Extraits

— Quand Kovač l’a attrapée, a repris Sébastien, il lui a demandé de révulser les yeux. Le cri qu’elle a propulsé dans la forêt… ça ne pouvait pas venir d’un être humain. Et pourtant… son cri prouvait qu’elle était trop pure pour se livrer aux volontés de Kovač. Toi et moi… eux…, a fait Sébastien en désignant Anne et l’avocat. On n’a pas hurlé. On a révulsé les yeux et on n’a pas hurlé. Sais-tu pourquoi ?

Je n’avais rien à répondre. Mon univers avait amorcé son lent écroulement une semaine auparavant, et il parachevait cette nuit son Big Crunch. Une lassitude noire s’est emparée de moi comme si un linceul recouvrait mon âme.

Sébastien a esquissé un sourire, mais ce n’est pas à moi qu’il souriait.

Spoiler(cliquez pour révéler)— Parce qu’on s’est vus nous-mêmes. On n’a pas hurlé, parce que le mal qu’on a vu, c’est nous-mêmes, Iris. "

- Moi, je l'appelle l'avocat. Ou le cadavre. Ou l'avocadavre, a-t-il lancé avant de s'esclaffer.

J'ai entrebaîllé la porte. Il était là.

Un chat.

Mais les chats morts ne peuvent pas miauler.

- Il reste peu de temps, Sim...

Quand j'ai à nouveau porté mon attention sur lui, il s'était avancé, plus près qu'il me semblait possible de le voir devant moi.

- Si tu ne remets pas la clé, a t'il murmuré dans un grincement presque métallique, méfie-toi de ma colère, Iris.

- Les symboles, Simeón. Vite. C'est la dernière fois que je vous vois. Le direct...

"Ce ne sera pas la dernière", a feulé la voix en moi - la sienne ? la mienne ? Je n'aurais su le déterminer avec certitude.

Barbe bleue a posé les yeux sur les cinq symboles. Puis sa voix s'est teintée d'une solennité qu'on aurait dite caricaturale, s'il navait pas été question d'expliquer des inscriptions rupestres accompagnant les cadavres de trois innocentes.

- Pour chaque après, il y a un avant, a-t-il déclaré.

- Arrêtez de parler en paraboles, Simeon, et dites ce que vous avez à dire !

- Je le dis, Iris. C'est à toi de le comprendre. Parle-moi des trois victimes. Tu te les représentes encore, dans ta mémoire ?

Je me suis forcée à retrouver ma concentration. Naïve, j'avais espéré l'impressionner ou, à tout le moins, gagner son estime en lui montrant que j'avais survécu à son jeu lugubre, que j'avais plongé dans l'horreur de son bunker de Stoneham et en avais émergé pourvue de signes dont lui seul connaissait la signification.

- Léonie, Aglaé, Coralie..., ai-je dit. Vous les avez mutilées avec une sauvagerie qui vous est propre, j'imagine. Elles sont suspendues à des crochets de boucher.

- Mortes ?

- Qu'est-ce que vous pensez ! Évidemment, mortes !

"En es-tu sûre, Iris ? La première t'a parlé. Elle s'est métamorphosée devant tes yeux. Elle s'est déplacée dans la crypte."

L’homme [Me Vergès] s’était vidé jusqu’à son ultime battement de cœur et, à l’arrivée des policiers, Kovač habitait toujours la scène de son propre crime. On l’avait trouvé, tournant le dos au macchabée, le visage maculé de sang, finissant de mâchouiller un des organes internes du martyre. Il avait récupéré les boyaux de sa victime et les portait autour de son cou comme un premier prix.

Quelqu'un, dans cette prison bétonnée, s'adressait à moi. Et je pouvais discerner ses paroles.

" La clé est dans la tête."

- Ça pourrait empirer, Iris.

- De quoi tu parles, encore ?

- Kovač est sorti. Il s'est évadé de Baquard, plus tôt cet après-midi.

Je posais la main sur la poignée pour fuir ma chambre quand un constat terrible m’a éclaboussé l’esprit.

Il sait où tu es. Toujours, il a une longueur d’avance parce qu’il sait où tu es.

En toi .

Je ne pouvais plus nier ce que je ressentais. Ce que j’entendais non plus.

En toi.

Je me suis tournée vers la grande fenêtre.

Je ne sais pas si l’idée qui m’est venue ensuite était la mienne ou la sienne. "

— Est-ce que maître Vergès était votre premier meurtre, Simeón ?

— Bien sûr que non.

Sa voix ne subissait aucune modulation, même si je percevais dans ses paroles, j’ignore comment, tantôt l’agacement, tantôt le contentement.

— Qui d’autre avez-vous tué ?

— Moi-même. "

La lourde porte à imposte du pavillon central s’est ouverte comme une gueule prête à m’avaler. Ou comme un accès à des vérités exclusives disposées à ravir ma plume. Tout est question de perspective. "