Extraits

« Rentre bien, Père Jazz.

Il lui fallut du temps pour taper la réponse, car ses doigts tremblaient trop.

Si tu pouvais revenir en arrière et parler à ton toi de l’époque, qu’est-ce que tu lui dirais ?

Il fallut une bonne minute pour qu’une bulle indiquant une future réponse apparaisse, et elle disparut et réapparut trois fois avant de rester pour un temps indéterminé. Lorsque la réponse arriva, Jasper eut l’impression qu’il avait retenu son souffle bien trop longtemps.

Je me dirais de ne pas avoir autant peur. D’essayer de communiquer avec ma mère et mon père. Je me dirais d’essayer de dépasser mes limites auto-imposées parce que la cage n’est pas réelle.

Jasper fixa le texto tandis que le monde s’obscurcissait autour de lui. Une autre bulle de réponse apparut :

J’en ai trop dit ? Tu pensais plutôt aux chiffres du Loto de la semaine dernière ? Ou simplement à pas de drogues ?

Non, répondit Jasper. Ta réponse était parfaite. »

« — Jusqu’à un certain point, oui. C’est devenu douloureux après un moment et ensuite j’ai juste acheté les albums. Les chansons étaient…

Il baissa les yeux.

— Elles n’étaient pas trop dures à comprendre.

— Parce qu’elles parlent de toi.

— Je ne pouvais pas m’empêcher de les acheter.

Jasper gloussa, mais c’était un rire souligné par une touche d’amertume.

— Tu sais que j’ai toujours été vaniteux et je dois admettre qu’une partie de moi voulait voir ce que tu chanterais à mon sujet la fois suivante.

Sa gorge claqua lorsqu’il avala, la honte s’affichant insidieusement dans son expression.

— Je ne savais jamais ce que je préférerais quand je voyais un nouvel album sortir : que tu sois passé à autre chose et que tu aies trouvé quelqu’un d’autre sur qui écrire tes chansons, ou que tu écrives toujours des chansons pour moi. Un homme vraiment bon, un bon prêtre aurait voulu que tu trouves l’amour et le bonheur, et il l’aurait voulu de tout son cœur.

Jasper se racla la gorge et secoua la tête, ses yeux brillant dans la faible lumière.

— Je n’ai jamais admis ça auparavant. Peut-être même pas à moi-même. Nicky, il est possible que je ne sois pas un très bon prêtre. »

Il fit tourner la balle sur un index et adressa un sourire espiègle à Nicky.

— Un petit truc que j’utilise pour impressionner les gamins.

— Sexy.

Jazz sourit, puis cessa de crâner pour faire un autre bank shot facile. Un peu trop désinvolte, il dit :

— Eh bien, c’est naturel. Que veux-tu ?

Nicky renifla et attrapa la balle sous le panier.

— Et est-ce que les prêtres ont le droit de flirter ?

L’expression de Jazz devint sérieuse.

— Désolé. Je ne voulais pas te faire marcher ou agir comme s’il y avait une chance de… pour quoi que ce soit. Mais j’aimerais que nous soyons amis. Ça m’a manqué de ne pas t’avoir dans ma vie et, si je peux satisfaire ma fierté encore – encore quelque chose qu’il faudra que je confesse…

— Traîner avec moi, c’est bon pour accumuler les péchés.

Jazz leva les yeux au ciel. C’était adorable et Nicky voulut l’embrasser, mais cela ne risquait pas d’arriver et ce que Jazz proposait était plus que ce à quoi il s’attendait.

— Tu as besoin d’un ami, Nicky, et je pense que tu as besoin d’une personne bonne dans ta vie ; quelqu’un qui tient à toi et qui veut le meilleur pour toi. Quelqu’un qui ne veut pas te bourrer de drogue et te remettre sur scène. J’ai lu quelques trucs sur l’addiction et j’ai trouvé cet article qui parlait de l’importance de se lier à des êtres humains qui sont profondément gentils, qui veulent construire des relations quotidiennes sérieuses. Si tu peux laisser tomber le passé, je peux être cet ami. J’aimerais l’être.

— Pourquoi ? Je suis sûr que tu as beaucoup d’amis.

— Oui. Mais je n’ai qu’un seul Nicholas Blumfeld dans ma vie et il m’a vraiment manqué.

Jasper déglutit.

— Je ne l’avais pas réalisé jusqu’à ce que je te revoie.

— Redis ça ?

Jazz croisa ses bras sur son torse dans une posture défensive.

— Que tu m’as manqué ?

— Mon nom.

— Nicholas Blumfeld ?

— Oui.

Nicky se gratta le sourcil avec son pouce.

— D’accord, marché conclu. Promets-moi seulement que tu ne m’appelleras jamais Nico Blue.

