Extraits

"Je n'ai jamais fait partie d'une bande. J'étais trop timoré pour cela. Je voyais les autres se déplacer en grappes, écumer les boums du samedi, puis les cafés, plus tard les discothèques et les soirées. Pendant ce temps, j'avançais seul ou presque. Pourtant, j'ai rêvé de faire comme eux, de voir du monde en regardant dans toutes les directions. Encore aujourd'hui, quand je tombe par hasard sur un de ces films à la mode à la fin des année 1970, suivant le parcours d'une bande d'adolescents le temps d'un été ou d'une année scolaire, j'en ressors avec le moral dans les chaussettes. J'ai à chaque fois l'impression d'être passé à côté de quelque chose de fondamental."

"Je n'ai été confronté à la mort qu'assez tard. Toutefois, elle a été ma compagne dès mon plus jeune âge, dès que j'ai pris conscience qu'elle existait. Très tôt, j'ai su qu'elle allait me prendre tous ceux qui avaient de l'importance pour moi. J'ai imaginé, même souhaité, partir avant eux, pour ne pas avoir à affronter l'insurmontable."

"Ma vie ressemble à quelque chose d'immobile. Je n'avance que lorsque je n'ai pas le choix. Le reste du temps, je freine autant que possible ou, à défaut, je louvoie. J'entrevois tellement d'écueils sur mon chemin, tellement de pièges et de dangers... Se sentir vulnérable en permanence est éreintant. Le poids de la lâcheté est bien lourd à porter.

Je ne passe pourtant pas pour craintif, ce serait même plutôt l'inverse. Je n'ai pas peur dans la vie, j'ai peur de la vie, c'est différent. Je sens que je ne suis pas de taille, je me considère toujours comme inférieur. Je cède vite dans les conflits de personnes, si je ne suis pas en mesure de les éviter, et face aux aléas de l'existence que je ne peux contrôler. Je me soumets, je m'aplatis, je me fais oublier et je finis par passer mon chemin. Les personnes qui me trouvent solide, doté d'une certaine assurance, se trompent. Je suis un faux colosse, un imposteur, de ceux qu'il est jouissif de renverser car ils jouent à être ce qu'ils ne sont pas. Je n'ai qu'une autorité de façade qui se délite dans la difficulté, une aisance de pacotille. Je ne suis capable de prendre la tête d'une meute que si elle est déjà soumise. Je détourne l'attention pour ne pas avoir à me montrer tel que je suis, empli de cette inquiétude qui gouverne ma vie, et de la colère qui l'accompagne, de cette rage contre moi-même qui est parfois effrayante mais n'explose au grand jour qu'après l'affront, qu'après le moment où le masque est tombé. Quand je me retrouve seul, me jurant que jamais plus je n'aurai à plier. Jusqu'à la fois suivante.

Une telle accumulation de renoncements a fini par me devenir odieuse. On peut sans doute vivre en étant perpétuellement inquiet, en ne devinant au loin qu'un horizon bouché. Il est plus difficile de le faire avec autant de remords. Ma couardise a eu des conséquences qui sont devenues de véritables blessures qui ne cessent de se rouvrir. Les souffrances qu'elles me causent sont de plus en plus cruelles."

"La peur gouverne ma vie. J'ai l'impression qu'elle a toujours été là, dés mes premières heures de conscience. C'est sans doute faux, mais, même en y repensant bien, je ne trouve que peu de moments de réelle insouciance dans mes jeunes années. Ils ont été effacés par une ombre de plus en plus noire et de plus en plus épaisse qui s'est posée sur moi.

Pourtant, je sais qu'il y a eu un monde avant, avant l'ombre. Je le sais parce que je connais depuis longtemps l'instant où mon monde a basculé et où l'ancien a été condamné à disparaître, petit à petit."

"Votre robe de deuil traîne des feuilles mortes."

"Le jour où mes parents m'ont offert ma chienne, j'étais à la fois heureux et terrifié qu'on ajoute ainsi un être mortel à ma liste déjà trop longue. Je me suis effondré en larmes. Mes parents ont cru que l'émotion m'avait submergé et, bien des années après, racontaient encore l'anecdote avec un mélange d'amusement et de tendresse. Je n'avais pas pleuré de joie ce jour-là.je portais déjà le deuil de ce petit animal que j'ai aimé au premier regard. "

"Je suis parti sur cette piste en sachant qu'il me manquait l'instant qui avait tout fait déraper. Comment on passe de deux adolescents en train de faire zizi-pan-pan à trois cadavres... "

"Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers

Voila comme je vis cette crainte maudite "

Je vais enfin pouvoir donner un visage à mes peurs.