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Plusieurs mois s’écoulèrent. Les murs de la cité étaient toujours solides malgré leurs sept siècles d’existence. Érigés en pierre par les hommes de la Legio VI Victrix au deuxième siècle, ils protégeaient alors une superficie d’une vingtaine d’hectares où vivaient autrefois six mille légionnaires romains. C’est ce fort romain, Eboracum, qui fut abandonné puis conquis par les Anglo-saxons au cinquième siècle, et c’est derrière ces épaisses murailles que fut bâtie la ville d’Eoforwic.
Les Anglo-saxons avaient maintenu les murailles en bon état, comprenant l’importance d’un mur de pierre. À certains endroits, les pierres ébréchées avaient été remplacées par des nouvelles ; à d’autres endroits, là où le mur était partiellement effondré, l’on avait reconstruit des palissades que l’on avait hérissées de pieux et protégées de fossés.
Les fils de Ragnarr savaient qu’ils pouvaient conquérir la ville, leurs forces dépassant de loin celles des défenseurs. Björn prit l’initiative d’avancer près des murailles, monté sur un cheval, et hurla qu’il souhaitait négocier avec le roi Ælla. Pour toute réponse, il ne reçut que des projectiles, flèches et javelots qui tentèrent de l’abattre. Il s’enfuit et retourna vers ses frères, puis scella le sort de la ville d’une seule phrase :
- Puisqu’ils ne veulent pas parlementer avec nous, voyons s’ils sont prêts à parlementer avec nos haches.
Cependant, les fils de Ragnarr savaient qu’un assaut sur une telle forteresse ne pouvait se lancer à la va-vite. Ils firent entourer la cité, bloquant ses différentes portes pour empêcher tout ravitaillement, et pendant plusieurs semaines ils en firent le siège. Pendant ce temps, charpentiers, ouvriers et artisans s’évertuèrent à construire des engins de siège pour prendre les murailles d’assaut : des béliers pour enfoncer les portes et des échelles pour escalader les murs.
Le premier jour du mois de novembre 866, l’assaut fut donné.
- Ne tuez pas le roi Ælla, avait crié Björn à ses hommes. Si vous tombez sur lui, capturez-le ! Mes frères et moi le voulons vivant !
- N’incendiez pas la ville ! avait ajouté Ivar. Pillez-la, massacrez ses défenseurs, et prenez les habitants comme esclaves, mais n’oubliez pas que nous devons conquérir cette cité, et non pas la raser !
Répartis en trois groupes, les Vikings s’élancèrent à l’assaut des antiques murailles de la cité. Plusieurs hommes portaient de lourds béliers de bois, de petits troncs d’arbres taillés en pointe et cerclés de fer. Ces hommes portaient l’engin de siège d’une main et, de l’autre, tenaient leurs boucliers devant eux pour se protéger des archers ennemis, qui les visaient en priorité pour ralentir l’assaut.
À côté de ces béliers, de très nombreuses échelles furent portées jusqu’aux murailles. Les hommes les placèrent solidement sur le sol, au pied des murs, et les posèrent contre ceux-ci.
Déjà, les plus braves et les plus hargneux se mirent à escalader les échelles, alors que les hommes sur les remparts tentaient de les contenir. De temps à autre, une échelle était repoussée et tombait à la renverse, emportant avec elle les hommes qui la gravissaient, les faisant choir à même le sol dans un vacarme assourdissant, brisant violemment os, nuques et vertèbres.
Lorsque les échelles tenaient bon, les hommes qui les escaladaient se retrouvaient dans une position délicate, devant s’accrocher à l’échelle d’une main tout en luttant de l’autre contre les hommes perchés sur les remparts. Beaucoup de Vikings périrent, percés par les lames des bretteurs sur les remparts ou par les flèches des archers.
Soudain, un premier craquement se fit entendre. L’une des portes commençait à céder.
Afficher en entierLes pillards s’en tinrent à ce plan. Quelques jours à peine après la prise de Narbonne, ils appliquèrent la même stratégie pour passer les murailles de Nîmes. Une autre riche cité connut le pillage et le massacre, et fut vidée de ses richesses.
Puis, quelques jours plus tard, ils s’en prirent à une ville côtière, sans murailles, qu’ils infestèrent par la mer : Arelate, une riche cité commerçante.
Le campement qu’ils avaient établi entre les deux bras du Rhône commençait à ressembler à une petite forteresse : ceux qui restaient pour garder les lieux pendant les pillages avaient construit des palissades, des tours et de véritables petites maisons de bois. Les quantités de nourriture volées lors des pillages pourraient même permettre de tenir un véritable siège.
Le lieu devint également un endroit où avaient lieu de somptueuses fêtes au coin du feu et de véritables orgies entre les Scandinaves et leurs captives, chrétiennes comme musulmanes. Si la plupart des hommes respectaient leurs esclaves et se contentaient de les séduire pour s’attirer leurs faveurs, certains autres n’hésitaient malheureusement pas à recourir à la force pour assouvir leurs désirs malsains.
