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Extrait

Extrait ajouté par jeanby 2015-03-04T20:02:38+01:00

Le soleil de Caroline du Sud m’a vu naître là, juste à la lisière du village de Bluffton et d’un champ de maïs. Wally Williams, un gamin noir, pauvre et mal bâti avait l’audace d'entamer une vie ! De l’autre côté, vers l’est, il y avait la May River, brillante et fluide. Rivière belle et longue comme les jambes interminables de ma mère, qui chantait dans des bouges mal éclairés pour quelques dollars et des rencontres sans lendemain. La violence de la misère avait même effacé le souvenir de cette brève étreinte avec mon géniteur.

Seule la chaleur brutale d’un alcool de contrebande parvenait à faire rire Rosa, qui ne savait plus depuis longtemps qu’elle avait un fils. Alors, je me promenais pieds nus, jouant dans la cour de terre battue avec les poules et des chiens mal apprivoisés. Dehors, c’était dedans ! Il faisait très froid à la maison. La soupe était mauvaise, quand il y en avait. Les draps étaient humides et glacés. Était-ce la pièce elle-même qui générait cet hiver en plein mois de juillet ? Peut-être.

Pourtant, certains étés, juste après l’orage, juste après la pluie, quand les vapeurs s’échappent encore des toits de tôle, le silence et la fraîcheur s’installaient sur la véranda. Alors, Rosa me prenait sur ses genoux et nous nous balancions, blottis l’un contre l’autre sur un fauteuil à bascule en rotin blanc.

5

Elle trouvait les accents d’une mère tendre et douce. Les mots déchirés du blues faisaient place à des berceuses suaves et lentes. J’étais un peu au paradis.

Il est vrai qu’à trois ans, on ne connaît du malheur que la faim, les blessures aux genoux et les mauvais rêves : la couleur du monde est encore une inconnue. Elle se trouve là-bas, au bout du chemin, au carrefour où s’arrête le car qui nous emmène loin de tout cela, vers l’horizon.

Certains étaient partis par la route numéro 17 rejoindre la frontière de l’État de Géorgie. Ces colonnes d’hommes en quête de bonheur, de travail et de reconnaissance perdaient leurs illusions en traversant la rivière Savannah pour se poser à l’entrée de la cité. Ils attendaient, debout contre un mur ou assis sur le bord du trottoir, que les maquignons du jour leur offrent du travail.

Savannah, où venaient mourir les vagues honteuses amenant sur le rivage des esclaves épuisés, traînait encore ces accents haineux qui séparaient la communauté blanche du reste de la population. Mais, en 1920, la différence entre la pauvreté et le désespoir se mesurait à l’état des semelles des chaussures, quand on avait la chance d’en porter. Bien sûr, la ségrégation était partout et le manque de tout rendait aveugle. Il y avait ceux qui partageaient leur maigre repas et ceux qui partageaient leur ressentiment. Ces derniers trouvaient leur exutoire dans les pendaisons de jeunes hommes noirs et dans les incendies des églises qui les abritaient.

Malgré tout, le ciel était bleu. Les chênes centenaires arboraient fièrement leurs guirlandes de mousse argentée. Des allées royales se formaient dans les forêts alentour et laissaient passer, certains jours de fête, des cortèges de paysans en liesse.

Je ne savais pas tout cela. J’étais au centre de mon univers. D’ailleurs, je ne parlais presque pas. Les voisins avaient remarqué 6 cet étrange petit bonhomme qui les gratifiait d’un sourire mais jamais d’une parole. Au milieu de ses vertiges et de ses absences, Rosa finit par admettre que son fils avait un problème. Alors, elle décida de m’emmener chez Jean, le guérisseur haïtien.

Il était toujours prêt à rendre service à ce voisinage invisible pour les gens de la ville. Il écrivait leurs lettres d’amour et leurs avis de décès. Il leur lisait le journal et, parfois, les feuillets réputés subversifs des défenseurs des droits civiques. Il était américain comme tout le monde, mais il souffrait comme tout un chacun.

— Bonjour, Rosa. Je vois que tu es toujours aussi jolie !

— Je ne suis pas venue pour entendre tes compliments…

— Je sais, je suis trop discret pour toi, trop sage !

