Chapitre 3 :
À mon réveil, je comprends aussitôt que quelque chose ne va pas. Thomas est en train de tirer sur quelqu'un ou quelque chose que je ne distingue pas encore, Maëlys est penchée sur moi et me secoue encore, paniquée. Je peine à me relever. Je regarde sur quoi tire Thomas tout en attrapant mon arme posée à côté de moi pour lui prêter main forte. Deux infectés ont réussi à rentrer dans la maison.
Une fois morts, il enlève les corps et referme la porte. Je commence à ranger nos affaires, mais il m'attrape le bras et me force à me tourner vers lui.
– Pourquoi tu ne m'as pas réveillé avant de t'endormir ? gronde-t-il.
– Désolée, je ne m'étais pas rendu compte que je m'étais endormie...
– Eh bien, ça a bien failli nous coûter la vie, continue-t-il. Si le loup n'avait pas tenté de me réveiller pour me prévenir, on serait peut-être déjà tous morts à cette heure.
– Je suis désolée, c'est bien la première fois que je ne me réveille pas. Je ne sais pas ce qui m'est arrivé...
– Et les coups de feu, ça ne te réveille pas ça ? crache-t-il avant de se tourner vers ses affaires pour les ranger également.
Thomas est en colère contre moi et il a raison, mais me prendre de telles réflexions au réveil, et notamment après un rêve comme celui-ci, ne me plaît pas vraiment. Je suis toujours armée, finalement peut-être qu'un peu de viande fraîche pour le petit-déjeuner ne serait pas de refus ? À bien y réfléchir, j'abuse peut-être un peu, mais rappelons que cela fait cinq mois que je ne sociabilise plus du tout, les conventions sociales ne sont plus à ma portée et puis je suis encore un peu secouée par mon rêve... En plus du réveil de Maëlys.
– Si Maël avait été tuée, je t'aurais donné à manger aux infectés du quartier, continue Thomas.
– Ça suffit à la fin, elle n'est pas morte ta sœur, tu peux te calmer, je me suis déjà excusée, je ne suis pas d'humeur à supporter un sermon.
– Et moi, je ne suis pas d'humeur à me balader avec une débile de ton genre qui ne pense même pas à protéger les autres, lâche-t-il en mettant son sac à dos sur ses épaules. Viens Maël, on s'en va.
Je rêve là ? D'accord, je ne suis pas parfaite et j'aurais dû faire attention, mais bon de là à me manquer autant de respect, c'est du jamais-vu. Lui qui paraissait si gentil hier soir, cachait finalement bien son jeu. Et quel culot ! Je croyais que mon aide leur avait sauvé la vie ? Il a la mémoire bien courte ce jeune homme.
– Pour mourir de faim et revenir en me suppliant de vous aider ? réponds-je d'un ton moqueur.
– Si on meurt réellement de faim, tu seras la première qu'on viendra dévorer une fois revenu à la vie en zombie ! hurle-t-il.
J'aperçois Maël horrifiée nous regarder en boule depuis le canapé. Les imaginer repartir seuls sur la route, me brise le cœur. Elle est trop jeune pour souffrir autant, je ne peux pas les laisser partir sans moi. Après tout, il a raison, j'aurais dû faire attention. C'était ma responsabilité et je n'ai pas assuré alors à moi d'en prendre les conséquences. Au vu de leur état hier soir, ils ne survivront pas indéfiniment tout seuls. Avant que Thomas ne passe la porte, je me précipite à sa suite pour le prendre dans mes bras.
– Pardon, je suis désolée, tout est de ma faute, m'excuse-je. Je n'aurais pas dû réagir comme ça. Restez, je vous en supplie, je ne veux pas me retrouver seule encore une fois.
Car oui, je dois bien me l'avouer, la solitude me fait peur. Je ne tomberais pas deux fois sur des gens prêts à m'accompagner sans vouloir me tuer instantanément. Je ne dois pas laisser passer ma chance, même si cela signifie devoir mettre mon ego de côté pendant un temps. Et puis finalement, qu'est-ce que l'ego dans un monde de mangeurs de cervelle, hein ? Suis-je vraiment en train de me chercher des excuses pour agir aussi pitoyablement ? Peut-être.
Comme si Snow avait compris un traître mot de notre échange, il vient se frotter à la jambe de Thomas. Je crois qu'à cet instant une poussière se décide à venir se loger dans mon œil, car une larme se met à couler le long de ma joue. Vraiment, je ne vois pas du tout ce qui pourrait provoquer ce genre de réaction autrement...
