeante sur son décolleté profond et sa poitrine pigeonnante.

Cristobel avait un talent certain pour utiliser son corps de rêve comme une arme infaillible mais cette fois, sa manœuvre avait fait long feu. Après quelques minutes de ce monologue de tragédienne, Gabriel ne souhaitait qu’une chose : qu’elle s’en aille et le laisse travailler en paix.

Qu’elle dépense des fortunes dans les magasins les plus luxueux de Londres, il n’y voyait aucun inconvénient. Mais il avait un dossier à boucler, des coups de fil importants à passer, et le son aigu de la voix de sa fiancée commençait à lui taper sur le système…

Il n’avait rien laissé paraître de son agacement : Cristobel et lui seraient mari et femme dans quelques semaines. Mais il avait approuvé avec une joie mal réprimée l’idée avancée par sa secrétaire de trouver quelqu’un à sa volubile fiancée pour l’aider à dévaliser les boutiques dans la langue de Shakespeare avant son retour à Madrid — son anglais n’était pas toujours très sûr…

— Mais Gabriel, avait aussitôt gémi Cristobel, c’est toi qui devrais m’accompagner, naturellement ! En tant que futur marié, il est important que tu t’investisses dans la préparation de la cérémonie !

Elle s’était penchée une nouvelle fois pour lui offrir une vue particulièrement généreuse sur sa poitrine, probablement convaincue que cette estocade finale emporterait la décision de son fiancé.

Mais Gabriel avait résisté.

— Cristobel, sois gentille, ne me demande pas l’impossible, avait-il répliqué d’un ton mesuré en détournant ostensiblement les yeux. Tu sais très bien que le shopping, ce n’est pas ma tasse de thé. Ni les grandes réceptions, d’ailleurs.

Il n’avait pas eu la cruauté de préciser que jusque très récemment, il n’avait même jamais envisagé de se marier du tout. Jusqu’à ce qu’il cède à l’affectueuse pression de ses parents. L’âge venant, ils se languissaient d’être grands-parents et de voir leur play-boy de fils se fixer enfin : leurs remarques répétées avaient fini par porter leurs fruits.

Gabriel s’était persuadé que la trentaine était le bon âge pour fonder une famille. Le temps passait, ses amis convolaient et avaient des enfants, lui restait l’éternel célibataire que toutes les filles convoitaient. Cette situation qu’il avait tant appréciée commençait à le lasser ; il était mûr pour passer à autre chose.

Il avait fait la connaissance de Cristobel peu après le mariage de son meilleur ami, et cette rencontre avait été le déclic.

Elle était en tout point l’épouse parfaite, celle dont rêvaient ses parents pour lui. Sa famille était aussi ancienne et aussi riche que la sienne. De par leur éducation et leur milieu, ils avaient les mêmes codes, les mêmes références, ce qui simplifiait grandement les choses. Cristobel savait que son métier comptait avant tout, et elle se conformerait à cette règle. Enfin, cerise sur le gâteau, elle était belle, élégante, sexy, et lui donnerait de beaux enfants.

Bref, ils étaient en tout point compatibles et, en homme raisonnable et mesuré qu’il était, Gabriel s’était convaincu que tant qu’à se marier, elle était la femme idéale.

— Janet a eu une très bonne idée, insista-t-il. Elle t’a déniché parmi nos employées une jeune femme qui parle espagnol. Ainsi, non seulement tu auras une traductrice mais aussi une compagnie féminine pour faire tes courses chez Harrods. Moi, je n’y connais rien en colifichets et en décoration, tu le sais bien !

Cristobel se contenta de froncer les sourcils pour marquer sa désapprobation. Sans s’en soucier, Gabriel rouvrit son dossier, déjà ailleurs. Elle sauta à terre, tira sur sa jupe et se pencha pour ramasser son sac, avec un mouvement de hanches lascif qu’il remarqua à peine.

Et pour cause…

Derrière Janet, la jeune femme chargée d’escorter Cristobel venait de pénétrer dans la pièce. Et il était sous le choc de cette incroyable apparition.

* * *

Il aurait reconnu entre mille ces traits fins, cet air fier, cette élégance naturelle, cette discrète et troublante féminité.

Les souvenirs affluèrent à sa mémoire, profondément déstabilisants. Comme hypnotisé, il continua à dévisager la nouvelle venue, incapable de prononcer le moindre mot, tandis que Cristobel, un miroir de poche à la main, se repoudrait soigneusement le visage sans se rendre compte de rien.

Alex McGuire…

Il n’avait pas besoin que Janet la lui présente pour savoir comment elle s’appelait. Il n’avait rien oublié d’elle ; pourtant, leur histoire remontait à des années.

Elle avait la même grâce naturelle que dans son souvenir. Aussi grande que Cristobel était menue, elle était aussi peu apprêtée que sa future femme était sophistiquée.