— Je n’ai que faire de tes jugements. Tous ici ont des opinions sur moi, ces femmes tranquilles qui oublient que leurs maris passent la soirée à m’écouter chanter et boire le même alcool qui finira par nous tuer tous !

— Rosa, tu es une rebelle et tu resteras sauvage toute ta vie ! Que puis-je faire pour toi ?

— Je suis là pour Wally… Wally vient ici, n’aie pas peur ! Monsieur Jean n’est pas méchant !

— Bonjour, Wally ! Que se passe-t-il ?

— Il ne parle pas beaucoup. En fait, je ne l’entends jamais…

— Ouvre la bouche, Wally, et montre-moi ta langue… Rosa, ton gamin est normal. S’il ne parle pas, c’est qu’il n’a pas envie de parler !

— Oui, mais cela commence à m'inquiéter. Si jamais il va à l’école, ils vont le rejeter !

— Si tu veux, je vais m’en occuper de ton fils…

— Mais je n’ai pas d’argent…

7

— Je ne te demande rien. Je suis seul et cela me fera plaisir. Il a l’air gentil, ce petit !

— Bon, alors c’est d’accord… Mais, je ne te dois rien ? Je veux dire, tu n’espères pas que je couche avec toi ?

— Ma pauvre Rosa, il y a longtemps que j’ai renoncé à la chose. Les femmes, il faut les aimer de loin !

Je levai les yeux pour observer cet homme, cet étranger qui voulait me prendre sous son aile.

L’endroit était petit mais propre. Les livres étaient bien alignés sur une armoire, la table était ornée d’un panier dans lequel cohabitaient un oignon et une pomme, et un petit réchaud à pétrole chauffait un café clair. Au fond de la pièce, à l’opposé du lit, il y avait un piano.

— Ah ! tu as vu le piano là-bas… Va jouer si tu veux !

— Non, je ne veux pas qu’il le casse…

— Rosa, ce clavier a subi les assauts de soudards aux mains sales et brutales. N’aie aucune crainte. Le vieux Tom m’a donné cet instrument en échange de mes soins, et surtout de mes conseils…

— Quels conseils ?

— Entre autres celui d’essayer de vivre avant que la mort te rattrape alors que tu n’as pas encore trente ans !

— Tu dis cela pour moi ?

— Non, pas particulièrement, mais au fond de toi, tu as du mal à imaginer à quoi ressemblera demain…

— Tu me saoules avec tes avis sur tout ! Alors, c’est d’accord, tu vas t’occuper de Wally ?

— Puisque je te le dis… Retourne chez toi, tu n’as pas à t'inquiéter. Nous allons devenir de vrais amis… N’est-ce pas, Wally ?

8

Sans m’en rendre compte, j’ai dû à ce moment précis esquisser un sourire, un hochement de tête ou peut-être un timide pas de danse. Sans le savoir, j’avais déjà fait trois miles, un premier bout de chemin vers le monde.

* * * * *

Les jours passèrent, et bientôt, je n’eus qu’une pensée : rejoindre chaque matin l’antre de Jean pour apprendre à lire, à écrire un peu et surtout à poser mes doigts sur le clavier. Très vite, je tissai avec les touches une liaison, un dialogue, une rédemption. Les notes et les enchaînements étaient encore hasardeux, sans rythme et sans respiration, mais le piano savait tout de ma vie, de mes bonheurs et des soirs où ma mère ne trouvait plus le chemin de la maison.

— Wally, je crois que tu as enfin compris cet accord. Non, mets ton index sur le « la » et ne raidit pas ce poignet !

— C’est dur Jean, je fais ce que je peux…

— Dis-toi bien qu’il y a beaucoup de gens dehors qui font ce qu’ils peuvent. Seuls ceux qui travaillent dur pourront manger !

Jean aimait à tout dramatiser pour faire de mes petites joies un Noël. D’ailleurs, un soir de Noël, ma mère oublia de rentrer. Elle s’était perdue entre les étoiles et la lune. C’est ce que m’a dit Jean, et je le crois encore aujourd’hui.

Lors des funérailles de Rosa, il y eut peu de monde. À cette occasion, je rencontrai pour la première fois ma tante Emily. Elle était jeune et travaillait comme cuisinière pour une famille de banquiers.

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