Extrait

Au mur de la salle de bains, l’affiche. L’ovale parfait d’un visage de femme. Elle semble sortir de l’eau ; ses épaules sont encore humides, de ses cheveux relevés négligemment quelques mèches glissent sur son cou. Les doigts de sa main droite effleurent sa joue, font pénétrer dans une douce caresse la crème dont l’affiche vante les mérites. Un petit pot blanc et doré, en bas, à droite, un nom: Juventus.

Dans la grande glace de la salle de bains, deux visages côte à côte : un homme et une femme. Chaque matin, leur reflet dans le miroir, quelques secondes. Une habitude quotidienne. Il a quarante ans, elle un peu moin s: ils sont beaux. Sur l’affiche, qui doit dater des années quatre-vingt-dix, c’est la grand-mère de la femme qui pose.

À cette époque, pour éviter les rides, on mettait des crèmes. Parfois même on se faisait tirer la peau – on disait « lifter » –, quelle barbarie ! Quand on pense qu’on devait en passer par là ! Et pour gagner quoi ? Quelques années ! Quelle misère ! Aujourd’hui on a beaucoup mieux. Et c’est à l’époux de la femme qui pose sur l’affiche qu’on le doit. Le créateur de la crème Juventus était tombé si fort amoureux du mannequin qu’il l’avait d’abord épousé avant de chercher jour et nuit à lui conserver sa beauté. Les crèmes n’y suffisaient pas. Il avait fini par trouver le remède miracle mais, hélas ! elle était déjà vieille et l’invention ne permettait pas de remonter le temps.