Avec Alex, pas de stilettos, de push-up, de maquillage savant et autres artifices. Elle portait courts ses cheveux bruns, professait son peu d’intérêt pour les salons de coiffure et s’habillait avec simplicité. Du moins à l’époque, car sur ce point elle avait un peu changé, constata Gabriel. Sans doute pour se conformer au monde professionnel, elle portait un tailleur gris qui laissait discrètement deviner ses formes féminines et ses longues jambes, mais il nota pour tout maquillage un simple trait d’eye-liner. Pas de rouge à lèvres sur sa bouche sensuelle, pas de blush sur sa peau nacrée : elle n’avait besoin ni de l’un ni de l’autre…

* * *

Récemment engagée comme comptable au service financier d’une des entreprises du vaste empire industriel de la famille Cruz, Alex maîtrisait encore mal le fonctionnement de la société. Aussi s’était-elle inquiétée quand la secrétaire particulière de Gabriel Cruz lui avait annoncé qu’elle était convoquée dans le bureau de celui-ci. Qu’avait-elle fait de mal ? Avait-elle commis une erreur sur une facture importante ? Mal reçu un client ?

Elle savait déjà par ses collègues que rien n’échappait à leur patron. Il veillait au bon fonctionnement de l’entreprise dans ses moindres détails — les employés n’avaient qu’à bien se tenir…

Pourvu qu’elle n’ait pas été prise en faute, songea-t-elle en suivant Janet à travers le long couloir recouvert d’une épaisse moquette qui menait au bureau directorial. Elle avait absolument besoin de ce job, d’autant plus précieux qu’il était beaucoup mieux payé que le précédent.

Heureusement, Janet lui précisa posément qu’on avait besoin d’elle parce qu’elle parlait espagnol. La boule qui lui crispait le ventre se dénoua tout à coup. Quelle bonne idée elle avait eu de continuer à travailler cette langue ! C’était une corde de plus à son arc, et peut-être cela lui permettrait-il d’avancer plus rapidement dans la société.

Elle s’inquiétait déjà de savoir si le texte qu’on allait lui soumettre ne serait pas trop technique quand Janet la rassura.

— La mission est un peu particulière, expliqua-t-elle, un tantinet gênée. Il s’agit d’accompagner la fiancée de monsieur Cruz dans les magasins pour l’assister dans ses achats.

C’est donc relativement à l’aise qu’Alex pénétra dans le bureau du P.-D.G. Elle s’acquitterait sans problème de l’étrange tâche qu’on lui confiait.

La pièce était immense, le bureau en acajou au design épuré plus impressionnant encore, mais elle ne vit rien de tout cela. C’est l’homme assis à sa table face à elle qui monopolisa toute son attention.

Elle le dévisagea longuement, le cœur battant à tout rompre. Etait-elle le jouet d’une illusion ? Pourtant, ses yeux ne la trompaient pas !

Gabriel Cruz, le chef d’entreprise tout-puissant et accessoirement son patron, ressemblait comme deux gouttes d’eau à l’homme qui avait traversé sa vie quelques années auparavant, la transformant à tout jamais…

Et pourtant, ce ne pouvait pas être lui, puisque celui qu’elle avait connu non seulement ne portait pas ce nom mais n’était qu’un modeste employé et non une des plus grosses fortunes d’Angleterre.

* * *

Alex inspira profondément pour retrouver son calme et tenta de se raisonner. Puisque c’était tout simplement impossible, alors elle se trompait, voilà tout ! Peut-être se laissait-elle abuser par le charme typiquement latin de Gabriel Cruz, qu’il partageait avec Lucio : ils avaient les mêmes cheveux bruns bouclés, les mêmes yeux noirs ourlés de cils épais, la même stature tout à la fois élancée et virile. L’un et l’autre étaient des hommes du Sud à l’indéniable pouvoir de séduction, des don Juan. Mais la ressemblance s’arrêtait là.

Encore abasourdi, Gabriel vit Cristobel ranger son poudrier dans son sac griffé surdimensionné et jeter un coup d’œil désapprobateur à Alex McGuire.

— C’est elle que tu as trouvée pour m’accompagner ? lança-t-elle en espagnol d’un ton outré. Tu plaisantes, j’espère !

Il tapota brièvement sur la table, nerveux. Elle n’allait pas remettre ça ! Et cette façon de parler d’Alex devant elle comme si elle était quantité négligeable…

— Oui, c’est elle. Et je te rappelle qu’elle parle espagnol, asséna-t-il d’une voix ferme. Comme je te l’ai déjà dit, je ne peux absolument pas t’accompagner.

Cristobel inspecta Alex de bas en haut comme s’il s’agissait d’un article dans une vitrine, et poussa un profond soupir.

— Mais enfin, regarde-la ! s’exclama-t-elle d’un ton désabusé. Elle ne saura même pas où m’emmener !

Alex, qui bouillait intérieurement, finit par exploser. Jamais on ne l’avait traitée ainsi, comme une potiche incapable de donner son avis !

— Excusez-moi de vous interrompre, déclara-t-elle avec une amabilité teintée d’ironie, mais si je sais ce que vous cherchez, je pourrai certainement vous aider.

Elle détourna les yeux, incapable de croiser le regard de Gabriel Cruz. Cette incroyable ressemblance la mettait mal à l’aise ; elle aurait tout donné pour pouvoir s’éclipser.