- Tu sens toujours tellement bon, marmonna-t-il en enfonçant son visage dans le cou de Jasper. Je crois que c'est la dernière chose que j'ai oublié de toi. Ton odeur. J'ai oublié ta voix d'abord, et j'ai pleuré des jours quand j'ai réalisé que je n'arrivais pas à m'en souvenir. Et ensuite, j'ai oublié la couleur de tes yeux, même si cette foutue photo de The Atlantic a prouvé que je n'avais pas oublié du tout.

— Je ne veux pas, dit Nicky.

Sa voix semblait minuscule, comme s’il était le petit Nicky qui avouait avoir cassé le Jésus en porcelaine de Chine de Mme Hendricks, que sa grand-mère lui avait légué, et qui espérait être aimé pour ça, qui espérait être entouré par des bras miséricordieux et se voir dire que tout allait bien. Que tout irait bien !

Harry n’était ni Adrian ni Miriam Blumfeld.

— Allez, mon grand. Ça va te réveiller. Juste un peu pour te donner du tonus, et une fois sur scène, tu seras en train de voler. Tu entends ça ?

Harry donna un coup de tête sur le côté.

Ni-co, Ni-co, Ni-co.

— Je suis fatigué, Harry.

— Ouais. J’en ai rien à foutre.

Bye bye, gentil Harry.

— Il y a cinq mille personnes là-bas qui t’attendent. Bouge ton cul et sors d’ici.

Il coupa trois rails et tapota la table avec la lame.

— Fatigué, ce n’est pas dans la description du poste, Nico.

Nico Blue.

Rends-moi fort. Donne-moi ce dont j’ai besoin pour être un meilleur prêtre ; un meilleur serviteur. Guide-moi sur le chemin que Tu veux que je prenne, Seigneur.

Une vague de chair de poule courut le long de tout son corps, depuis le bout de ses doigts et sur ses bras, par-dessus ses épaules et le long de son dos, jusqu’à ce que les poils sur ses mollets se dressent et qu’il frémisse légèrement. Jasper ouvrit les yeux et sourit doucement.

Andrew se racla la gorge.

— Donc…

Il jeta un coup d’œil au sac en papier.

— Vous allez manger en marchant ?

— C’est ça.

Jasper resta un instant sans rien ajouter, puis il rit dans sa barbe et ouvrit le sac.

— Et je vais partager avec vous.

Il regarda les yeux d’Andrew scintiller sous ses sourcils blancs broussailleux.

— Mais seulement parce que nous sommes dimanche.

Andrew rit et acquiesça, acceptant la moitié d’un pain à la cannelle collant. Ils s’étaient arrêtés de marcher, et Andrew tourna son visage vers le ciel pour prendre le soleil. Après un moment de silence, il dit :

— Ça va être un bel été, Père Hendricks.

Les sourcils de Jasper se levèrent avec curiosité alors qu’il mordait dans le pain encore chaud. La cannelle se répandit sur sa langue.

— Vous croyez ? demanda-t-il, plus pour entendre le raisonnement d’Andrew que parce qu’il en doutait.

Pour sa part, l’été ne pouvait être plus beau.

— Hum.

Le diacre leva les yeux vers Jasper.

— Un été intéressant. Mais un bon été.

Sur cette assertion énigmatique, Andrew s’éloigna et Jasper le suivit, un peu perplexe, mais pas inquiet. Son ami avait toujours été… pas vraiment étrange, mais en tout cas différent.

Nicky repoussa le rideau et sortit dans la nef. Tandis qu'il s'éloignait, il aurait voulu entendre le bruit de Jazz tirant le rideau et courant après lui. Mais dans le silence de l'église, une pause gonflée, enceinte, qui donnerait naissance à tout ce qui allait suivre, Nicky reconnut le souhait comme étant le même déni dans lequel il avait vécu pendant des années, et il le rejeta. Cela faisait mal comme de laisser son bras au sol derrière lui, et il s'en alla les jambes flageolantes avec un besoin d'héroïne qui atténuerait la douleur. Il repoussa ses cheveux de devant ses yeux. Il avança.

Breathe in : misguided, broken sighs

Spit out : crucifixes and stigmata lies

Inspirer : soupirs maladroits, saccadés

Expirer : mensonges de crucifix et de stigmates

Des paroles et de la musique glissèrent dans son esprit et il songea à sortir son téléphone de sa poche pour les chanter dans l'enregistreur vocal, mais quel intérêt ? Jusqu'à ce qu'il puisse se retaper, la musique était aussi malade que lui. Si c'était une chanson qui voulait être chantée, elle serait là lorsqu'il serait guéri. Lorsqu'il ne serait plus brisé.

Nicky hocha la tête. Jasper ferma les yeux et pressa encore la main de Nicky sur sa bouche.

Je t'aime, chuchota-t-il.

Nicky lui fit un petit sourire triste.

Je sais.

"C'était toi et le manque de toi, et moi avalant toutes les queues du monde en espérant combler cet endroit à l'intérieur qui voulait juste ton foutu sourire ; ta main dans la mienne. Juste ta présence. juste t’entendre respirer. Ca aurait suffi"