Extraits

Tu savais que mathématiquement, il n'est pas impossible que deux flocons de neige soient identiques? Mais comme ils sont composés d'un trillion de molécules pouvant prendre un tas de formes géométriques différentes, c'est très improbable.

- Un trillion?

- Imagine un 1 suivi de dix-huit 0.

Elle hausse les épaules; à mon avis, elle a du mal à visualiser. Dommage, car l'image d'un trillion ressemble exactement à un vers de poésie.

- Là où je veux en venir, c'est que c'est tout à fait possible. Mais improbable. Il y a une chance sur trente-six milliards. C'est un nombre abstrait, bien sûr, un élément de langage pour marquer l'exagération, mais tu m'as compris. C'est possible.

J'observe la neige qui tombe, curieux de savoir si un de ces flocons a un jumeau quelque part et a réussi, pour une raison X ou Y, à déjouer les probabilités. Voilà une chose sur l'amitié que j'ignorais avant mes discussions avec Kit: un ami, ça élargit les perspectives. Ça permet d'envisager ce qui était auparavant inenvisageable.

Les mots ne sont pas des choses que l'on peut simplement lancer à quelqu'un pour s'en débarrasser. Ils sont comme un fil tendu. Une fois sortis, il nous en reste toujours un bout dans les mains.

Je me rends compte qu’on avance tous en faisant semblant d’être plus ou moins maître de notre destin mais, malgré tous nos efforts, l’univers s’effondre quand on s’y attend le moins

Pour ma part, je m'appelle David. Pas très pertinent non plus vu le nombre de David sur terre [...] et donc, en vertu de ce prénom, on pourrait croire que je ressemble à un tas de gens. Du moins, que je suis relativement neurotypique, manière scientifique et moins offensante de dire "normal". [...]

Visiblement, il est dans sa bulle, ce qui me permet de le mater à volonté sans risque de me faire griller. Ses larges épaules sont moulées sous un sweat à capuche qui laisse deviner ses bras musclés. Et il sent bon. L'odeur citronnnée de David. Fraîche et douce.

- C'est moi ou on devine des biceps ?

- J'avais jamais remarqué, s'étonne Violet.

- Miam, fait Annie à son passage, reluquant ensuite ses fesses mises en valeur par son nouveau jean.

- Franchement : miam-miam !

- Bref, tu as raison. Kit est très sympa.

- Et monstrueusement futée, comme toi, enchérit ma mère.

- Je ne suis pas sûr que tout ce qui est monstrueux s'applique à Kit. C'est une fille parfaitement normale.

- Et jolie, souligne ma mère.

Jolie n'est pas l'adjectif qui convient pour la décrire.

Trop réducteur.

- Kit n'est pas jolie. Elle est magnifique.

[...] A les entendre,quitter cette société serait la meilleure façon pour moi d'y contribuer.

Mes mains s'agitent de nouveau. Les larmes coulent. Je perds pied. Emporté par un tourbillon vertigineux. Autrefois je pensais que la solitude, c'était d'être coincé avec cette petite voix dans notre tête. J'avais tort. La solitude, c'est d'entendre toutes ces autres voix qui vous hantent : crève, crève, crève.

Comme je suis dans ma tête, je sais pourquoi j'ai réagi de cette façon. Pour moi, la gradation est parfaitement logique, mais, pour elle, qui est extérieure à mes pensées et qui ne sait rien du fonctionnement de mes synapses, je dois avoir l'air d'un monstre.

Les expressions toutes faites existent pour une bonne raison: elles disent la vérité. Et celle ci est on ne peut plus vraie: "on reconnaît son bonheur au bruit qu'il fait en partant"

Ça fait des semaines que je me retiens. J'ai trié, rangé et emballé toutes ces émotions et collé une étiquette sur le carton comme si j'espérais me convaincre qu'il ne prend presque pas de place. Juste un coin de l'étagère dans le placard.