Extraits

Spoiler(cliquez pour révéler)— Je ne te l’ai pas encore dit aujourd’hui, murmure-t-il alors que ses lèvres trouvent les miennes. Mais je t’aime, Solnyshko. Toujours.

En fait, il me le répète tous les jours. Parfois, il se réveille au milieu de la nuit rien que pour me le dire. Pour me rappeler qu’il m’a donné la seule chose que je ne pensais jamais obtenir de sa part.

Son cœur.

— C’est curieux, lui dis-je en toute honnêteté.

— Quoi donc ?

— Que tu n’entendes pas, et pourtant que tu sois la seule personne qui m’ait jamais vraiment écoutée.

— Je te verrai toujours, Solnyshko. Toujours.

— Tu me fais ressentir des choses, dis-je à mi-voix.

— Je ne veux plus de poisson, lui dis-je.

— C'est bon pour la chimie du cerveau, répond-il.

Je penche la tête sur le côté en le dévisageant.

— Est-ce une manière polie de me dire que je suis folle ?

Un léger sourire apparaît sur ses lèvres et il hausse les épaules.

— Peut-être un peu.

Je souris à mon tour.

Immergée comme je le suis en ce moment. J’ai les yeux fermés et je flotte. Parfaitement immobile.

Le silence.

Je n’entends plus sa voix. Je ne vois plus les visages d’ange. Les souvenirs me les ont enlevés, les ont modifiés.

Je ne me souviens que de leur innocence.

Et que j’avais pour mission de les protéger.

J’ai échoué.

C’est pour cela que je suis toujours ici. C’est une punition. Mon petit frère et mes sœurs ont pu s’envoler, mais pas moi. Parce que je n’ai pas réussi à les protéger.

Dans ce moment de clarté, c’est à ces pensées que je reviens. J’ai toujours pensé que c’était un châtiment. C’est pourquoi j’ai survécu, pourquoi je suis restée et pas eux.

Mes cheveux forment un halo autour de moi, comme de la soie sous la surface, mêlés à mon visage et à mes bras. Comme ma mère ce jour-là. Une bulle d’air franchit mes lèvres. Un test.

L’envie d’être près d’eux.

Pourtant, quelque chose ne cesse de me ramener dans la lumière, hors des ténèbres. Un espoir tenace. Je me trompe peut-être. Peut-être me suis-je toujours trompé. Peut-être n’était-ce pas ma faute.

Mais aujourd’hui, ce n’est pas l’espoir qui me sauve.

Cette fois, c’est une paire de mains puissantes qui me hisse hors de la baignoire et me secoue de la torpeur.

Quand j’ouvre les yeux, ce n’est pas Alexei que je vois. C’est quelqu’un d’autre. Un petit garçon avec, sur le visage, l’horreur et cette implacable douleur.

— Pourquoi me fais-tu ça ? rugit-il.

La vigueur de sa poigne me fait mal. Ses muscles tremblent et ce n’est pas moi qu’il voit quand il m’agrippe le visage et hurle :

— Pourquoi ?

Comme je ne réponds pas, il me dépose au sol et se penche pour vider la baignoire. Puis il s’arrête, le souffle court, et frappe du poing sur la porcelaine, avec un degré de violence que même mes yeux n’ont encore jamais vu.

Quand il se retourne, je suis dans un coin et je le regarde attentivement. Son poing est ensanglanté et gonflé. Sans doute a-t-il des doigts cassés. À cause de moi.

Mais c’est l’expression sur son visage.

Le chagrin et la colère.

J’en suis la responsable.

Ça me trouble. Et c’est ma faute.

Dès que je le comprends enfin, il est déjà parti.

Quand je le croise ou même quand je passe devant sa porte, il ne semble pas me remarquer. Je suis comme un spectre chez lui. Je me déplace sans que l'on me voie.

Mais moi, je le vois. Je commence à le remarquer de plus en plus au fil du temps. Le bleu de ses yeux quand il les lève vers moi. La ligne de sa mâchoire. Le parfum qui flotte dans la maison même lorsqu'il n'est pas dans la pièce, rappel constant de sa présence.

Je suis intriguée.

— Tu es la seule et unique pour moi, ma chérie, me dit-il. Même dans la mort, je ne pouvais pas me séparer de toi. Tu es la bonne. Je suis tellement désolé de ne pas te l’avoir prouvé plus tôt.

C’est dangereux pour moi de rester seule avec cet homme qui me donne l’impression de me réconforter. Comme s’il pouvait être le remède au chaos dans ma tête. Mon calme dans la tempête.

Je ne peux me résoudre à partir sans un mot et je lève les doigts pour toucher son visage tuméfié.

— J’espère qu’ils ont payé pour ça.

Son regard est tourmenté, empli de désir. Pour moi.

Mais il ne fait rien.

Et je m’en vais.

Le silence s’impose dans la chambre. Nous sommes debout l’un devant l’autre. Mon mari et moi. Cet homme que je commence tout juste à connaître. Et pourtant, il lit en moi comme personne. Peut-être est-ce à double sens. Peut-être les êtres abîmés comme nous le sommes ont-ils un don pour repérer cette même blessure chez l’autre.

— Je ne veux plus de poisson, lui dis-je.

— C’est bon pour la chimie du cerveau, répond-il.

Je penche la tête sur le côté en le dévisageant.

— Est-ce une manière polie de me dire que je suis folle ?

Un léger sourire apparaît sur ses lèvres et il hausse les épaules.

— Peut-être un peu.

Je souris à mon tour. Et ça nous effraie tous les deux.