L’été arriva : les pluies se faisaient plus rares, le temps se fit plus chaud, et le Rhône devint finalement praticable. Hastein décida de remonter le fleuve avec plusieurs navires, et prit Baldr comme second. Malgré son jeune âge, Baldr Haraldsson avait gagné le respect de tous ses compagnons suite à son comportement héroïque à Nekor et même les hommes les plus expérimentés acceptaient désormais d’obéir à ses ordres – tant qu’il restait lui-même sous les ordres de Hastein ou de Björn.
Björn, lui, demeurait au campement près de l’embouchure du Rhône et assurait le ravitaillement en pillant les villages côtiers. Pendant ce temps, Hastein et Baldr remontèrent le fleuve et pillèrent Avinhon et Valènço. Les rumeurs de la présence d’une bande de Normands dans la région avaient gagné les villes et les campagnes, et les habitants, démunis face à la menace, avaient décidé de se soumettre sans résister. Ils se sentaient abandonnés des Grands du royaume et de leurs armées, livrés à eux-mêmes ; ne pouvant résister aux pillards, ils décidèrent de collaborer en leur remettant volontairement leurs richesses.
Hastein accepta d’épargner les villes et les villages qui se soumettaient ainsi en leur payant le danegeld qu’il demandait. Poussés par la cupidité, Hastein et Baldr suivirent le cours du fleuve jusqu’à un monastère, qu’ils pillèrent et dont ils tirèrent un grand butin .
Baldr suggéra à Hastein de faire demi-tour et de ramener le butin amassé au campement, mais les hommes étaient contre l’idée. Puisque tous les Occitans se rendaient sans résister et leur remettaient leurs richesses, fallait-il être fou pour arrêter la razzia en si bon chemin ! Hastein suivit l’avis de la majorité de ses hommes et ordonna d’avancer plus avant encore en terre chrétienne.
Afficher en entierUne impressionnante force de plus de trois mille soldats francs s’était mise en marche jusqu’à l’abbaye de Saint-Denis,
à cinq kilomètres à peine de Paris. Les soldats s’étaient massés devant les portes pour défendre le lieu sacré qui avait déjà
commencé à être évacué de ses richesses, juste au cas où.
Il ne fallut que peu de temps pour que les Vikings arrivent.
Un groupe de plusieurs milliers d’hommes du nord arriva, marchant tranquillement sous la conduite de leur chef. Ils s’arrêtèrent à quelques dizaines de mètres à peine des Francs ;
les deux groupes commencèrent à se jauger du regard.
La plupart des soldats francs ressentaient une peur indéfinissable en voyant ces hommes, ces démons dont les prêtres et les histoires disaient tant de mal. Les Vikings, eux, avaient d’ores et déjà commencé à faire un énorme raffut, hurlant et frappant leurs boucliers de leurs haches et de leurs
épées dans un vacarme assourdissant pour faire flancher leurs adversaires.
- Amenez les prisonniers ! cria Ragnarr à l’attention de ses lieutenants.
Près d’une centaine de Francs qui avaient été capturés durant les différents pillages furent amenés, désarmés, devant les troupes nordiques et jetés à genoux. À deux pas de Ragnarr, Haraldr Hallvarrson tenait fermement un homme, tonsuré et vêtu d’une longue bure monastique.
- Ribold ?!
Le roi des Francs n’avait pu retenir un cri de surprise en reconnaissant ce prisonnier : c’était Ribold, l’abbé de Saint-Riquier.
Ragnarr lâcha un cri et, sous l’œil horrifié des soldats francs, les prisonniers furent poussés du pied face contre terre avant que les premiers rangs de Nordiques ne se jettent sur eux et ne les lacèrent d’une multitude de coups de hache en poussant cris et grognements bestiaux.
L’abbé Ribold de Saint-Riquier ferma les yeux en sentant ses derniers instants arriver. D’un coup sec, Haraldr
Hallvarsson lui trancha la gorge avant de le pousser du pied, face contre terre.
- Des monstres ! hurla un soldat franc placé aux extrémités de la ligne de front. Ce sont des bêtes crachées par l’Enfer !
L’homme ne demanda pas son reste et se mit à courir en direction de Paris. Le centenier qui en était responsable s’époumona en lui ordonnant de revenir, mais la défection de ce soldat fut bientôt suivie de celle d’un autre, puis d’un autre, puis d’une poignée d’hommes. En quelques instants, la majorité des soldats, terrorisés par le spectacle et sachant qu’aucune pitié ne leur serait accordée en cas de défaite, s’enfuirent à toute hâte en direction de Paris pour ne pas subir le même sort que leurs frères.
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