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"De nouveau, je songe à ce que parfois les gens nous disent entre les mots et qu'on ne relève pas, à ce qu'ils nous montrent d'eux et qu'on ne regarde pas, parce qu'on est affairé ailleurs ou simplement distrait, parce que la vie d'autrui au fond ne nous intéresse pas tant que ça, ou parce qu'on ne sait pas que celui qui, de loin, semble nager peut en réalité être en train de se noyer. Je songe à nos indifférences, nos désinvoltures qui, la plupart du temps, sont sans conséquence et qui quelquefois s'avèrent coupables. Je songe à ceux que nous laissons partir sans comprendre qu'ils nous suppliaient en silence de les retenir." p.195
Afficher en entier"Je pose enfin la question qui me taraude: "Vous envisagez sérieusement le suicide?" À l'autre bout du fil, aucune réplique, pas même une dérobade, et ce silence a presque, pour moi, valeur d'aveu. Je reprends: "Il était fragile, Nicolas, on le sait maintenant... La violence de son père... le divorce de ses parents... le harcèlement à l'école." Le capitaine se fait tranchant dans le but évident de ne pas me laisser poursuivre sur ce terrain: "On ne se tue pas pour ça." Je répète sa phrase dans ma tête, lentement. Et puis, je dis, à voix basse: "Vous savez pourquoi les gens se tuent, vous?". p.197-198
Afficher en entierÀ l'œil nu, on devine que les prolos rétais ("prolo" n'est pas encore une insulte) se tiennent d'un côté et les Parisiens (on ne dit pas encore "bobos") de l'autre. Les tee-shirts à l'effigie de Johnny Hallyday ou représentant une tête de loup aux yeux bleus ne se mélangent pas aux polos Lacoste, les bermudas délavés ne s'approchent pas des chinos en toile, les claquettes défient les mocassins, les visages marqués par les embruns ne se tournent pas vers ceux qui arborent des coups de soleil. On s'avance, un peu gauches, comme si on n'était pas à notre place. Il est vrai qu'en juillet et août, les autochtones deviennent la minorité.
Afficher en entierLe bal a lieu dans le petit parc de la barbette, qui longe les remparts, à l'entrée de la ville. pauvre Vauban qui s'imaginait protéger les lieux des agressions ennemies alors qu'aujourd'hui, son ouvrage contient les assauts d'une foule venue guincher.
Afficher en entierje me suis dit enfin: il faut parfois que quelqu'un disparaisse pour qu'on apprenne le valeur de la vie, pour comprendre à quel point elle est fragile et précieuse, la vie. En partant, Nicolas nous avait peut-être donné une leçon. Une leçon cruelle et magnifique.
Afficher en entierAujourd’hui
Ce matin, au détour d’une rue, dans la ville où j’habite désormais, j’ai cru reconnaître son visage et sa démarche.
C’était absurde, bien entendu : tant d’années se sont écoulées depuis les événements, il aurait forcément beaucoup changé et le croiser aurait exigé un improbable concours de circonstances.
Pourtant, je n’ai pas pu m’empêcher de me lancer dans une étrange filature, de poursuivre cette silhouette simplement parce qu’elle m’a paru familière, d’emboîter le pas à un inconnu du seul fait de sa ressemblance avec l’homme qu’il pourrait être devenu.
Je me suis retrouvé à me frayer un chemin sur des trottoirs encombrés, à me faufiler à travers la foule, à traverser la chaussée sous des coups de klaxon. Je ralentissais le pas dès qu’il s’immobilisait, je maudissais les feux passant au vert au mauvais moment, puis je reprenais de plus belle. Finalement, n’y tenant plus, j’ai accéléré pour le dépasser et me retourner.
J’avais besoin de vérifier. D’en avoir le cœur net.
La vérité, si vous voulez que je vous dise, c’est que je ne suis jamais parvenu à me débarrasser de cette histoire, elle ne m’a jamais quitté, elle est là, quelque part, coincée dans les recoins de ma mémoire et resurgit de temps à autre. D’ailleurs, ce n’était pas la première fois que j’étais soudain aimanté par une ombre, une forme, une apparition fugace.
De la nostalgie ? Peut-être. Le regret de notre jeunesse insouciante, alors.
Une sorte de manque ? Sans doute. Comme si cette absence était impossible à combler.
De la culpabilité ? Celle de n’avoir rien vu venir, dans ce cas.
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