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Au revoir…
Tu vas retrouver les pavés clairs des beaux quartiers et moi, je sillonne encore, ceux, abîmés, de ces allées. Mais les fleurs poussent, même sur les rues défoncées, tu sais. La lumière finit toujours par trouver un chemin entre les fissures. C'est peu, mais c'est déjà ça. Il y a plus nuances ; moins de couleurs peut-être, mais plus de dégradés. En fin de compte, Brooklyn, ma vie, c'est l’un de ces montages que j’aime tant.
J’ai appris à jouer avec ses ombres…
Afficher en entierJ’aurais voulu ne jamais le savoir, maman. Vivre dans l’ignorance, jusqu’à que le sort s’acharne sur moi. Je n’aurais pas eu à l’attendre, une nuit après l’autre. Je n’aurais pas eu à fixer mes mains dans le noir, de peur qu’elles se mettent à trembler. J’aurais pu danser. Ailleurs. Pour d’autres raisons. Sans que des yeux suivent mes mouvements, dans une éraflure insupportable, qui me rappelle sans cesse pourquoi je le fais. Et alors je suis là. Je parle. Le soleil s’est couché depuis longtemps. Il s’est enfui derrière la ligne d’horizon, sans savoir à quel point j’aimerais le suivre. M’engloutir dans les eaux, profondément, dans ces ultimes éclats de couleurs. Tu sais, ça me va. Si je ne laisse que ça. Des éclats. Je m’y suis fait. Et puis, ce n’est pas si mal, puisque je suis destiné à tout perdre. Le corps, l’esprit, ce que je suis… Des éclats, pourquoi pas ? Des éclats, c’est ce que je vois, quand je pense à demain, aux jours suivants, aux années à venir. Pour l’instant, il me reste encore le passé. Tu comprends ? Ce passé qui hurle, qui refuse de la fermer. Si je me retourne, il sera là, balançant dans ma poitrine cette histoire. Je pourrais la raconter. Mais après ? Qu’arrivera-t-il, après ?
Un jour, le passé s’enfuira aussi. Non, d’ailleurs, il ne s’enfuira pas, il explosera. Il se délitera. Et alors ce sera la fin. Je deviendrai une ombre décharnée dont la mémoire expirera.
Je deviendrais de la poussière.
De la poussière de souvenirs…
Afficher en entierMel avait anéanti mes dernières peurs. Elles avaient fini par se fracasser, comme ces morceaux qui s'agitaient au fond de ma poitrine. Et ce n'était pas si grave... Faire battre ces bouts de cœur, marcher sur les fragments de mes armures et l'aimer, lui, plus que tout...
Afficher en entierIl m'avait donné du souffle pour exister. Il avait respiré à ma place, quand j'étais incapable de le faire par moi-même.
Afficher en entier- Je te redessinerai, Jade, chuchota-t-il. Jusqu'à ce que tu m'aperçoives dans chacun de tes reflets.
"Tu ne comprends pas, Mel.
Tu ne comprends pas que je t'y vois déjà."
Afficher en entier— Il n’y a que toi qui m’appelles Fi, souffla Felicien, déjà à moitié endormi.
J’en étais conscient, même si j’omettais d’y penser, la plupart du temps.
— La première fois c’était dans le cabinet de ce médecin, tu te rappelles ? me demanda-t-il, dans un filet de voix. Tu m’as demandé si je respirais… Tu sais, je respire, Jade… C’est Sue qui m’a sauvé et c’est Deagan qui m’héberge… Mais c’est toi qui m’as montré comment faire… Comment respirer.
À ces mots, ces simples mots, ma gorge se noua et je posai le front sur matelas, près de ma mère.
Je lui serrai les mains.
Je les serrai si fort que j’eus l’impression que c’était elle qui me tenait.
Afficher en entier« Si tu vois une vague arriver au loin, tu as deux choix : soit tu t’enfuis, soit tu te prépares à la recevoir. Mais si tu restes, si tu prends ce risque, alors tu dois accepter qu’elle soit plus forte que toi. L’océan est un Dieu. S’il est agité, il pourrait te perdre. S’il est calme, tu pourras te reposer sur lui. »
Afficher en entier« — C’est lui, ton tatoueur ? me demanda-t-il alors.
— Lui, c’est mon enfer. »
Afficher en entier« — Qu’est-ce que tu veux ? lui lançai-je, durement.
Il rit, crocheta les passants de mon jean et les tira avec brutalité. Rien que pour me plaquer contre lui, avant de ranger de nouveau son croquis dans le fond ma poche.
— Toi, Jade.
Son souffle était brûlant. Ses mots, les plus violents qu’il aurait pu prononcer.
Les plus obscurs.
— C’est toi que je veux.
Les miettes de mon cœur se soulevèrent.
Retombèrent se fracasser au fond de ma poitrine.
Se soulevèrent encore.
