Une âme à sauver

— Rien n'arrive par hasard...

Tirée de mes pensées par le retour de la voix qui m'angoisse au plus haut point, je relève le miroir pour y voir mon reflet. Pourtant, je ne peux me concentrer sur mes yeux.

— Qu'est-ce que...

La couleur crépusculaire de l'espace est sombre dans ce miroir. Noire, ténébreuse, des nuages orageux, des éclairs qui, de leurs flashs, mettent un peu plus en valeur une silhouette qui se trouve derrière moi. Je voudrais détacher mes yeux de ce que j'y vois, mais je ne peux pas.

— Tu verras... Tu verras..., souffle le semi-cadavre qui se trouve à mes côtés, tu passeras par-là, c'est inévitable, je t'y emmènerai, je t'y plongerai...

Ses paroles sont plus animales qu'humaines, elles sont grommelées, agonisantes. Ses cheveux et sa robe déchirée volent dans un vent violent, une pluie torrentielle est déferlée sur ce qui semble être une jeune fille, courbée, comme si c'était une vieille dame qui ne parvenait à redresser son dos correctement, les épaules crispées, tremblantes. Les croassements de millions de corbeaux me rappellent ceux qui voletaient autour de moi quand mon ravisseur m'avait obligée à retrouver le cadavre de son amant. Je suis pourtant consciente que rien de ce qui m'entoure n'est ce qui se produit dans ce miroir, mais mon regard... je ne peux m'en détacher, absorbée par les murmures incompréhensibles de cette silhouette maléfique.

Les éclairs se reflètent dans mes yeux, m'aveuglent, je sens la tempête et la pluie glisser sur ma peau. Aussi finis-je par succomber à la tentation de me rapprocher de cette fillette, ne vois même plus mes propres yeux, comme si le miroir, dont j'ai déjà oublié la forme, était un portail pour accéder à cet endroit encore inconnu.

— Arrête, me conjure une voix lointaine.

Je n'ai que faire de ces paroles. La jeune fille à présent me fait face, comme si elle était mon propre reflet, mais sa tête branlante ne daigne se redresser. Ce que j'aimerais pourtant voir ses yeux. Pouvoir croiser son regard.

— Ha ha ha, rit-elle, démon de mes enfers.

Une volée de chauve-souris surgit de nulle part pour venir engloutir la silhouette, avant même que je n'aie eu le temps de la toucher.

La perspective se perd, la tempête se fait plus lointaine, je ne ressens plus l'eau déversée des nuages noirs sur mes bras ou ma chevelure, les éclairs ne m'aveuglent plus non plus, et seule une masse de chauve-souris et de corbeaux me fait face. Je tente de toutes mes forces de demeurer cet endroit, mais quelque chose me tire par le bras, et je ne parviens pas à lutter face à elle.

Un rire maléfique lointain me rend désireuse de l'approcher, hypnotisée par celui-ci, un rire que j'ai déjà entendu auparavant. Au milieu de l'amas noir et voletant autour de la fille dont je ne connais toujours pas le visage, un regard, jaune vif et enflammé me scrute.