Un instant, elle songea avec horreur que malgré toute vraisemblance, Gabriel Cruz et Lucio étaient peut-être une seule et même personne. Un sentiment de panique lui coupa le souffle. Ce serait tout simplement catastrophique ! Tellement catastrophique qu’elle écarta cette hypothèse de son esprit.

— J’ai besoin de vêtements, décréta alors la fiancée de son patron. De petits cadeaux personnalisés pour les invités de mon mariage et de vases en argent pour la décoration florale des tables.

Elle se tourna de nouveau vers Gabriel Cruz en minaudant :

— Je suis sûre que ton employée ne me sera d’aucune aide. Il me faut quelqu’un de raffiné avec lequel je sois en phase, chéri ! Or, elle ne sait même pas s’habiller. Et elle a à peine dit un mot depuis son arrivée !

Alex serra les dents pour ne pas laisser éclater sa colère.

— Si j’ai gardé le silence, lança-t-elle d’un ton froid mais poli, c’est parce que pendant un instant, vous m’avez rappelé quelqu’un, monsieur Cruz. Par ailleurs, en ce qui concerne mes goûts vestimentaires, je m’habille simplement, c’est exact, mais je connais les boutiques londoniennes à la mode.

La jeune Espagnole la toisa de nouveau.

— Je recherche avant tout l’élégance intemporelle, la vraie, et non ce qui est à la mode, précisa-t-elle sèchement. La mode, c’est d’un vulgaire !

Alex nota son ton méprisant, sa mimique dégoûtée, mais ne broncha pas.

— Ce n’est pas un problème. Je connais bien Londres, se contenta-t-elle de préciser avec une patience qui l’étonna elle-même. Je vous emmènerai là où il faut.

Son interlocutrice la jaugea encore une fois, puis se tourna vers son fiancé. Elle dut comprendre à l’air figé de ce dernier qu’elle perdait son temps à discuter plus longtemps.

— Très bien, conclut-elle d’un ton pincé. Dans ce cas, allons-y, je suis pressée. Je m’appelle Cristobel Rivera. Mon manteau est au vestiaire, vous serez aimable d’aller le chercher.

Alex décida de ne pas s’énerver et obtempéra.

* * *

Dans l’ascenseur, Alex fut incapable de prêter attention à Cristobel qui lui expliquait d’une voix de crécelle qu’elle voulait un certain type de coupelle en argent pour aller avec la couleur saumon des roses qui décoreraient la table. « Des roses anciennes, naturellement », précisa la future mariée d’une bouche pincée.

Alex était ailleurs. Cette rencontre avec le sosie de Lucio avait fait affluer à sa mémoire les souvenirs bouleversants qu’elle s’efforçait d’éliminer depuis cinq ans. Sans succès, malheureusement. Elle se remémorait avec précision la petite chambre qui avait abrité leurs amours, leurs nuits de passion effrénée, ses réveils au petit matin quand, épuisée, le corps endolori par leurs ébats, elle devait courir aux cuisines pour prendre son poste à la préparation des petits déjeuners.

Cette année en Espagne qu’elle s’était octroyée avant de commencer ses études supérieures, pour s’initier au monde de l’entreprise, parfaire son espagnol et découvrir une nouvelle culture, avait été avant tout pour elle l’apprentissage de la passion amoureuse.

Elle avait dix-huit ans, il était beau comme un dieu et elle n’avait pas fait mine de lui résister, même une seconde. Jamais elle n’avait rencontré un garçon aussi merveilleux. Et pourtant, elle avait quatre frères qu’elle adorait, avec lesquels elle discutait passionnément rugby et voitures, et avait eu quelques petits amis qui l’avaient initiée au sexe.

Mais rien ne l’avait préparée au tsunami qu’avait représenté pour elle sa rencontre avec Lucio…

Des yeux de braise, une voix de basse, un visage aux traits de statue grecque, une impressionnante musculature : il était l’homme parfait. Rien à voir avec le gringalet à peine sorti de l’adolescence avec lequel elle avait perdu sa virginité. Lucio avait fait d’elle une femme au sens fort du terme, lui faisant oublier instantanément les quelques étreintes fugitives et maladroites qui lui tenaient alors lieu d’expérience sexuelle. Il l’avait initiée à toutes les audaces et elle s’était prêtée corps et âme à ses fantasmes, convaincue que l’incroyable alchimie qui les réunissait les lierait pour toute la vie.

Toute la journée, de boutique en boutique, indifférente au babillage insipide de Cristobel, elle avait replongé en pensée dans le passé, effrayée et émue à la fois de constater à quel point chaque seconde de sa brève aventure avec Lucio était restée gravée dans sa mémoire.

En fin de journée, elle repassa par le bureau après cinq heures de shopping éreintantes pour récupérer ses affaires avant de rentrer chez elle. Elle constata en regardant sa montre qu’elle n’avait pas de temps à perdre. Il était tard, il fallait qu’elle file au plus vite pour regagner son appartement de la banlieue ouest de Londres.

