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Une goutte de pluie s’écrasa sur son visage. Une grosse goutte, pleine de la promesse du printemps et désormais souillée, également, par la fumée polluante de la guerre, car dans sa chute, elle avait traversé plusieurs nappes de fumée de poudre viciée. Des jours auparavant, elle s’était élevée du monde solide ici-bas, puis elle avait plongé. Dans sa chute en direction du monde vert sombre, ce signe avant-coureur d’une forte averse imminente s’était chargé de poussière, de paillettes et de particules de violence qui flottaient, invisibles, dans l’air sale comme de l’ectoplasme frissonnant.
Afficher en entierElle est âgée désormais, elle est devenue grise et fragile au-delà de toutes les représentations qu’elle avait pu se faire de la vieillesse lorsqu’elle était enfant.
Afficher en entierLe chien savait aussi qu’ils ne reviendraient pas. Il savait ces choses de la même façon qu’un chien connaît bien le cœur de l’homme qu’il aime et comprend ce cœur au-delà de ce que l’homme pourrait jamais espérer.
Afficher en entierDevenu un vieil homme désormais, Abel se dit qu’avec une bonne concentration il était capable de faire revenir ces hommes dans ses souvenirs. Chacun de ces hommes qui étaient morts sous ses yeux et dont il connaissait le visage. Se les rappeler et les faire revivre, ne serait-ce qu’un instant, ne serait-ce que dans son esprit seulement. Abel prit une profonde inspiration, sentant l’effet progressif de l’air frais en lui. Il se disait que s’il pouvait faire revenir ces hommes, il aurait bien des choses à leur demander.
Afficher en entierIl se retrouva entièrement dans l’eau. Ses pieds ne touchaient plus les cailloux et le sable, sa tête n’était plus exposée à la lune et à la nuit. Le vieux soldat ferma les paupières et se mit à flotter entre la terre et l’air, chaque endroit de son corps étant en contact avec l’eau froide. Fermant les yeux, il goûta la saveur âcre du sel de l’océan et l’imagina en train de se répandre en lui, de reprendre possession de lui – de sa pauvre chair loqueteuse – pour ne laisser de lui que des os blanchis et articulés et des morceaux de métal rouillés raclant le fond de la mer pour l’éternité.
Afficher en entierIl n’avait pas parlé, il n’avait pas tremblé, car il s’était rapidement rendu compte que cette chose, cette scène, n’était qu’un maillon d’une longue et terrible chaîne d’évènements qu’il sentait – plus qu’il ne la voyait – s’étirer si loin sur la courbe de sa vie qu’il s’imaginait qu’une extrémité devait rejoindre l’autre quelque part pour former un cercle parfait du malheur. Un seul moment, celui-là.
Afficher en entierOyster Tom resta assis un certain temps, les yeux rivés sur le vieil homme meurtri étendu devant lui. Les anciennes blessures et les nouvelles. Il resta là comme s’il essayait de découvrir des motifs dans les spirales, le câblage et le gribouillage des cicatrices qui balafraient ce corps, chacune d’entre elles racontant l’histoire d’une blessure, chacune d’entre elles marquant la fin de la trajectoire d’une balle, d’un éclat d’obus, ou d’une lame, ou de l’instrument souillé d’un chirurgien, et chacune reliée à la suivante par un morceau de chair pâle et lisse dont l’unique fonction semblait être de rattacher une cicatrice à une autre.
Afficher en entierComment les choses s’étaient passées, cet après-midi là, à Gettysburg, quand le monde avait basculé et qu’ils avaient ressenti ce basculement, comme si la Terre elle-même avait été secouée jusqu’en son centre, et peut-être bien qu’elle l’avait été. Ce jour-là.
Afficher en entierLes corps explosent, leur sang gicle et retombe sur les vivants et les morts comme une douce pluie de printemps…
Afficher en entierRegardez, vous ne pouvez pas vous en empêcher. Regardez, et vous verrez des hommes morts ou blessés, des hommes fracassés ou brûlés. Des hommes debout qui se battent, une sinistre détermination se lisant sur leur visage figé comme s’ils avaient découvert en eux des choses avec lesquelles il sera difficile de vivre, plus tard, et des hommes effrayés à en perdre la raison, étendus face contre terre, pleurant dans l’herbe. Des soldats de l’Union qui battent en retraite dans le champs des hurlements, et des masses de soldats des deux camps, étendus, serrés les uns contre les autres dans le fossé humide, entre les lignes, se passant et se repassant des bouteilles. Des fanions, des étendards et des drapeaux déchirés par les balles faisant tous flotter fièrement leurs couleurs vives au milieu de la fumée et des flammes. Dans les bois, de part et d’autre du champs, les drapeaux vert et jaune des hôpitaux de campagne que le vent fait onduler surgissent çà et là, attirant les blessés vers eux comme d’horribles fleurs héliotropes. Les chirurgiens sont au travail, les bras nus, leurs poings blancs serrant fort les poignées de leurs scies.
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