– Je ne veux pas vous voir mourir, j'ai déjà trop perdu de personnes autour de moi, je veux que ça s'arrête, ajoute-je d'une voix tremblante.
Je le lâche enfin, laissant mes bras tomber le long de mon corps. Thomas ne se retourne pas vers moi et ne répond pas non plus. Je crois sentir mon cœur se serrer. Je n'ai donc le droit à aucune erreur ?
Soudain, je sens une petite main se glisser dans la mienne. Je tourne la tête pour apercevoir Maëlys, les yeux brillants, se blottir à mes côtés.
– Moi, je ne veux pas partir sans toi, dit-elle de sa petite voix. Et en plus, sans toi, on ne pourra plus manger et moi, j'ai faim.
Sa remarque me fait lâcher un petit rire malgré ma peur de les perdre. Certes je ne les connais que depuis hier, mais je m'en veux vraiment. Je sais que s'ils leur arrivent quelque chose, je m'en voudrais beaucoup. Surtout, parce que Maëlys n'est qu'une enfant et je crois que cela me rappelle le fait que moi, je n'ai pas réussi à protéger mon petit frère... Ni aucun autre membre de ma famille en fait. Je ne veux pas qu'ils connaissent le même sort. Thomas finit enfin par se retourner vers moi.
- Je m'excuse également, je réagis un peu trop au quart de tour quand la vie de Maël est en jeu.
Il me tend une main en ajoutant :
- On passe l'éponge pour cette fois ?
Je lui serre la main en signe d'accord, ce dernier en profite pour me prendre dans ses bras à son tour. Je suis tellement gênée que je n'ose pas bouger. Je n'ai pas eu autant de contacts physiques depuis des mois, je suis à la fois perdue et à la fois, je me sens bien. J'ai l'impression d'être ailleurs. Pendant un court instant, le virus n'a jamais existé, ma famille n'est jamais morte, dehors, le soleil brille, le ciel est bleu, les oiseaux chantent. Pendant un court instant, la vie est comme avant. Puis il me lâche. Et alors, la brutalité du monde me retombe dessus.
Je me rappelle que plus jeune, ma mère se plaignait toujours qu'elle n'avait pas assez de câlins et à cet instant, je comprends son envie d'en avoir plus. Le sentiment rassurant et apaisant que provoque ce contact est tellement puissant, comment ne pas en vouloir plus ? Une partie de moi, me murmure que je leur fais peut-être trop vite confiance, que je dois faire attention, mais au fond, je sais que je peux. Ils ont autant besoin de moi que j'ai besoin d'eux, ils ne me feront pas de mal... Ou du moins, pas tant que je peux encore leur être utile.
*
Il est temps pour nous de quitter la maison. Le soleil est déjà levé et au vu du nombre d'infectés qui traînent dans la zone, il est trop dangereux pour nous de rester ici, mais encore nous faut-il nous décider sur le programme.
En fouillant dans les tiroirs de la maison, j'arrive à mettre la main sur une carte de la région. Globalement, nous avons le choix entre 3 grands pôles principaux : Term, la plus grande ville avec tout ce qui faut dedans, mais totalement infranchissable, car c'est l'une des premières villes à être tombée quand le virus est apparu ; Quédra, la deuxième plus grande ville, ma famille venait d'une ville située à côté donc je connais bien la zone et je sais que beaucoup de zombies y sont aussi ; et enfin Gru. Je ne connais pas cette ville, mais Thomas et Maëlys m'expliquent qu'ils viennent justement de là-bas.
– Quédra est majoritairement connue pour son agriculture, Term pour son avancée technologique et Gru pour l'industrialisation de la ville, explique-t-il. Quand le virus a commencé, Gru n'a pas mis longtemps à sombrer dans le chaos aussi. La zone comportait une centrale nucléaire, mais malheureusement sans plus personne pour la maintenir en état, elle s'est très vite arrêtée. Le problème, c'est que du coup l'eau contaminée s'est mise à couler dans des ruisseaux reliés au lac principal du pays : le Phoenix. L'eau de ce lac servait à l'ensemble du pays, toutes les villes reliées à ce lac ont vu leur eau se faire totalement irradier et devenir imbuvable pour les survivants. Pour couronner le tout, une énorme quantité de corps d'infectés ont été jetés dans le lac au début de la pandémie quand les militaires tentaient encore de garder la zone sous contrôle. Toute l'eau de cette zone est un vrai poison.
