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Les rumeurs qui couraient faisaient état du piège dans lequel tombaient les personnes qui identifiaient l’un des leurs parmi les cadavres. Seuls quelques-uns espéraient qu’on leur remettrait les cadavres, et qu’ils ne seraient ni arrêtés non interrogés. Les autres regardaient les portraits, tentant de maîtriser leur émotion pour que leur visage ne les trahisse pas en reconnaissant un proche ou un ami. Ils regardaient. Ils gardaient le silence et s’éloignaient, dans un geste de douleur, sans une larme.
Une fois chez eux, à l'abri des regards, ils pleuraient. A l'abri des regards, ils priaient pour leurs morts. Comment faire son deuil quand on n'a pas de défunt ? Ils ne faisaient dire aucune messe, aucun répons, n'organisaient pas d'obsèques pour leurs disparus. Leurs morts ne leur appartenaient pas. Ils ne prendraient pas le deuil. et l'on ne sonnerait pas le glas.
Afficher en entierComme tous les jours de fête, elles assistèrent, contraintes, à la messe, mais seules quelques unes communièrent. Les autres restèrent debout en signe de protestation durant toute la liturgie et écoutèrent sans baisser la tête les imprécations que le curé leur adressait dans son homélie : « vous êtes des scories, et c’est la raison pour laquelle vous êtes ici. Et si vous ne connaissez pas ce mot, je vais vous dire ce que scorie signifie. Merde, cela veut dire de la merde ».
Afficher en entierEt Tomasa n'arrêtera pas de crier sa douleur. Elle passera la nuit à hurler. La Dame de Negrin s'écorchera la voix parce que son devoir, c'est survivre. Tu vivras pour le raconter, lui avaient dit les phalangistes en poussant le corps de son mari dans l'eau. Tu vivras pour le raconter, lui avaient-ils dit; ils ignoraient que ce serait le contraire. Elle le raconterait pour survivre.
Afficher en entierIl ne lui a pas demandé où elle avait mal, il voulait seulement savoir pourquoi on l'avait emmenée là-bas. Il lui a dit qu'elle n'avait rien au visage, alors qu'elle ne pouvait même pas ouvrir les yeux tellement ils étaient gonflés. Elle touche ses genoux et se souvient. De l'alcool. Le dentiste lui a frotté ses plaies avec de l'alcool, et c'était pire que lorsqu'on lui avait mit du vinaigre, au second étage de la préfecture. Il y avait un crucifix sur le mur de cette pièce de second étage, et beaucoup de pois chiches sur une table avec du sel par terre. Ils la faisaient toujours monter à deux ou trois heures du matin, et ensuite elle redescendait entre deux hommes, parce qu'elle ne pouvait plus tenir debout.
Afficher en entierNous n'avons pas perdu notre dignité.
- Non, nous avons seulement perdu la guerre, pas vrai ? C’est ce que vous croyez toutes, qu’on a perdu la guerre.
- Nous n'aurons pas perdu tant qu’ils n'auront pas eu notre peau, et on ne va pas leur faciliter la tâche... Résister c’est vaincre.
Afficher en entier- Vous savez si "La Pepa" est venue cette nuit?
- Oui, ils en ont pris trois.
La soeur d'Hortensia se rapprocha des femmes devant elle
-C'est qui "La Pepa"?
- La fournée, ma petite.
- Quelle fournée?
- Quant ils les font sortir pour les emmener.
- Qui ça?
- Ils font sortir les condamnées à mort et ils les emmènent.
- Où ça?
- Où les emmènent-ils?
Elle ne posa plus de question. A partir de ce moment-là, Pepa décida de s'appeler Pepita.
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