Une femme amoureuse / Piégés par le désir

** Extrait offert par Susan Crosby **

-- Une femme amoureuse --

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La semaine avait été interminable, songeait Joe. Une véritable séance de montagnes russes du début jusqu’à la fin. Mais on était samedi soir, ce qui signifiait qu’un groupe de musiciens se produirait sur la petite scène du Stompin Grounds, un bistrot local connu depuis quarante ans pour sa bière et ses hamburgers. Il n’avait pas souvent manqué ces concerts du samedi soir.

La décoration fanée de la salle trahissait son âge, mais il était rare que quiconque la voie en pleine lumière. Les éclairages dissimulés dans les roues de chariot suspendues au plafond ne dispensaient qu’une lumière à peine suffisante pour distinguer les solitaires qui pleuraient dans leur bière des couples d’amoureux qui s’embrassaient discrètement dans les coins. Les clients eux-mêmes n’auraient toléré aucun changement. Ils aimaient les vieilles tables de bois marquées par le temps et l’ambiance bon enfant de l’établissement.

Appuyé au bar, une chope de bière à la main, il se remémorait son premier samedi soir au Stompin Grounds. Dixie et lui fêtaient leurs anniversaires à un jour d’intervalle. Joe était plus âgé de vingt-quatre heures. Le soir de son vingt et unième anniversaire – l’âge de la majorité dans leur Etat –, ses frères l’y avaient invité pour lui offrir sa première chope, puis sa deuxième et sa troisième.

Dixie n’avait pas été conviée, vu qu’elle était encore techniquement mineure au début de la soirée, mais elle était venue les rejoindre juste après minuit. Joe en était à sa quatrième chope de bière et, pour reprendre l’expression de son frère Jake, sans être ivre mort, il était au stade de la « bienheureuse stupeur ».

Dans son état d’esprit actuel, il aurait pu se laisser aller à répéter cette expérience. Et, pour éviter la tentation, il avait invité Jake et Keri, son épouse, à l’accompagner.

Il sirota sa première bière de la soirée en observant distraitement son frère et sa belle-sœur enlacés sur la piste de danse, profitant d’une rare soirée de liberté sans Isabella, leur fille de sept mois. Le juke-box diffusait une musique langoureuse et, collés l’un à l’autre comme s’ils ne faisaient plus qu’un, Jake et Keri ne prenaient guère de place sur la piste.

Il spécula sur la conception possible d’un nouveau McCoy le soir même. Il se souvenait que Dixie et lui étaient repartis d’ici plus d’un samedi soir délicieusement émoustillés d’avoir dansé ensemble, pour finir leur soirée dans un tendre corps à corps. Si Dixie n’avait pas pris la pilule…

Viendrait-elle aujourd’hui ? Ces soirées du samedi étaient devenues une tradition tant pour elle que pour lui, une habitude qu’ils avaient maintenue même après leur rupture. La différence étant que, depuis un an, ils faisaient mine de s’ignorer dans la foule.

Dixie était venue lui apporter des documents à signer deux jours plus tôt. Elle avait l’air en pleine forme. Pressée mais en même temps détendue. Excitée et heureuse. Cela faisait une éternité qu’il ne l’avait pas vue aussi épanouie, ce qui l’incitait à conclure qu’il avait bien fait de mettre officiellement un terme à leur relation.

Il avait entendu dire qu’elle avait engagé Bruno Manning pour les travaux de rénovation du salon. Bruno était un très bon artisan, mais il était notoirement imprévisible, et Joe s’étonnait qu’elle n’ait pas retenu Kincaid pour ce chantier. Y avait-il quelque chose entre eux ? Des tensions dont il n’était pas conscient ?

Les musiciens étaient presque prêts à attaquer leur premier morceau. Ils testaient les micros, réglaient le volume du son par-dessus la musique du juke-box, qui jouait toujours en bruit de fond. Au milieu de cette cacophonie, Joe était assailli par un flot de souvenirs. C’était dans cette même salle, devant ces mêmes musiciens et cette même foule, qu’il avait publiquement demandé Dixie en mariage, un an plus tôt.

Ils avaient commencé la soirée chacun à une extrémité de la salle parce qu’ils s’étaient disputés deux semaines auparavant. Il avait réussi à pousser sa patience à bout, et elle avait même déménagé. Il savait qu’il allait la perdre s’il n’agissait pas rapidement et il lui avait demandé de l’épouser devant toute la ville. Elle avait accepté. Ensuite, ils avaient vécu quelques jours de bonheur sans nuage – jusqu’à ce qu’elle lui demande de fixer la date de la cérémonie.