Si je comprends bien, il nous faudra à tout prix éviter les grandes villes. Nous regardons donc les petites villes et les villages qui nous semblent être de bonnes alternatives. Actuellement, nous sommes à quelques kilomètres de Crimebarg, un village situé entre Quédra et Term, à l'est de la forêt qui traverse toute la région. Nous décidons donc de nous y rendre. C'est risqué, mais nous devons trouver de nouvelles provisions et surtout trouver de l'eau potable. Je sais qu'il y a deux ruisseaux dans la région, mais, à mon avis, s'y approcher serait dangereux.
Une fois d'accord sur la destination et l'itinéraire à suivre, nous rangeons nos affaires, faisons nos sacs, mangeons le reste du poulet et les derniers fruits récoltés par Maëlys en guise de petit déjeuner, puis nous nous décidons enfin à partir. Cela fait bien longtemps que je n'ai pas été aussi heureuse de sortir. Habituellement, je reste le plus longtemps possible cachée, mais la perspective d'avoir à nouveau des gens avec qui marcher me met en joie. Comme quoi, il ne m'en faut pas beaucoup.
*
La route qui mène jusqu'à Crimebarg est certainement dangereuse, comme toutes les routes depuis maintenant un an, mais surtout longue. J'estime que nous en avons à peu près pour six heures de marche et peut-être même plus à cause de la chaleur. Car oui, nous sommes en pleine saison des canicules, autant dire que c'est vraiment le moment idéal pour une randonnée, surtout avec la quantité d'eau qu'il nous reste. On va bien s'amuser, je le sens.
Sur le chemin, Thomas nous raconte des histoires de la vie d'avant, des histoires drôles. Il rajoute des petites blagues dans ses histoires qui nous font rire aux larmes avec Maël. Question discrétion, on repassera, mais pour ce qui est de la bonne ambiance, on ne peut pas faire mieux. Heureusement, à marcher en pleine campagne comme nous le faisons, nous ne risquons pas grand-chose à parler librement. Les alentours sont dégagés ce qui permet de voir les infectés arriver et puis Snow marche librement devant nous, il fouille là où nous n'allons pas voir ce qui permet de nous assurer une certaine sécurité.
Après quelques heures de marche, la chaleur commence déjà à nous faire des tours. On évite de trop parler pour économiser notre salive. On décide de faire une première pause pour Maël. Étant plus jeune, elle se fatigue plus facilement et surtout elle a déjà très soif. À peine ai-je eu le temps de sortir une bouteille d'eau qu'elle se jette aussitôt dessus. À la voir comme ça, je me dis qu'on devra absolument trouver des points d'eau potable pour la suite.
Une fois Maël reposée, nous reprenons notre chemin. Elle part aussitôt devant pour courir après Snow malgré les avertissements de Thomas concernant le fait de garder des forces. Snow a l'air de bien s'amuser en compagnie d'une enfant, cette scène me fait rire, ce qui calme un peu Thomas. Nous profitons de ce moment de solitude pour parler de nos vies, de nos familles. Rien de bien passionnant mais petit à petit, on apprend à se connaître.
Je ne sais pas si c'est à cause de la chaleur ou de l'effort physique, mais ma tête commence à tourner. Au début, Thomas se moque gentiment de moi en constatant que je suis finalement aussi fragile que sa petite sœur, mais malheureusement, mon état s'empire à chaque pas que je me force à faire. Je sens mes jambes devenir douloureuses et se mettre à trembler comme si la terre entière tremblait avec elles. Je ne comprends pas bien ce qui m'arrive, Thomas essaye de me tendre de l'eau pensant qu'il s'agit simplement d'une déshydratation, mais je suis incapable d'attraper la bouteille qu'il me tend ayant la vision complètement troublée.
Finalement, mes jambes finissent par céder. Je me rattrape de justesse au bras de Thomas, j'ai vraiment l'air ridicule, mais impossible de retrouver mon calme. Ma tête me fait si mal que cela me provoque une sorte de bourdonnement dans les oreilles. Je n'entends plus rien, je ne vois plus rien, c'est un sacré coup de chaud ça dit donc.
Je perçois des sons au loin, je pense que Thomas essaye de communiquer avec moi, mais je suis incapable de comprendre ce qu'il veut me dire ou même de lui répondre. Sa voix se perd avant de parvenir jusqu'à mes oreilles. Et alors, je sens mon corps s'effondrer. Tout devient noir autour de moi.
