Extraits

Tout le monde peut entendre les mots prononcés à voix haute, mais rares sont les personnes capables d’entendre le coeur qui bat derrière.

— Et nous, Jase ? Qui écrira notre histoire ? [...]

— Nous nous en chargerons nous-mêmes, Kazi. Nous écrirons notre propre histoire, et elle occupera un millier de volumes. Nous avons toute la vie devant nous.

Un jour, la reine m'avait dit qu'il existait une centaine de façons de tomber amoureux. Peut-être existait-il également une centaine de manières de pardonner et d'être pardonné. Il me semblait en avoir déjà trouvé quelques-unes.

Dans mon armée, nous étions deux, dont un enfant de sept ans.

La forêt s’était épaissie. Au-dessus de nous, les écureuils dérangés par notre présence poussaient de petits cris indignés. Nous progressions en silence. Comme souvent, je pensais à Beaufort. Kazi et moi avions souvent parlé de lui ensemble, sans jamais parvenir à une conclusion satisfaisante. Il voulait dominer les royaumes... mais comment ? Certes, ses hommes et lui avaient conçu des armes puissantes, mais il n’avait pas d’armée à qui les confier.

Je savais quels dégâts le silence peut faire, la peur et le doute qu’il peut semer. Je l’utilisais pour manipuler mes prisonniers, afin de les torturer avec leur propre imagination. Je l’utilisais avec les marchands et les ambassadeurs pour faire pencher une négociation en ma faveur, en leur laissant croire que j’étais à deux doigts de m’en aller. Je l’avais utilisé sur Zane pour lui soutirer le nom de Devereux. Je n’avais jamais eu l’intention de l’utiliser avec Kazi, mais mon déni initial faiblissait un peu plus à chaque kilomètre parcouru. J’avais du mal à accepter que le message puisse être vrai. C’est la peur qui me rendait mutique, mais comment aurait-elle pu le deviner ?

Plus loin, la Mort m’observait. Elle avait tapé du pied en guise d’avertissement. Juste avant de regagner ma masure en courant, j’avais vu ma mère la rejoindre et lui prendre le bras.

Tu as peut-être vu ce dont tu avais besoin pour tourner la page ? avait suggéré Jase.

Depuis, j’avais beaucoup ruminé cette suggestion. Ma vision avait-elle été provoquée par ma solitude et mon désespoir ? Ma mère m’échappait depuis des années ; chaque fois que je m’apercevais que mes souvenirs s’estompaient, la culpabilité me poussait à reprendre mes recherches de plus belle. Ce soir-là, peut-être m’avait-elle envoyé un message pour que je cesse d’attendre son retour.

« Tout individu a une histoire qu’il brûle de raconter, une vérité qu’il pense être le seul à connaître : celle des injustices qu’il a subies, des félicitations qu’il n’a jamais reçues. Je savais écouter, hocher la tête, les encourager à poursuivre jusqu’à ce qu’ils s’enfoncent dans leur monde et perdent la réalité de vue. Jusqu’à ce qu’ils finissent par me faire confiance – enfin, quelqu’un qui les comprenait ! »

Ils se sont crus à peine une marche en dessous des dieux, fiers de leur pouvoir sur la terre et le ciel.

Et tandis que leur savoir grandissait, leur sagesse diminuait, aiguisant leur soif de puissance, les poussant à écraser les faibles.

Livre saint de Morrrighan, vol. IV.

De crainte que les grandes tragédies

Ne se répètent, transmettons notre histoire

De père en fils, de mère en fille ;

Sans quoi, en l'espace d'une génération,

La vérité sera perdue à jamais.

La chanson de Jezelia