Elle était en train de fourrager dans son sac à la recherche de sa carte de transport quand le téléphone sonna. Qui pouvait bien l’appeler aussi tard sur sa ligne professionnelle ? Surprise, elle saisit le combiné qu’elle coinça contre son épaule tout en continuant à chercher.

C’était Gabriel Cruz.

En entendant sa voix mâle, un doute terrible la saisit de nouveau. Pendant cette journée, elle avait réussi à se convaincre que le futur mari de Cristobel, cet homme richissime et puissant qui l’employait, ne pouvait pas être Lucio ; pourtant, cette voix était si étrangement semblable à la sienne !

— Montez dans mon bureau, je vous prie, ordonna-t-il d’un ton qui n’admettait pas la réplique.

— Je suis désolée, monsieur Cruz, il est tard et je m’apprêtais à partir.

— Je dois vous parler, reprit-il d’un ton incisif. Et j’attends de mes employés qu’ils soient capables de faire des heures supplémentaires en cas de nécessité.

— Ecoutez, bredouilla Alex, si vous voulez avoir des nouvelles de votre fiancée, sachez que tout s’est très bien passé. Elle a trouvé exactement ce qu’elle cherchait. Je suis sûre qu’elle confirmera mes dires…

— Je vous attends dans mon bureau, coupa-t-il, lapidaire. Je vous donne cinq minutes.

Et il raccrocha sans lui laisser le temps de réagir.

* * *

Gabriel repoussa son fauteuil, mit les pieds sur son bureau et, la tête en arrière, se plongea dans la contemplation du plafond. Depuis qu’elle avait franchi la porte de son bureau quelques heures auparavant, il ne cessait de penser à Alex, et au fait qu’il était idiot de penser à elle…

Il avait eu de nombreuses aventures dans sa vie agitée de play-boy ; il parvenait toujours à éliminer de son esprit le souvenir de ses conquêtes dès l’instant où il les quittait — car c’était toujours lui qui partait. Mais avec Alex, les choses ne s’étaient pas passées ainsi, et même si c’est lui qui avait mis un terme à leur relation, il n’avait pas réussi à rayer cette femme de sa mémoire.

Il aurait été bien incapable de dire pourquoi.

Etait-ce parce qu’elle ressemblait si peu aux femmes sophistiquées à l’excès, au point de toutes se confondre, qu’il fréquentait d’ordinaire ? Ou parce qu’ils n’auraient jamais dû se rencontrer ? Ou encore parce qu’elle était la seule de ses petites amies qui avait ignoré son identité, donc sa fortune et sa puissance ?

Il n’avait pas la réponse mais une chose était claire : la revoir l’avait ébranlé au point de l’empêcher de travailler de toute la journée. De plus, il était tenaillé par la culpabilité : être obsédé par cette fille surgie du passé à quatre mois de son mariage, c’était plus qu’inapproprié, c’était ridicule !

Il tapota avec agacement sur son accoudoir et regarda sa montre. Presque 18 heures, un vendredi soir. Les employés devaient être en train de quitter leurs bureaux, à part quelques cadres occupés à passer un dernier coup de fil. Il avait renvoyé Janet chez elle depuis déjà un moment : elle avait fait trop d’heures supplémentaires ces derniers temps, elle avait besoin de repos.

Il aurait dû profiter du calme enfin retrouvé pour réfléchir à tête reposée sur ses dossiers les plus délicats, mais il en était incapable. Alors il s’était décidé à appeler Alex pour mettre les choses au clair. Il avait compris qu’en le voyant elle avait été troublée, mais elle n’avait pas pu — ou pas voulu — le reconnaître. Pourtant, il fallait qu’elle sache, et il allait lui ouvrir les yeux. Il ne supportait pas l’idée qu’elle travaille dans son entreprise sans même avoir réalisé qui il était.

Quand elle frappa à sa porte quelques minutes plus tard, il se surprit à sursauter. Il la pria d’entrer mais elle resta sur le seuil, comme paralysée.

— Bonsoir. Vous vouliez me voir ? fit-elle d’une voix mal assurée.

— En effet.

Il resta derrière son bureau et, se renfonçant dans son fauteuil de cuir glacé, prit le temps de l’observer. Elle n’avait pas changé. Quel âge avait-elle à présent ? Vingt-trois ans ? Vingt-quatre ? Elle était toujours aussi naturelle, tout simplement ravissante. Sa beauté saine et sensuelle n’avait pas besoin d’artifices, et elle le savait.

— Je vous en prie, asseyez-vous. Je vous aurais bien offert un café, mais Janet est déjà partie, expliqua-t-il.

Tout en prenant place face à lui, Alex se demanda pourquoi un homme comme Gabriel Cruz ne savait pas faire un café ; toutefois, elle garda un silence prudent : il n’était pas question de se mettre son patron à dos.

— Nous avons des choses à discuter, commença-t-il.

Elle se tortilla nerveusement sur sa chaise.

— C’est-à-dire que… je suis pressée, bafouilla-t-elle, au supplice. Je ne peux malheureusement pas rester trop longtemps. Demain, peut-être ?

