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"La ballerine parfaite à une petite tête, des épaules tombantes, de longues jambes, de grands pieds et une cage thoracique étroite"
Elle releva les yeux et me dévisagea, en adoration.
"C'est toi, me dit elle à voix basse. Tu es parfaite."
Afficher en entierJe suis née à Kansas City, dans le Missouri, j’étais la deuxième fillette de ma mère, son quatrième enfant. Deux maris plus tard, ce chiffre aurait encore grossi, nous serions six. Et, quand ma maman fourra nos petites vies dans un bus en partance pour l’Ouest, notre famille s’engageait là dans un schéma qui nous définirait, nous, mes frères et sœurs, et toute mon enfance : boucler nos bagages, décamper, s’en aller – survivre, de justesse.
Afficher en entierDepuis l’époque de mes deux ans, ma vie n’a été que mouvement.
C’était l’âge que j’avais quand ma mère nous fit monter, ma sœur, mes frères et moi, à bord d’un bus Greyhound, à Kansas City. Nous quittions mon père.
J’étais la plus jeune, j’avais ses lèvres et son nez – je ne le saurais que bien des années plus tard. Je ne possédais pas de souvenirs ou de photographies de lui pour me le rappeler, et lorsque je l’ai revu, j’avais vingt et un ans, j’étais danseuse, je sillonnais le monde avec l’American Ballet Theatre et Doug Copeland n’était pour moi qu’un monsieur d’âge mûr aux tempes grisonnantes.
Afficher en entierNous avions beau être nombreux, Harold nous ménageait à chacun des moments qui nous donnaient l’impression d’être son unique enfant. Je me souviens, j’aimais tant les graines de tournesol que mes sœurs et mes frères avaient fini par me surnommer l’Oiseau. Je fais remonter cette obsession à l’époque où je m’installais à côté d’Harold dans le canapé, nous n’étions rien que tous les deux, nous nous enfournions les graines dans la bouche, croquions ces cosses salées. Maman détestait, parce que les cosses roulaient entre les coussins, faisant des saletés. Les souvenirs de ces après-midi me restent précieux.
Afficher en entierÀ cet instant, je m’en rends compte, ce que je ferai ce soir sur scène importe peu. Ils sont tous ici pour moi, avec moi, ici pour celle que je suis, pour ce que représente cette soirée. Je me précipite sur scène et me sens transformée. Approchant du centre du plateau, ma volée d’oiseaux se scinde, me laissant seule, debout. Il y a une brève seconde de silence, avant que le public n’éclate une fois encore en applaudissements, frappant si fort dans ses mains que je parviens à peine à entendre la musique.
Et c’est ainsi que tout commence.
Afficher en entierL’heure de la représentation approche. Je suis soliste depuis cinq ans, nous avons tous les onze une loge individuelle. Je ne l’ai jamais utilisée. Je préfère l’atmosphère de camaraderie réconfortante du vestiaire que partagent les danseurs du corps de ballet. J’ai été six ans membre de ce corps de ballet, c’est avec eux que j’ai envie de rester, de me préparer à mon premier rôle de première danseuse dans une chorégraphie classique, entourée de l’affection de mes amis. Entre nous, alors même que je vais danser le rôle principal, rien ne semble avoir changé. Cela, au moins, me procure un peu de normalité en cette soirée hors du commun.
Afficher en entierLorsque le public entre dans la vénérable enceinte du Metropolitan Opera, il découvre le foyer, ses dorures, les loges luxueuses des abonnés, sa scène imposante. Derrière le plateau, il y a des studios de répétition où les exécutants peuvent peaufiner leur magie, en glissant une ultime séance de répétition avant le lever de rideau.
Afficher en entierJe sais que je ne posséderai jamais la technique du ballet à la perfection – jamais. C’est pourquoi j’aime tant cela. Bien qu’en treize ans j’aie exécuté tous ces mouvements dans ce même studio de répétition un million de fois, je ne suis jamais gagnée par l’ennui. C’est mon refuge, où je peux expérimenter. Je transpire, je grogne, je lâche des grimaces qui seraient inacceptables sur la scène du Metropolitan Opera. C’est le moment où je repousse mes limites, pour que mes interprétations en public paraissent pleines d’aisance, de fraîcheur.
Afficher en entierLe ballet n’est jamais que la version stylisée, à une échelle majestueuse, de ces mouvements en apparence basiques. Si la force et l’élégance élémentaires d’une séance à la barre étaient du même ordre que d’enfiler une petite robe noire toute simple, le défi de danser l’intégrale d’un ballet en trois actes serait comme d’apprendre à accessoiriser pour toutes sortes d’occasions. Je dois savoir si j’ai envie d’y ajouter une touche d’insolence ou de nostalgie, ou, comme ce sera le cas ce soir, l’énergie exotique, surnaturelle de cet Oiseau de feu mythique.
Afficher en entierCe matin, ma séance d’échauffement à la barre n’aurait rien d’étonnant pour n’importe quelle danseuse de ballet, qu’il s’agisse d’une apprentie danseuse à Moscou ou d’une fillette de sept ans prenant son premier cours de danse à Detroit. C’est une série d’exercices à la structuration tout à la fois lente et fragmentaire – parfaitement conçue pour m’amener ensuite au milieu, où je pourrai danser librement, sans la barre, chaque mouvement constituant une version décomposée de ce que seront les solos de ce soir. Je commence par des pliés, des flexions du genou de plus en plus profondes destinées à m’échauffer les jambes tout en leur procurant le soutien dont elles ont besoin. J’effectue ensuite la transition vers des mouvements plus amples, le rond de jambe, où celle-ci décrit un cercle, avant de fléchir en fondu, dans un développé progressif des hanches et des genoux. Je termine par un port de bras, avec étirement du torse latéral puis vers l’avant.
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