*
Je suis encore de retour à la maison... Enfin, je crois. Il fait très sombre autour de moi, je n'arrive pas à distinguer la moindre chose, mais je sens que je suis à la maison. Je sens également la présence de quelqu'un, mais je ne vois personne. Je peux ressentir le fait que je suis apeurée sans réellement comprendre pourquoi.
Puis papa apparaît devant moi.
Je le vois très nettement, contrairement au reste du paysage que je ne peux toujours pas distinguer. D'ailleurs, je crois qu'il n'y en a même pas. Son regard est triste, il est fatigué. Il attrape mes mains et plonge son regard dans le mien.
– Clari, n'oublie pas qu'ils vont te trouver. Leurs intentions sont mauvaises. Ils te tueront. Tu ne dois pas te laisser faire. Crois-moi tu n'es pas en sécurité.
– Papa, je ne comprends rien à ce que tu me racontes, qui me veut du mal ?
– Eux, hurle-t-il comme si cela devait me paraître évident.
– Qui ça eux ?
Il me regarde, le visage fermé. J'ai l'impression qu'il essaye de sonder mon âme, comme s'il pouvait lire à l'intérieur de moi. Que peut-il bien y voir ? Ma tristesse de les avoir perdus ? Ma détresse face à l'horreur qu'est devenu notre monde ?
– Tu le sauras au moment venu, finit-il par me répondre. Tu dois me faire confiance ma fille, je t'aime et c'est le plus important.
Il commence à disparaître. Je ne sais toujours pas ce qu'il essaye de me dire, ni de quoi il essaye de me mettre en garde. Je ne veux pas le revoir partir, je veux rester avec lui, je veux qu'il me prenne dans ses bras, je veux sentir la chaleur de son corps, qu'il me rassure pour la suite.
– Papa, attends, lui crie-je en essayant de rattraper son ombre. Ne pars pas, ne me laisse pas, j'ai besoin de toi !
– N'oublie pas ce que je t'ai dit, au revoir Clari.
– Non, attends papa, je ne comprends pas ce que tu veux me dire. Ça n'a aucun sens ! Papa, reste, je t'en supplie, ne m'abandonne pas ! l'implore-je en sentant des larmes couler sur mon visage. Ne me laisse pas toute seule encore une fois...
Mais c'est déjà trop tard, de sa personne, il ne m'en reste qu'un souvenir.
*
J'ai mal à la tête, c'est la première chose qui me vient à l'esprit quand je reviens à moi. Quelqu'un est en train de lever mes jambes. En entrouvrant au minimum mes yeux pour voir ce qu'il se passe, je me rends compte qu'il s'agit de Thomas.
- Ah, ça y est ! s'exclame-t-il. Tu reviens enfin à toi.
Il lâche mes jambes puis m'aide à m'asseoir. Maël en profite pour me tendre une bouteille d'eau afin de me permettre de boire un peu.
– Ça va ? me demande Thomas.
Je me sens très fatiguée. Je n'avais encore jamais fait de malaise, mais je ne suis pas vraiment étonnée au vu de la chaleur qu'il fait actuellement.
– Oui, c'est un peu mieux, réponds-je. Juste un petit coup de chaud, je pense.
– Oui, c'est vrai qu'il fait sacrément chaud, confirme-t-il. Je ne pense pas que ça soit bon pour Maël non plus, il faudrait mieux qu'on trouve un peu de fraîcheur et qu'on se pose pour le reste de la journée. On n'est pas pressé, tant pis si on met plus de temps que prévu.
Il marque un point là-dessus, c'est vrai que rien ne nous presse si ce n'est l'appel de la nourriture et de l'eau. Thomas m'indique un pâté de maisons non loin. Il m'aide à me relever puis nous décidons de nous diriger vers ces dernières.
Comme je le craignais, à peine sommes-nous arrivés proche des maisons que déjà des infectés se font voir. Je ne sais pas si c'est leur instinct d'anciens propriétaires qui les hante, mais ils adorent jouer les concierges autour de leur maison. Je conçois que ça soit malpoli de squatter sans cesse chez des gens, mais à partir du moment où la population entière à succomber à un virus mortel, on peut bien se permettre quelques petits plaisirs non ?
Nos deux premiers infectés en vue sont en plein casse-croûte. Visiblement, on arrive au mauvais moment. Snow se met devant nous et se place en position d'attaque. Ces deux morfals ne doivent pas être seuls, je reste sur mes gardes et sors mon couteau pendant que Thomas attrape le silencieux accroché à sa ceinture. Par réflexe, Maël se réfugie derrière son frère. Je n'imagine pas l'horreur que doit être cette scène de festin cannibale au travers de ses yeux d'enfant.
