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Cela fait huit mois que je suis arrivée à la Casse. Un parcours presque classique pour les gens comme quoi qui, de catastrophe en dégringolade, n’ont plus leur place dans une société qui ne veut pas s’embarrasser de ses pauvres. Ici, j’y suis venue comme à l’alcool, par erreur et par fatigue, alors que je savais qu’il ne fallait pas ; alors que je connaissais les rumeurs, j’avais vu un ou deux reportages – pour ce que les journalistes, systématiquement refoulés, arrivaient à savoir. Une ville de misère tenue par cette étrange mafia locale, un lieu sans retour : que les pauvres aillent s’entretuer loin de nous ! Et qu’ils n’y reviennent pas.
Afficher en entierIl y eut ce temps où les carcasses des voitures hors d’usage étaient emportées par les camions des ferrailleurs, détruites à coups de barres de métal ou de blocs de béton. Sur la route on croisait parfois ces convois insolites, ces empilements de couleurs fracassées, sanglées sur des plateaux ou serrées dans des bennes rouillées à force d’essuyer les chocs des voitures jetées là. Il en tenait onze ou douze sur chaque poids lourd.
Au terme de leur dernier voyage, des broyeurs les déchiquetaient : des machines terribles, des cages et des entonnoirs au fond desquels deux rouleaux armés de dents ou de lames brillantes tailladaient, hachaient, brisaient. Les voitures rebondissaient sous les coups, fuyant et tressautant, retombant toujours dans les mâchoires d’où elles remontaient chaque fois amputées d’une pièce de carrosserie ou de mécanique. Etrange spectacle d’un objet déjà mort, peu à peu dévoré par ce que je ne pouvais m’empêcher de comparer à la gueule d’un immense prédateur. Ce n’étaient que de vieilles autos mais un curieux malaise me tenait le ventre en les voyant se raccourcir, rongées et avalées une à une, saisies dans des postures qui auraient pu être humaines et échappant aux rouleaux avant de se résigner en se tordant dans tous les sens.
Afficher en entierBon Dieu, cet endroit, c’était un bidonville, un vrai, au cœur de notre pays bien civilisé, au XXIe siècle. Partout, des gens désœuvrés fumaient, discutaient, attendaient, adossés aux voitures. De vieilles casseroles chauffaient ici et là sur des feux de bois. Le sol n’était qu’un champ de terre à force d’être piétiné par des milliers de pieds qui tournaient en rond, des enfants faisaient la sieste sur les banquettes des voitures. Et ça, c’était ma nouvelle ville. La préhistoire, version Mad Max ou pire.
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