— Ta peau, ajouta-t-il, d’une voix grondante.
C’était un mouvement oscillant, douloureux et insensé.
C’était une vague qui déferlait et qui m’engloutissait dans son vacarme infernal. »
Afficher en entierJ’avais fait n’importe quoi.
Je faisais n’importe quoi.
Je faisais toujours n’importe quoi.
J’étais n’importe quoi…
Ma poitrine s’agita, j’aurais juré qu’il y avait un foutu orchestre qui jouait à l’intérieur. C’était toujours le cas lorsque je buvais, lorsque je fumais, lorsque je laissais Deagan me convaincre qu’un peu de coke, c’était la solution à tous mes problèmes.
Me convaincre ?
Je ris.
Il n’avait pas vraiment eu besoin de me convaincre.
Voilà, Sue, quel genre d’amis je suis. Le genre à lui botter le cul, pour aller me défoncer avec lui, après.
Je tournai trop brutalement au coin de la rue et la voiture dérapa dans le virage, juste avant que je me gare sur le trottoir. Plus précisément, je montai carrément dessus et manquai m’encastrer dans la vitrine d’un certain salon.
Dessus, une affiche.
La mienne.
Celle avec les tatouages en rosace.
Elle était belle ; elle était à sa place. Au moins quelque chose de sensé. Ou pas. Ou peut-être que c’était le plus illogique. Mon affiche. Sur cette vitrine. Un peu de moi à la vue de tous.
Je ris encore.
N’est-ce pas ce que je faisais toujours, lorsque je dansais pour les autres ? Offrir des parts de moi à ceux qui m’observaient.
Je coupai le contact et restai assis là, le regard droit devant.
Ce que je foutais là, je n’en savais rien.
En fait, si, je le savais très bien.
Je voulais oublier. Le sourire de Lou, son futur mariage, le test, ma mère, ce qui pourrissait dans mon corps et qui prenait déjà une place insidieuse. Oui, c’était là. Je le sentais. Partout en moi. Sous chaque grain de ma peau. Dans ma tête. Bousillant mon cerveau.
Je fixai mes mains, sur le volant ; elles tremblaient. Ça pouvait être la coke. Ça pouvait être la chorée.
Qu’est-ce que j’en savais ?
QU’EST-CE QUE J’EN SAVAIS ?
Je sortis de la voiture et claquai la portière. Assez fort pour réveiller tout le quartier. J’étais conscient qu’il m’observait. Je tremblais. C’était comme des griffures, sur ma nuque. Des éraflures sur mes lèvres. Je passai la langue dessus, presque surpris de ne pas y deviner le goût du sang.
Je renversai le visage et le vis.
L’Australien.
Les bras croisés sur la rambarde de son balcon, il fumait tranquillement, les yeux baissés sur moi.
— Ouvre, lui lançai-je.
C’était un ordre, il en sourit sombrement.
— C’est déjà ouvert, répondit-il, en jetant son mégot à mes pieds.
Puis il rentra à l’intérieur et j’avançai vers l’entrée, celle juste à côté du salon. Je poussai. Elle était ouverte, c’était vrai.
Les lumières étaient éteintes dans la cage d’escalier. Je montai les marches, fébrile. À chaque pas, j’avais l’impression d’avancer plus loin sur un fil au-dessus du vide. Sans harnais de sécurité. En sachant qu’à tout instant, je pouvais simplement tomber, me fracasser au sol. Exploser. J’avançai quand même, parce qu’il n’y avait plus que dans ces ténèbres que je savais exister. Mais, surtout, il n’y avait que ces ténèbres qui réussissaient à me faire oublier. Il n’y avait que dans le noir que j’arrivais à ne plus la sentir. La maladie qui se répandait dans mon sang, en un venin insupportable. Je la sentais si fort, ce soir. Je la sentais tellement depuis que j’avais croisé le regard de Lou. Je n’entendais qu’elle, battement après battement. Et, maintenant, qu’est-ce que j’entendais ? Mes pas qui passaient le seuil de cet appartement. Le claquement d’une porte, dans mon dos, alors que je me retrouvais face à un inconnu. C’était déjà arrivé, bien sûr. Mais c’était la première fois que je percevais autant de signaux d’alerte. Je les repoussai pourtant les uns après les autres, observant l’Australien qui s’appuyait au comptoir d’une cuisine américaine.
— Tu as fini par venir.
Il fit un pas dans ma direction. Il portait un simple t-shirt, mettant en valeur ses bras tatoués. Les lignes se dessinaient, sans que je puisse réellement savoir ce qu’elles représentaient. Elles m’attiraient quand même ; c’était inexplicable. J’avais envie de les voir de plus près, de les toucher, de m’y autoriser. Sans doute parce que j’étais défoncé… oui, sans doute… ces tatouages m’obsédaient tellement que je m’imaginais être les dessins sur sa peau.
— Je suis venu, oui, finis-je par répondre.
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