Il pinça les lèvres.

— Je croyais vous avoir fait comprendre que chez nous, les employés n’ont pas les yeux rivés sur leur montre et doivent être prêts à quitter leur poste plus tard que prévu s’il le faut.

— Oui, bien sûr, mais…

— Il n’y a pas de mais. Je vous demande de me consacrer quelques minutes, voilà tout. Si vous deviez retrouver quelqu’un, il attendra un peu.

Il la dévisagea avec insistance et de nouveau, les souvenirs du passé le submergèrent, infiniment précis, infiniment troublants. Le grain de beauté qu’elle avait sur l’intérieur de la cuisse, l’odeur de lavande que le savon laissait sur sa peau douce, les gémissements qu’elle poussait quand il la caressait… Il se souvenait de tout.

Il se redressa brusquement, agacé contre lui-même. Le passé était le passé. Tout ce qu’il voulait, c’était dissiper ce ridicule malentendu.

— Très bien, fit-elle, résignée. De quoi souhaitez-vous m’entretenir ?

Il garda le silence de longues secondes.

— Vous avez dit ce matin que je vous rappelais quelqu’un, n’est-ce pas ? lança-t-il tout à coup.

— En effet, répondit Alex en réprimant avec peine le tremblement de sa voix.

Tout à coup, la panique la saisit, et elle fit mine de se lever. Pourquoi avait-il relevé cette phrase qu’elle n’aurait jamais dû prononcer ? Lucio n’était pas Gabriel Cruz, un point c’est tout !

— Je suis désolée, monsieur Cruz, mais je dois vraiment partir.

— Rasseyez-vous, intima-t-il d’une voix forte. Et si vous avez rendez-vous avec quelqu’un, vous n’avez qu’à le prévenir que vous serez en retard.

Elle acquiesça de la tête et s’écarta pour passer un bref coup de téléphone. Elle parlait si bas que Gabriel n’entendit rien de sa conversation. Puis elle reprit sa place face à lui, un peu plus calme.

— Pour votre information, la journée shopping de votre fiancée s’est parfaitement déroulée, monsieur, dit-elle.

— Vraiment ? Vous pouvez dévoiler le fond de votre pensée, vous savez. J’encourage tous mes employés à parler librement. Votre duo a bien fonctionné ?

Il posa sur elle un regard si aigu qu’Alex comprit qu’il était inutile de biaiser.

— Oui. Même si je dois admettre que votre fiancée a parfois des exigences un peu… étonnantes.

— Je sais. Vous n’avez pas eu trop de mal avec elle ? Qu’en avez-vous pensé ?

Surprise, Alex resta silencieuse un moment.

— Je n’ai pas à porter un jugement sur elle, monsieur, murmura-t-elle enfin, mal à l’aise.

— Je vous en prie, cessez de me donner du « monsieur » à chacune de vos phrases ! Et répondez franchement à ma question.

— Eh bien, elle est très… raffinée, bredouilla Alex après quelques secondes d’angoisse.

Quel jeu son patron jouait-il avec elle ? se demanda-t-elle. Pourquoi la mettait-il ainsi sur le gril ? Pour la pousser à la faute et trouver ainsi un prétexte pour la licencier ? Qu’avait-elle fait pour lui déplaire ? Peut-être cette écervelée de Cristobel lui avait-elle fait un compte rendu négatif de leur journée…

Quoi qu’il en soit, si elle voulait rester dans cette entreprise, il fallait qu’elle réagisse au lieu de se contenter de fixer ses pieds comme une enfant prise en faute. Elle se força donc à affronter le regard de Gabriel Cruz posé sur elle.

Elle n’aurait pas dû…

Ces yeux de velours, ce regard intense lui rappelaient tellement Lucio qu’elle faillit se sentir mal. Au cours de la journée, elle avait réussi à se convaincre que ce ne pouvait pas être lui, mais de nouveau elle doutait. Une boule se forma dans sa gorge et elle dut baisser les yeux, au supplice.

— L’homme auquel je vous fais penser ne s’appellerait-­

il pas Lucio, par hasard ? interrogea alors Gabriel Cruz d’une voix coupante.

Alex se figea, horrifiée. Jamais elle n’avait perdu pied de la sorte. C’était affreux…

— Comment le savez-vous ? bredouilla-t-elle, au bord du malaise.

Elle avait déjà compris mais elle ne voulait pas encore l’admettre, préférant se persuader que Lucio, si doux, si tendre, n’avait rien à voir avec cet homme agressif qui semblait prendre un malin plaisir à la déstabiliser. De toute façon, c’était trop invraisemblable : de simple employé d’hôtel, Lucio ne pouvait pas être devenu en quelques années cet entrepreneur tout-puissant !

— Je suis surpris que tu ne me reconnaisses pas, Alex, murmura-t-il alors de sa voix grave aux accents sensuels. Je t’ai reconnue immédiatement, moi. C’est presque vexant…

Alex sentit le sang se retirer de son visage. Cette fois, elle était au pied du mur.

