Extraits

Prologue

Dix ans plus tôt

Gareth le sut avant même d’avoir à se retourner. Son cœur s’emballa et résonna avec force dans sa poitrine. La fragrance l’atteignit de plein fouet. A l’intérieur de lui, son animal émit un hurlement de joie comme un appel. Il se mit à faire d’étranges mouvements de tête. Ils étaient à l’unisson. Son lien psychique se défit et se déroula pour passer à l’arrière de sa tête. Le corps de Gareth effectua un demi-tour, synchronisé au spectre magnétique. Une symphonie de couleurs visible de lui seul brillait de mille éclats. Elle alla virevolter autour d’une civière portée par deux hommes. Gareth savait ce que cela signifiait. Ses nombreuses batailles avaient fait de lui une créature indomptée, froide, au point même que la mort n’avait plus d’emprise sur lui. Mais à cet instant précis il se sentit vulnérable, baigné par une chaleur qui réchauffait et réconfortait le peu d’humanité de ses vingt-cinq ans. Ainsi c’était donc vrai ! Chaque être vivant avait un double pour ne former qu’un une fois trouvé. Il avait vu ce phénomène chez certains couples mais il ne pensait pas que cela puisse se produire dans son cas. Il murmura : – Mais c’est impossible ! Elle est si jeune… Alors il s’approcha de la civière, là où était couchée la jeune fille. Elle avait de longs cheveux d’un noir corbeau qui recouvraient une partie de son visage encore juvénile. Ses joues étaient maculées de boue, marquées par la journée qu’elle venait de vivre. Une couverture de survie recouvrait ses membres inférieurs. Elle était étonnamment élancée et son corps révélait une maturité précoce. Son apparence témoignait de cette phase de l’adolescence. Une si fragile créature qui était amenée à être son âme-sœur ! Il en restait stupéfait. Son cœur s’emballa de plus belle. La chemise de la jeune fille était déchirée et on pouvait apercevoir un pansement tacheté de sang qui recouvrait la naissance de sa poitrine. Il gémit. Cette odeur l’attirait irrésistiblement. Malgré les circonstances, il n’avait qu’une envie : l’emporter dans son chalet pour qu’en toute intimité qu’il puisse lui lécher la blessure et la soigner lui-même. Sa salive, en effet, détenait le pouvoir d’activer sa guérison et de soulager sa souffrance. Il ressentait aussi le besoin d’apposer son sceau sur elle et de la marquer à tout jamais. En s’agenouillant, il avança sa main vers elle pour la poser sur ses cheveux et sur sa joue. Cependant il se retint à la dernière minute. Le fourmillement s’intensifia, accentuant le besoin de la prendre dans ses bras, de la cajoler et de la dorloter. Mais le temps ne le permettait pas et ce n’était ni le lieu, ni le moment. – Ouvre les yeux ma petite tigresse. Je ne te ferai aucun mal. La tension accumulée avait rendu sa voix rocailleuse. Il frémissait intérieurement. Sa bête butait contre les parois de sa cage thoracique et semblait vouloir sortir de son corps juste pour s’en approcher. La jeune fille frissonna. D’instinct il lui prit la main. Elle marqua un mouvement de recul et des yeux couleur améthyste s’ouvrirent en reflétant un océan de crainte. Il n’avait jusqu’alors jamais rencontré d’être humain avec une telle profondeur de regard. Il était suspendu à l’intensité qui luisait au fond de ses pupilles. Il reçut un coup de poing en plein cœur, dévasté à l’idée de ne pas avoir su la protéger bien avant. Il comprenait mieux maintenant cette sensation d’urgence et d’inquiétude éprouvée plusieurs jours auparavant. Ce manque qu’il n’arrivait pas à combler. II n’avait pas compris l’origine de la résonnance en lui mais ce sentiment de danger imminent resta gravé dans sa mémoire. Dire qu’il avait failli la perdre aujourd’hui ! – N’aie pas peur, tu es en sécurité. Plus aucun mal ne te sera fait tant que j’aurai un souffle de vie. Sa bête apprécia. Elle recula un peu plus, les yeux noyés de larmes. – Apaise-toi Ghihau1 ! Je suis là désormais. Soutenant son regard dans le sien, il attendit que son lien fasse le tri pour lui insuffler une part de courage et de quiétude. Il découvrit lentement le pansement. Le couteau qui l’avait blessé lui avait bien entaillé la peau. Elle allait sans doute avoir une vilaine cicatrice. Portant ses propres doigts à ses lèvres, Gareth les inonda de ses mucus et les posa sur la coupure. Bien qu’apeurée, elle écarquilla les yeux dans la confusion la plus totale. Elle percevait le rayonnement de la guérison et le lien qui l’unissait à cet homme. Cependant elle ne comprenait pas. Elle était encore jeune, son parcours initiatique de femme n’ayant pas débuté. Le baume eut l’effet de la calmer et à son insu, il lui plaça un lien de protection. Il se releva en reprenant son visage de guerrier vengeur. En s’éloignant, il fit approcher celui qu’on appelait l’homme-médecine dans les communautés amérindiennes, celui qui était considéré comme le chaman du village. Le tonnerre de sa voix fit craindre aux personnes présentes le pire. Il lutta contre l’émergence de son animal car il ne voulait pas déverser sa rage en ce lieu. Sa future femme avait plus que jamais besoin de lui. – Chaman, je te la confie pour continuer à la soigner et l’accompagner dans le rite de passage à l’âge adulte. Toutefois n’oublie pas que je ne suis pas loin et que je veille sur elle. Fais-la grandir, apprends-lui ce qu’elle doit savoir : ses racines et l’histoire de ses ancêtres. Tu ne lui diras rien en ce qui me concerne, c’est la police qui l’a délivrée, compris ? Quand le moment viendra, elle saura. Je te laisse un de mes hommes pour la protéger.