Il y a cinq maisons en tout dans la zone, si on veut rester ici ce soir, il va falloir faire un peu de ménage et vérifier chacune d'elles pour éviter toute mauvaise surprise, ou du moins pour limiter leur nombre. Nous nous débarrassons rapidement des deux premiers infectés puis avançons sans bruit vers la maison qui semble être en meilleur état. Je rentre à l'intérieur avec Snow pendant que Thomas reste dehors avec Maëlys. Il en profite pour lui donner son arme et récupérer la batte de baseball en aluminium accrochée à son sac à dos. Au vu des traces de sang dessus, elle a l'air d'avoir déjà pas mal servi.
Je tape contre le mur en entrant pour prévenir que je suis là. Le bruit attire les infectés. Je tends l'oreille pour essayer d'entendre un gémissement ou quelque chose qui signalerait une présence, mais rien. Je vérifie en premier le rez-de-chaussée puis une fois que je suis sûre qu'il n'y a rien de dangereux, je monte à l'étage. Il y a trois portes fermées et un infecté derrière la porte au fond du couloir, j'en suis sûre et Snow aussi puisqu'il se met aussitôt à grogner devant la porte.
Je sors de mon sac ma coque pour mon bras gauche, on ne change pas une équipe qui gagne, enfin même si d'un point de vue théorique, les infectés ont déjà largement gagné sur nous au vu du peu de personnes saines qu'il reste. Mais bref, j'ouvre la porte et lui mets aussitôt mon bras dans la bouche puis enfonce mon couteau dans son crâne. Il s'écroule aussitôt, inerte. Longue vie à cette coque protectrice !
Je profite du calme revenu pour regarder autour de moi. Je dois me trouver dans la chambre d'un enfant au vu des jouets qui jonchent le sol. J'examine les deux autres pièces. Il y a une salle de bain et une chambre d'adultes. Dans cette dernière, je ne peux m'empêcher de m'arrêter devant les photos de familles qui sont toujours là. Une part de moi déteste ça, mettre des visages et des sentiments sur les créatures que je tue quotidiennement me rend malade, mais d'un autre côté n'est-ce pas pour revoir ce genre de scènes, un jour, qu'on tente tant bien que mal de survivre ?
Je descends prévenir mes compagnons. Eux aussi ont croisé des infectés visiblement, car deux nouveaux corps sont étalés sur la route. Nous continuons de la même manière jusqu'à la cinquième et dernière maison. En tout, cinq infectés se sont ajoutés à notre tableau de chasse. Un sentiment de soulagement, du fait de les avoir trouvés avant qu'ils ne nous trouvent, et de tristesse se mélangent. J'espère qu'un jour, nous n'aurons plus besoin de faire cela.
Nous retournons finalement dans la première maison que j'ai nettoyée. Une fois tous les accès avec l'extérieur bloqués et sécurisés, nous en profitons pour faire un tour du propriétaire et récupérer le peu de vivre qu'il reste et les bouteilles encore potables. Quelques boîtes de conserves et de biscuits secs s'ajoutent à notre collection. Je me dépêche de poser quelques collets à l'extérieur, au cas où, avant la tombée de la nuit, pour demain matin. Nous prenons un petit repas tous ensemble, puis Maël s'endort sur le matelas que nous avons, au préalable, descendu de l'étage nous laissant seuls, Thomas et moi.
Comme à chaque fois, on parle de tout et de rien. On se raconte surtout des anecdotes sur notre passé, nos vies de lycéens, de collégiens. J'ai l'impression de retrouver pendant quelques instants une vie presque normale, à parler potins avec un ami durant une soirée pyjama. C'est ridicule, mais quelque part, ça me rend un peu heureuse. Depuis que nous sommes ensemble, mes journées et mes soirées sont beaucoup plus chaleureuses et ça me plaît.
- Qu'est-ce qui te manque le plus dans le fait de ne plus avoir d'école ? me demande soudainement Thomas.
Clairement, pas grand-chose. Non pas parce que j'ai détesté l'école, mais plutôt car, à part Lucie, je n'avais pas vraiment d'amis. Seulement, voilà, le fait d'aller à l'école représente aujourd'hui quelque chose de tellement inimaginable que je prends conscience du manque que cela produit en moi. Je donnerais tout ce que j'ai pour retourner à cette époque où la principale occupation des jeunes était de savoir ce qu'on allait manger à la cantine à midi et pas de savoir si eux-mêmes n'allaient pas finir en restaurant pour infectés.