— Mais vous ne vous appelez pas Lucio ! protesta-t-elle d’une voix étranglée.

Elle s’obstinait à le vouvoyer, comme pour repousser encore un peu le moment où il lui faudrait affronter la vérité.

— Lucio est mon deuxième prénom, précisa-t-il alors d’une voix détachée.

* * *

Alex accusa le coup. Pourtant, au fond, elle avait toujours su. Dès la première seconde, il y avait eu entre eux une électricité qui ne trompait pas. Derrière le chef d’entreprise sûr de lui et de sa réussite, derrière l’homme dans l’éclat de sa maturité, quelque chose d’indéfinissable lui rappelait le jeune homme tendre et fougueux qu’elle avait connu autrefois.

— Je ne comprends pas, balbutia-t-elle enfin.

— Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?

— Pourquoi tu m’as menti ! Pourquoi tu ne m’as pas dit à l’époque qui tu étais vraiment ! s’exclama-t-elle avec véhémence. Pourquoi tu t’es joué de moi !

Gabriel la dévisagea un moment, notant la colère dans son regard, la rougeur soudaine de ses pommettes succédant à une pâleur de mort. Quand Alex avait quelque chose à dire, elle le disait, se souvint-il. Avec elle, pas de faux-semblants, de cachotteries, de tromperies : il avait aussitôt apprécié sa droiture et son courage, même si cette fois ses accusations justifiées le mettaient mal à l’aise.

— J’étais jeune, inconscient, et j’ai joué un jeu idiot, avoua-t-il. Mais je n’ai jamais imaginé que cela pourrait avoir de telles conséquences…

Né avec une cuillère en argent dans la bouche, élevé dans l’idée qu’il serait amené à endosser de hautes responsabilités, courtisé dès l’adolescence par de ravissantes jeunes filles de la meilleure société — qui se jetaient dans ses bras en espérant se faire épouser —, il avait eu envie d’envoyer tout balader, de devenir un autre, de fuir ce milieu pesant, ce carcan dans lequel il se sentait prisonnier. Alors quand il avait eu l’occasion de se faire passer pendant quelque temps pour un modeste employé d’hôtel et de vivre une autre vie, il n’avait pas hésité.

— Un jeu ? Parce que ça t’amuse de mentir aux autres ? s’écria Alex d’une voix étranglée.

Savoir qu’il l’avait abusée ainsi jetait un éclairage sinistre sur cette histoire qu’elle croyait si belle. Elle se sentait doublement trahie, flouée !

— Je ne t’ai pas menti puisque je ne t’ai jamais rien raconté sur moi, corrigea-t-il.

— Tu joues sur les mots ! Bien sûr que tu m’as menti, ne serait-ce que par omission ! Pendant toute notre histoire, tu m’as laissé croire que tu étais quelqu’un d’autre. Tu ne travaillais même pas au Tivoli, je parie.

Elle se souvint brusquement de leurs dîners de fruits et de jambon sur la plage, car ils n’avaient pas les moyens de se payer un restaurant, de leurs épuisants trajets en bus dès qu’ils voulaient bouger, de leurs chambres microscopiques dans l’aile réservée aux employés. Jamais Lucio ne lui avait laissé entendre qu’il était richissime !

— En quelque sorte, si, rétorqua-t-il. Je possède le Tivoli. Ou plus précisément, à l’époque, j’étais sur le point de l’acquérir…

Elle resta bouche bée. Elle aurait dû s’en rendre compte : Lucio avait une telle assurance, une telle confiance en lui. Il semblait avoir le monde à ses pieds — elle comprenait mieux pourquoi. A l’époque, elle avait trouvé cela terriblement excitant.

Et dire qu’elle lui avait avoué son amour ! Comment avait-elle pu être assez naïve, assez fleur bleue pour tomber raide dingue de ce mythomane ?

D’ailleurs, il n’avait fait ni une ni deux, et elle avait vite déchanté : à peine lui avait-elle dit qu’elle l’aimait qu’il avait pris ses distances. Il lui avait expliqué qu’ils étaient jeunes, qu’ils avaient toute la vie devant eux, qu’il était bien trop tôt pour se fixer. Pas un instant il ne s’était rendu compte qu’il lui brisait le cœur.

Alex avait mis longtemps, très longtemps à s’en remettre. C’était la première fois qu’elle aimait vraiment. Comprendre que, malgré les caresses, les baisers, leur merveilleuse complicité amoureuse, ses sentiments n’étaient pas payés de retour lui avait été intolérable.

Aujourd’hui, elle n’avait rien à regretter. Qu’il ait eu des sentiments pour elle ou pas ne changeait rien à l’affaire : ils vivaient sur deux planètes différentes, ils n’avaient plus rien en commun.

Il suffisait d’ailleurs de réfléchir à celle qu’il avait choisi d’épouser pour comprendre le fossé qui les séparait. Cette Cristobel avait certes de fort jolies jambes mais aussi un petit pois dans la tête… Gabriel Cruz se conformait aux règles de sa famille, de son milieu, jusqu’à se marier avec une idiote. Non, décidément, elle n’avait rien perdu à ce que leurs chemins se séparent.

