Extraits

- Ça c'est du grec, disait le docteur.

- Et ça veut dire quoi?

- Ça veut dire qu'elle parle grec.

Tout le monde admira le raisonnement.

-Tes amis aviateurs disent que tu n'aiment pas faire la fête.

La musique s'arrêta. Il haussa les épaules.

- Chacun sa fête, dit Paul.

Le petit garçon serrait son mouchoir entre ses doigts. On distinguait sur le fond bleu nuit un grand V brodé d'or.

V comme Vango.

Un petit conseil d'homme sage: vous n'irez jamais très haut en ne changeant pas d'avis.

-J'irai plus haut que vous, Herr Doktor, brailla-t-il.

-Oui, en effet, vous irez bien haut...dans votre arbre...Mais moi, je vous parlais du ciel.

Vango n'était pas un orphelin comme les autres. Il était l'héritier d'un monde englouti. Il se rapprocha d'Ethel. Une hirondelle piqua sur eux, remonta. Si elle avait passer au milieu d'eux, elle n'aurait pas trouvé la place entre leurs corps.

Il escaladait maintenant le plus beau vitrail du monde, comme une araignée sur sa toile.

Mademoiselle était une magicienne de la cuisine.

Sur son petit fourneau de pierre, au bord de cette île perdue en Méditerranée, elle faisait chaque jour des merveilles qui auraient fait pleurer les gastronomes des plus grandes capitales. Au fond de ses poêles profondes, les légumes faisaient une danse ensorcelante dans des sauces dont l'odeur montait à la tête et à l'âme. Une simple tartine de thym devenait un tapis volant. les gratins vous tiraient des larmes alors que vous n'aviez pas encore passé le pas de la porte. Et les soufflés...Mon Dieu. Les soufflés seraient allés se coller au plafond tant ils étaient légers, volatils, immatériels. Mais Vango se jetait dessus avant qu'ils ne s'évaporent.

Mademoiselle préparait des soupes et des feuilletés impossibles. Elle faisait lever à la main des mousses au parfums interdits. Elle servait le poisson dans des jus noirs au goût d'herbes inconnues qu'elle trouvait entre les pierres.

Vango avait cru longtemps qu'on mangeait ainsi dans toutes les maisons. Il n'avait d'ailleurs jamais rien goûté en dehors de chez lui. Mais, depuis le jour où l'on avait fait venir le docteur pour une pneumonie du petit garçon, quand il avait cinq ou six ans, il avait compris que Mademoiselle n'était pas une cuisinière comme les autres.

Le docteur Basilio s'était invité à déjeuner. lui qui était si bavard n'avait pu dire un mot du repas. Il mangeait en fermant les yeux. Il avait embrassé Mademoiselle quatre fois sur les deux joues en repartant.

Il était revenu le soir, par hasard, à l'heure du souper, reprendre le pouls de Vango. Et le lendemain à midi. Le soir à nouveau. Par hasard. Chaque fois, il s'était assis à table, un peu gêné au début, puis de moins en moins.

Quand Vango s'était trouvé complètement sur pied, le docteur avait eu l'air si affligé de cette guérison que Mademoiselle lui avait proposé de venir déjeuner les lundis.

C'était devenu une habitude. Le docteur était la seule personne étrangère qui entrait dans la maison de Pollara.

-Vous vous fichez de moi ! Ne me dites pas que vous ne savez pas sa date de naissance !

Cette fois, le visage de Bastide s'éclaira.

-Ah, si... Sa date de naissance, je peux vous aider.

Intéressé, le lieutenant Avignon, derrière Boulard, sortit son carnet.

-Autour de 1915, dit Bastide. Ou peut-être 1916.

Boulard serrait les dents.

-Ou 14, ajouta tout timidement le chanoine Bastide.

Augustin Avignon venait de noter les trois années sur son carnet.

-C'est aussi précis que la date de naissance d'Abraham

Vango n'était pas un orphelin comme les autres. Il était l'héritier d'un monde englouti.

Il se rapprocha d'Ethel.

Une hirondelle piqua sur eux, remonta.

Si elle avait voulu passer au milieu d'eux, elle n'aurait pas trouvé la place entre leurs corps.

"Quand on observe les flocons qui passent en un point, l'ennui nous submerge, mais quand on suit un flocon, un seul, depuis tout là-haut, quand on suit sa voltige, c'est l'aventure, c'est l'ivresse."