Extraits

Son regard se fit vague. James connaissait ce regard, celui du profileur qui s’apprêtait à rentrer dans la peau d’un individu pour esquisser les grandes lignes de sa personnalité.

— … un manipulateur. Il est cultivé et possède une intelligence supérieure à la moyenne. Il sait ce qu’il veut et il est très doué pour amener les autres là où il le souhaite…

Il ferma les yeux et respira plus fort. Bien que James l’ait déjà vu faire, il n’en restait pas moins impressionné. C’était comme s’il entrait en transe ou s’évadait ailleurs, loin de cette cuisine, quelque part dans les profondeurs de la psyché, là où lui-même n’aurait pas aimé s’aventurer. Cette aptitude à ressentir certaines choses l’effrayait presque et James laissait bien volontiers ce rôle à son partenaire.

— Je dirai qu’il est stable, mais émotionnellement faillible…

- C'est donc décidé, je n'ai pas mon mot à dire...

- C'est mieux pour tout le monde, crois-moi.

- Tu as intérêt à me revenir en forme !

- Je le ferai, promis.

- Trois mois ?

- Trois tout petits mois.

- Trois putains de longs mois !

Cole éclata de rire devant son obstination, mais c'était aussi pour cela qu'il l'aimait. Warren pouvait être charmant et la minute d'après se montrer sous son plus mauvais jour sans même se préoccuper de l'image que ses sautes d'humeur renvoyaient. Il se comportait souvent comme un gamin capricieux avant de faire preuve d'un altruisme insensé. Il pouvait être le plus grand menteur ou tricheur de la planète et glorifier la vérité et la justice la seconde suivante. Rien chez lui n'était normal ou aseptisé. Rien ne l'inquiétait plus que le regard que Cole portait sur lui alors qu'il se moquait royalement de l'opinion publique. Warren était un dangereux sociopathe et un charmeur sans nom, l'ensorcelant d'un mot ou d'un simple geste. Il était tout à la fois et cette dichotomie rendait Cole fou amoureux. Cole détestait la routine et, avec Warren à ses côtés, il n'aurait plus jamais à la craindre.

— C’était quoi, ça ? s’enquit James éberlué.

Les lèvres de Cole esquissèrent un sourire alors qu’il continuait à rouler, sentant son cœur s’emballer.

« Ça », songea-t-il, c’était Warren, son sauveur.

Son homme.

Il en ressentit une telle allégresse qu’il retint de justesse un bel éclat de rire. S’il s’y était abandonné, James, dont la pâleur était alarmante, l’aurait, à coup sûr, pris pour un fou.

— C’est vraiment toi qui as cuisiné ? demanda Cole alors que Warren soulevait le couvercle de la marmite d’où s’échappait un agréable fumet. Ou est-ce encore l’un de tes vils mensonges ?

— C’est moi. J’ai suivi des cours de cuisine avec un grand chef français.

— Le contraire m’aurait étonné.

— Je ne dis pas ça pour me vanter, je le dis juste pour ton information, que tu apprennes à me connaître.

— Tu es un homme raffiné, je n’en ai jamais douté. Juste prétentieux, ça, c’était un oubli regrettable de ma part.

— Je ne me vante pas, je t’informe.

— Bon, si nous commencions, s’impatienta Caldwell.

Il hésitait entre rire de leurs chamailleries incessantes ou laisser libre cours à sa frustration d’être relégué au rôle de simple spectateur.

Il y avait toutefois quelque chose de fascinant à suivre leur interaction, quelque chose de particulier, difficile à expliquer. James trouvait fabuleuse la façon dont ils pouvaient se balancer des horreurs à la figure sans paraître touchés. Il n’avait jamais, à ce jour, assisté à l’implication de deux hommes dans une relation et de comprendre qu’aucun d’eux ne faisait de compromis ni n’épargnait l’autre, l’impressionnait.

« — Rien, cela n’a pas d’importance. J’ai juste besoin de toi.

— Tu n’as besoin de personne Warren.

Warren l’observa un instant, sa main toujours dans la sienne. La peur qui se cachait derrière ce portrait peu flatteur lui apparut soudain comme une évidence. Il venait de comprendre les raisons qui poussaient son amant à garder ses distances, à refuser de s’investir dans leur relation, et d’accepter ce qui lui était offert. Cole Walsh avait tout simplement peur de le perdre. Et cette découverte lui fit battre le cœur plus fort.

— Tu te trompes. J’ai vraiment besoin de toi. »

— Oui ?

— Je l’ai trouvé.

Son interlocuteur mit quelques secondes à réagir.

— Et comment cela s’est-il passé ?

— Bien.

— Il se doute de quelque chose ?

— Non.

— Y a-t-il une chance que tu renonces ?

— Non, il le faut.

— Je comprends… Il sait ?

— Non

Oh seigneur ! L’écho de ce rire déclencha un vibrato qui ricocha sous son crâne et se propagea comme une traînée de poudre dans chacune de ses terminaisons nerveuses. Cole en resta interdit. Lui, qui ne laissait jamais aucun homme l’émouvoir – trop de complications pour si peu d’avantages – se sentit devenir nerveux dans des proportions inquiétantes.