— En fait, si je comprends bien, tu as eu envie de sortir de ta cage dorée et de découvrir la vraie vie, celle du petit peuple. Et c’est moi qui t’ai servi de cobaye. C’est bien ça ? J’espère qu’au moins tu t’es amusé. Mais sache que moi, ça ne me fait pas rire du tout !

— Tu exagères, Alex ! Je…

— Je n’exagère pas, coupa-t-elle, glaciale. Même si tu étais riche et puissant, rien ne t’autorisait à manipuler les gens comme tu l’as fait. Je te faisais confiance, figure-toi !

— Je ne t’ai pas manipulée. Et je ne t’ai rien imposé que tu ne souhaitais pas.

En parlant, il passa la main dans ses cheveux bouclés. Fascinée, Alex regarda ses longs doigts élégants, qui la caressaient avec tant d’expertise quand Gabriel était encore Lucio. Effectivement, sur le plan physique, il n’avait rien eu à lui imposer tant elle brûlait de désir pour lui, et c’est probablement à cela qu’il venait de faire allusion sans la moindre élégance…

— Là n’est pas la question, asséna-t-elle sèchement. J’avais le droit de savoir à qui j’avais affaire, c’est tout.

Il la toisa de ses yeux noirs.

— Et qu’est-ce que cela aurait changé ? rétorqua-t-il, reprenant l’offensive. Tu aurais exigé que je t’emmène dans des palaces ? Que je te transporte en limousine ? Que je te couvre de cadeaux ?

— Jamais de la vie ! protesta-t-elle, outrée.

— Ne prends pas ces airs de vierge effarouchée. Je sais par expérience combien un compte en banque bien garni peut influer sur le comportement d’une femme…

Alex lui lança un regard courroucé et renonça à polémiquer avec lui. S’il ne fréquentait que des femmes vénales, tant pis pour lui ! Il était temps de clore cette conversation qui ne menait nulle part.

— Est-ce trop te demander de m’expliquer pourquoi tu m’as convoquée dans ton bureau ? demanda-t-elle, cinglante.

Il haussa les épaules d’un air las.

— Mais voyons, Alex, c’est évident ! Il n’était pas question pour moi d’accepter que tu restes mon employée tant que nous n’avions pas mis les choses au point. Tu imagines que j’allais supporter de te croiser dans l’ascenseur en sachant que tu ne m’avais pas reconnu ?

Il attendait sa réponse et elle détourna la tête sans parler, résignée à faire profil bas. Elle n’avait aucun intérêt à jouer l’affrontement avec lui. En dehors même de son avenir professionnel, l’enjeu était beaucoup trop important : il ne devait rien savoir sur elle.

Mieux valait rentrer dans le rang, redevenir une employée parmi les autres et croiser les doigts pour qu’il l’oublie. De toute façon, il était sur le point de se marier ; il n’allait pas perdre son temps avec une ancienne conquête !

Alex prit une profonde inspiration et afficha un calme qu’elle était loin de ressentir.

— Tu as raison, concéda-t-elle après un silence, c’est mieux ainsi. Je me suis laissé emporter à l’instant, mais j’ai eu tort. Disons que c’est l’effet de la surprise. Tout ça est si ancien de toute façon, il y a prescription. Excuse-moi d’avoir réagi de façon aussi… épidermique.

Gabriel dissimula sa surprise. Quelle étrange volte-face ! songea-t-il. Alex était-elle sincère, ou réalisait-elle qu’elle avait intérêt à modérer ses ardeurs si elle voulait rester dans l’entreprise ? A moins qu’elle n’ait eu aucune envie de prolonger leur entretien. L’idée qu’elle puisse lui tenir réellement rigueur de son attitude passée lui traversa l’esprit, mais il l’écarta aussitôt. Ils étaient jeunes, insouciants et, comme elle l’avait dit elle-même, il y avait prescription. Et il la savait suffisamment franche et directe pour lui dire sa véritable façon de penser si elle en éprouvait le besoin.

— J’accepte tes excuses, déclara-t-il d’un ton aimable.

Elle eut un petit sourire crispé, se leva brusquement et attrapa son sac posé à terre.

— Très bien. Dans ce cas, je crois que nous nous sommes tout dit.

Elle ne faisait aucun effort pour cacher son envie de partir au plus vite. Tenter de la retenir n’aurait été d’aucune utilité, tant il connaissait sa détermination. Par ailleurs, il aurait eu l’air ridicule, ce qu’il détestait par-dessus tout. Surtout face à une femme. Et encore plus face à Alex.

— Comme tu voudras, murmura-t-il de sa voix grave. Où puis-je te trouver ?

Alex était déjà à la porte et se retourna, inquiète. Il n’allait tout de même pas la poursuivre jusque chez elle !

— Me trouver ? répéta-t-elle en fronçant les sourcils. Que veux-tu dire ?

— Dans quel service travailles-tu, voulais-je savoir. Qu’avais-tu imaginé ?

— Rien, rien, bafouilla-t-elle, mal à l’aise. Au service financier. Pourquoi ?

