Extraits

Inconnu : Joue avec moi, mon ange.

Une émotion indescriptible m’envahit. C’est comme si je lisais cette phrase pour la première fois, en ayant conscience de ce qu’elle suggère. C’est de la pure folie. Un rire léger s’extirpe de mes lèvres ; entre joie, nervosité et peut-être appréhension. Je n’ose à peine y croire. J’ai peur de m’emballer pour rien, pourtant j’ai le sentiment que je dois le faire. Les bras accoudés au bureau, les doigts plongés dans mes cheveux, je me mords les lèvres. Pourquoi ai-je mis tout ce temps à le comprendre ? Je suis tellement affamée, désireuse d’aller de l’avant que des frétillements d’impatience m’empêchent de tenir en place. C’est avec un sourire radieux que je me lance.

Kate : Oui…

Il est bientôt minuit, et Paul est allongé dans le lit, juste affublé d’un bas de pyjama bleu, un dossier sur ses genoux pliés. Je le contemple en silence quelques instants. Comme s’il avait senti ma présence, il jette un œil attentif dans ma direction.

— Tu ne viens pas te coucher ?

— Il faudrait que je me penche sur ma nouvelle rubrique.

Il m’étudie longuement, pose ensuite sa paperasse sur les draps et s’approche de moi avec détermination.

— Ainsi tu comptes réellement t’inscrire sur l’un de ces sites ?

L’air sérieux qu’il arbore m’impressionne. C’est vrai que nous n’en avons toujours pas discuté.

— Oui… Elyane commande, ses sbires s’exécutent.

Il hoche la tête en me scrutant d’un regard sans faille. Sans prévenir, je me retrouve dans ses bras, il me pousse jusqu’à ce que je bute contre le mur, sa main gauche posée à plat dessus, juste à côté de mon visage. Je ne sais plus comment réagir, partagée entre l’excitation et la surprise. De son pouce, il frôle ma bouche légèrement entrouverte puis en lisse la pulpe.

— Ceci m’appartient.

Baptiste : Bonjour, Kate.Dans d’autres circonstances, j’aurais pu rebondir sur quelque chosede plus original qu’un « tu es belle et intrigante » mais ton profil est plutôt succinct.À cela, jepourrais ajouter que j’adore la cuisine, que je suis un véritable épicurien… Mais serait-cesuffisant pour attirer ton attention ? J’en doute ! Parlons de mes qualités… j’y réfléchis… cen’est pas évident ! Je te laisse plutôt venir le découvrir par toi-même…

Je ris… souris… sous l’œil attentif de Lucy qui n’en perd pas une miette…

*

— Ben dis donc…

— Quoi ?Elle croise les bras sur sa poitrine en haussant tout de même un sourcil amusé.

— Non rien…

— Il est bien non ?

— Apparemment.Je sens qu’il est temps que je te laisse !

Après son départ, je consulte le profil de Baptiste, trente-deux ans.Ses photos représentent un hommebrun souriant, habillé de façon chic et décontractée.Je m’affaisse contre mon dossier, le sourire auxlèvres.Il semblerait que j’ai trouvé le candidat parfait.

Lucy : - En clair, ta vie est une immense toile d'araignée. Oh purée, je déteste ces bêtes avec tous leurs yeux et leurs petites pattes velues. Rien que d'y penser, ça me dégoute. Bon OK, c'est efficace, ça bouffe tous les insectes qui passent, mais mince, c'est moche et con ! Ça se fait des rave parties dans ta baraque sans te demander la permission, genre tu vas dans ta douche, limite elles sont en train de prendre le thé, en plus ça ne sait pas mourir dès la première fois. Elles vont jusqu'à te narguer et te faire perdre la tête avec leur petite danse de la victoire "genre j'ai la patte folle mais tu ne m'as pas eu" ! Oh, et le "je t'aurai un jour" ne fonctionne pas toujours. En bref, c'est coriace et nuisible même si tu as l'impression que ça t'apporte quelque chose. Ça ne te rappelle pas Paul? Ouvre les yeux, t'as pas tiré le bon numéro ! Alors choisis le paresseux, tu sais celui qui met huit ans à se réveiller !

Tout ce que tu voudras mon ange...

C'est fini les contes de fées... bonjour au prince bandant prêt à l'emploi!

Je reporte mon attention sur un magnifique cadre affichant une photo de nous, les émotions qui s’en dégagent expriment pleinement les sentiments que l’on éprouve l’un pour l’autre. Je souris paisiblement à Paul pendant qu’il me couve d’un regard profond et protecteur.

Soudain, ses mains glissent sur mon ventre, je me tends sous l’effet de surprise, sa bouche m’apaise en embrassant doucement ma nuque tandis que je croise, dans le reflet du miroir, ses yeux bleus froids et attentifs à chacune de mes réactions. Durant quelques infimes secondes, il m’épie silencieusement, enregistre, absorbe les mouvements de mon pouls qui palpite pour lui, à ma peau qui frémit. Sa part de retenue, de mystère m’a toujours fascinée, poussée à en désirer plus.

Je franchis le seuil de l’appartement totalement chamboulée. J’ai beau toujours préserver une certaine constance, au fond de moi, c’est un violent chaos. Comment en suis-je arrivée là ? Qu’est-ce que je vais raconter à Paul ?

Droite comme un « i », les mains jointes sur mes cuisses, je tente de gérer le flux d’émotions qui m’envahit. Je suis abasourdie et effrayée. Cela fait à peine deux ans que je m’occupe de cette rubrique, alors qu’au fond ce n’était pas du tout ce que j’avais prévu en intégrant l’école de journalisme. Et aujourd’hui, alors que je m’étais fait une raison, voilà qu’elle veut que je vende du… SEXE ?

Dans l’ascenseur, je relis inlassablement le message d’Elyane, ma rédactrice en chef. Je n’arrive pas à croire qu’elle m’ait obligée à venir un samedi au journal, pour discuter qui plus est !

Les portes de la cabine me libèrent, je me dirige d’un pas pressant vers son bureau.

— Bonjour, Kate. Asseyez-vous.

Je reste un instant dubitative en observant ses lunettes rondes et rouges, le tout assez extravagant. C’est une femme à poigne, féminine jusqu’au bout des ongles et sans âge, qui déborde d’énergie. Quoiqu’avec sa coupe à la garçonne grisonnante, je pense qu’elle approche de la cinquantaine. Elyane aime le non conformisme. C’est mon côté frigide et pincé, derrière mon collier de perles et col Claudine qui l’a poussée à m’embaucher. Allez savoir pourquoi ! Je suis l’effigie même du conformisme avec toutes mes règles. Mais selon elle, derrière mon apparence se cache une femme d’une sensualité à fleur de peau. Et j’imagine que c’est ce qui l’a convaincue.