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Se pouvait-il qu’il ait le pouvoir de l’apaiser, lui aussi ? Par sa simple présence ? Lorsqu’il attrapa sa petite main au vol, celle-ci se referma aussitôt sur son doigt pour ne plus le lâcher. Et il se retrouva pris au piège, contraint de rester accroché jusqu’à ce que sa mère ne revienne.
Afficher en entier«Quelle est l’étape suivante?» se répétait Anna en regardant d’un air hagard la foule s’affairer autour d’elle. Assise sur sa grosse valise comme une bernique sur son rocher, la jeune femme aurait bien fui en courant, renversé tout sur son passage, hurlé à qui voulait l’entendre, mais elle restait prostrée sans pouvoir ouvrir la bouche. Depuis qu’elle avait posé le pied sur le tarmac, le doute embrumait son esprit. Et si elle repartait en sens inverse ? Loin de Brest, sa terre natale ? Son ventre avait beau la tirailler, ses chevilles la brûler, ces désagréments lui paraissaient bien futiles par rapport à l’autre douleur. Ce nœud coulant qui la serrait jusqu’à l’étouffement. Tout l’agressait ici : la musique d’ambiance de l’aéroport, le couinement des chariots à bagages, les odeurs de sandwichs jambon-beurre, les consonnes explosives des inscriptions en breton Aerborzh etrebroadel Brest-Breizh... Comme si, ici, la réalité était plus brutale qu’ailleurs. Que tout était là pour lui rappeler le manque de l’autre. La renvoyer à sa vie d’avant, heureuse et insouciante, au goût du « tout est possible, tout s’ouvre à nous ». Alors que faire ? Maintenant qu’elle se trouvait engluée dans cet après amer au goût du « plus jamais ». En Argentine, elle avait réussi à faire face, à tenir debout, comme si l’exotisme était capable d’atténuer le mal, de donner un caractère irréel à l’horreur.
— Besoin d’aide,mademoiselle?
Bob vissé sur la tête, moustache garnie, banane autour de la taille, un homme, penché au-dessus d’elle, lui souriait avec curiosité. Elle reconnut le passager assis quelques rangées devant elle dans l’avion. Il était de ceux qui possèdent des radars pour capter la détresse des autres et sont toujours prêts à venir en aide. Il s’était retourné plusieurs fois dans sa direction, cherchant à capter son regard. Et maintenant qu’il était libéré de sa ceinture de sécurité, elle ne pouvait plus faire semblant de l’ignorer.
— No, todo está bien, gracias, répondit-elle sèchement avec l’accent le plus prononcé possible pour le dissuader d’entamer la conversation.
Il était temps de réagir avant que tout l’aéroport s’inquiète de sa présence. Bouger, se lever, avancer. Mais pour aller où? Quelle était l’étape suivante? Annoncer à la terre entière qu’Anna – la pétillante, l’exaltée, la forte tête – était revenue ? Revenue seule, ou presque. Meurtrie. Cassée. À terre. Les événements heureux de la vie avaient l’habitude d’être criés sur les toits, mais les drames? Ceux-là se transmettaient en cachette, par messes basses entrecoupées de formules toutes faites comme «la pauvre», «la vie ne tient qu’à un fil », « le temps adoucira sa peine ». Comment échapper à cela ? Qui serait capable de venir la chercher sans lui poser de questions ? Un seul nom lui vint à l’esprit: Matthieu. Son cousin était comme un frère pour elle. Depuis l’enfance, elle ne savait pas qui suivait l’autre. Qui avait décidé le premier de se lancer dans les études de médecine ? De vivre en colocation ? De partager le même groupe d’amis ? Le seul moment où leurs chemins avaient bifurqué, c’était l’année dernière quand elle avait décidé de suivre Eduardo en Argentine. Et même s’il passait son temps à la titiller, à la pousser dans ses retranchements, cet ours mal léché avait toujours été là pour elle. Toujours. Et il ne lui fallut que quelques mots pianotés sur son téléphone – juste l’essentiel : « Je suis rentrée, je t’attends à l’aéroport» – pour que Matthieu débarque dans la demi-heure. Sa démarche assurée, rapide, imposante, traversa la foule comme une flèche avant de ralentir à quelques mètres de sa cible.
Cette femme au milieu du hall de l’aéroport, avec ses longs cheveux noirs, sa peau de neige ensoleillée, il l’aurait reconnue entre mille. Pourtant, depuis le jour de son départ en Argentine, son corps racontait une tout autre histoire. Une histoire pleine de contrastes. L’ombre d’un drame se lisait sur son visage où quelques rides s’étaient creusées autour de ses grands yeux ternes. Et ce profil tout aussi inattendu. Tout en rondeurs, comme l’éclosion d’une fleur.
— Ne dis rien, le supplia-t-elle en battant des cils. S’il te plaît, ne dis rien.
Et Matthieu garda le silence. Après tout, il avait déjà une partie de l’histoire. Le reste viendrait plus tard. Anna aimanta sa main et se laissa guider sans réfléchir.
— Tu n’es pas contre une virée en bateau,j’espère ? proposa-t-il avec le demi-sourire dont il était coutumier.
Anna secoua la tête, et le nœud coulant la laissa enfin respirer. Le berceau de la famille, pourquoi n’y avait-elle pas pensé? Voilà où se déroulerait l’étape suivante. Dans ce refuge pour âmes cassées. Loin du monde, de Brest. Loin de sa réalité.
— Qui voit Groix voit sa joie, murmura-t-elle pour se donner du courage.
Afficher en entierC'était plus fort qu'elle : la vie était parfois si dure, injuste, qu'elle avait l'impression qu'en faisant comme si l'horreur n'avait jamais existé, en jouant les naïves, elle la rendait plus supportable et plus légère. Plus poétique même. N'était-ce pas la même chose avec toutes ces croyances et superstitions ? Une manière d'éviter l'inacceptable ? De vouloir tout contrôler ?" (p 147)
Afficher en entierTout l’agressait ici : la musique d’ambiance de l’aéroport, le couinement des chariots à bagages, les odeurs de sandwichs jambon-beurre, les consonnes explosives des inscriptions en breton Aerborzh etrebroadel BrestBreizh… Comme si, ici, la réalité était plus brutale qu’ailleurs. Que tout était là pour lui rappeler le manque de l’autre. La renvoyer à sa vie d’avant, heureuse et insouciante, au goût du « tout est possible, tout s’ouvre à nous ». Alors que faire ? Maintenant qu’elle se trouvait engluée dans cet après amer au goût du « plus jamais ».
Afficher en entierElle feignit d’être offusquée, mais son sourire illuminait son visage. Moche. Il aurait fallu être fou pour l’affubler d’un tel adjectif ! Même sans maquillage, les cheveux en pétard, Marie-Lou rayonnait, pleine de sensualité. C’était juste indécent !
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