— Parce qu’il est possible que je fasse de nouveau appel à tes services pour Cristobel. Elle vient régulièrement à Londres et a souvent besoin de quelqu’un pour la piloter.

Il n’avait pas prémédité cette proposition : c’était la seule idée qui lui soit venue à l’esprit pour retenir la jeune femme encore un moment. La voir si pressée de le quitter lui déplaisait profondément.

* * *

Alex resta sans voix. Comment un homme sensé pouvait-il demander à son ex de prendre en charge sa future femme, même pour faire de simples courses ? Etait-ce de l’indélicatesse pure et simple, de la perversité ou simplement l’habitude de donner des ordres et d’être obéi, quelles que soient les circonstances ?

Elle jugea qu’il s’était suffisamment servi d’elle dans le passé. S’il avait besoin d’un traducteur, il n’avait qu’à faire appel à une entreprise spécialisée : il n’était pas question qu’elle cède. Elle réalisa tout à coup qu’elle allait décliner purement et simplement l’offre de son boss, et qu’elle en acceptait les conséquences. Tant pis si elle perdait son emploi ! Son sens de l’honneur et sa fierté passaient avant tout. Et la plus élémentaire prudence lui dictait de refuser.

De plus, l’idée de rentrer de nouveau dans l’intimité de Lucio/Gabriel en fréquentant sa fiancée lui était infiniment pénible. Elle avait beau tenter de se convaincre du contraire, elle était tout aussi sensible à son charme qu’autrefois ; dès qu’il posait sur elle son regard de velours, elle ressentait de nouveau ce trouble qu’elle n’avait connu qu’avec lui.

— Désolée, mais il faudra que tu trouves quelqu’un d’autre. Il n’est pas question que je joue la baby-sitter pour ta fiancée chaque fois qu’elle vient à Londres. Si tu veux tout savoir, la journée que j’ai passée à ses côtés aujourd’hui m’a été très pénible. Tu la trouves sûrement délicieuse, et je suis ravie que tu épouses la femme de ta vie, mais nous n’avons aucun atome crochu — c’est un euphémisme. Nous nous sommes tolérées car ni elle ni moi n’avions le choix, mais je ne tiens pas à renouveler l’expérience.

Elle s’interrompit un instant pour reprendre son souffle, sous le regard stupéfait de Gabriel.

— Que je sois devenue ton employée est une étrange coïncidence, mais cela ne signifie pas pour autant que nous devons nous revoir, Cristobel ou pas Cristobel. Tu as ta vie, j’ai la mienne, et elles n’ont rien en commun. Je te souhaite tout le bonheur possible avec ta future femme, mais sache que quand j’aurai passé le pas de cette porte, je n’aurai plus aucun rapport avec toi.

Sur ces paroles, Alex quitta la pièce d’un pas vif. Sous le choc, Gabriel n’essaya même pas de la rattraper. C’était peine perdue, il le savait.

* * *

Dans l’ascenseur, le cœur battant, Alex réfléchissait. Pendant cinq ans, elle s’était demandé ce qui se passerait si elle revoyait Lucio, si elle lui parlerait de Luke, comment il réagirait si elle le faisait.

Elle n’en avait eu ni le temps, ni l’envie.

Aujourd’hui, Gabriel allait se marier, faire de beaux enfants à sa Cristobel. Luke n’avait pas de place dans sa vie, et les choses en resteraient là.

C’était mieux ainsi.

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Extrait ajouté par SuBla65 2018-11-23T02:53:19+01:00

— Pourquoi faut-il toujours que je me sente coupable, avec toi ? murmura-t-il d’une voix à peine audible qui trahissait son désarroi.

Tout en tirant un mouchoir de poche, il se dit qu’il n’avait probablement jamais prononcé de paroles aussi justes. Depuis qu’il l’avait quittée, il savait sans jamais se l’être avoué qu’il n’avait pas été correct avec Alex. Quand il pensait à elle — ce qui lui était arrivé plus que de raison ces cinq dernières années —, il se reprochait son attitude. Pourtant, il finissait toujours par conclure, pour se rassurer, que c’était le passé et qu’Alex s’était certainement remise depuis longtemps de leur petite aventure.

En cet instant cependant, la vérité lui sautait aux yeux : Alex ne méritait pas la façon cavalière dont il l’avait traitée. Il l’avait fait souffrir et avait beaucoup à se faire pardonner…

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Il n’avait pas eu la cruauté de préciser que jusque très récemment, il n’avait même jamais envisagé de se marier du tout. Jusqu’à ce qu’il cède à l’affectueuse pression de ses parents. L’âge venant, ils se languissaient d’être grands-parents et de voir leur play-boy de fils se fixer enfin : leurs remarques répétées avaient fini par porter leurs fruits. Gabriel s’était persuadé que la trentaine était le bon âge pour fonder une famille. Le temps passait, ses amis convolaient et avaient des enfants, lui restait l’éternel célibataire que toutes les filles convoitaient. Cette situation qu’il avait tant appréciée commençait à le lasser ; il était mûr pour passer à autre chose.

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