- Mes amis, finis-je par répondre sans oser avouer que "mes amis" ne se résumaient en réalité qu'à une seule et unique personne. Et toi ?
- La logique voudrait que je réponde ma petite amie, je suppose, mais je réalise aujourd'hui à quel point c'était futile toutes ces histoires. Tout ça pour une question de popularité qui n'aura servi strictement à rien le jour où le monde s'est écroulé.
Personnellement, j'avais toujours trouvé cela ridicule, mais bon, pour certaines personnes, il aura fallu attendre de tout perdre avant de se rendre compte de la vraie valeur des choses... Ce qui est plutôt triste surtout dans le cas où, comme maintenant, "tout perdre" signifie perdre l'humanité entière. Je rêve où je commence déjà à penser comme une personne âgée ?
- Personnellement, cela ne m'a jamais vraiment intéressé... avoue-je un peu honteuse.
- On a tous eu nos histoires d'amourettes, ça fait partie de la vie.
- Eh bien, justement... dis-je hésitante. Je n'ai personnellement jamais eu de copain. Mais, à ma décharge, l'humanité a préféré sombrer dans le virus le plus destructeur jamais créé plutôt que de me laisser une chance sur le plan relationnel, donc bon, je ne suis pas la seule fautive !
Je me rends compte aussitôt de mon erreur sur le fait d'en livrer un peu trop sur moi lorsque j'aperçois le visage choqué de Thomas tourné vers moi. Je ne sais pas si c'est de la pitié envers moi ou le choc de ma révélation qui le met dans cet état, mais une chose est sûre, c'est que mon malaise est à son maximum, lui.
- Attends, t'es en train de me dire que tu n'as jamais eu de copain ? demande-t-il.
- Pas un seul !
Comme on dit, mieux vaut être seule que mal accompagnée, non ? Même si, de nos jours, j'ai bien peur que cette expression ne soit plus trop populaire...
- Rassure-moi, tu as déjà embrassé quelqu'un au moins ?
Je sens mon visage devenir brûlant de honte. Pourquoi, même après une apocalypse, suis-je obligée de me justifier sur mes expériences ? Ou plutôt devrais-je dire sur mon manque d'expérience...
- Il faut absolument qu'on remédie à ça ! s'exclame-t-il soudain.
- Même pas en rêve, Thomas ! m'offusque-je.
- Parce que tu as quelque chose de mieux à faire peut-être, petite tête ? me taquine-t-il.
Ça y est, je crois que je n'ai plus envie de parler. La situation est gênante en tout point et puis à bien y réfléchir, on se connaît à peine. Sommes-nous vraiment obligés d'en arriver à de telles discussions quand on se côtoie depuis seulement quelques jours ? C'est exactement pour ça que j'appréciais le fait de ne pas avoir beaucoup d'amis à l'époque, au moins la solitude nous met rarement dans des situations aussi malaisantes.
– Non mais vraiment, même pas un tout petit bisou ou un petit effleurement des lèvres ? force-t-il.
- Et pourquoi faire, hein ? finis-je par m'énerver.
- Pour ça, par exemple.
Avant d'avoir pu réagir, Thomas m'attrape par la taille pour m'attirer à lui. Je ne comprends pas vraiment ce qu'il se passe avant qu'il n'agisse. Doucement, il remonte ses mains sur mes joues, puis, sans prévenir, dépose un doux baiser sur mes lèvres. Je ne sais comment réagir, ni quoi faire. Mes émotions, complètement instables, ne cessent de passer de la colère, à la surprise puis au plaisir. Mais, et je dois bien l'avouer, pendant ce court instant, plus rien autour de moi ne compte. J'en oublierais presque qu'à l'extérieur de cette maison, je suis un mets d'exception pour le reste de la population.
- Alors, t'as trouvé ça comment ? me demande Thomas une fois le baiser terminé.
Pour seule réponse, je lui colle une petite claque sur la joue. Je suis encore trop gênée pour parler et je n'ai pas envie de plus me ridiculiser. La vérité, c'est que je crois que malgré moi, j'ai plutôt bien aimé. Mais j'ai certainement trop de fierté pour l'avouer actuellement.
Malgré mon geste, Thomas se met à rigoler tout en s'éloignant de moi. Il est temps pour nous d'aller nous coucher et j'avoue que dormir, notamment pour calmer mes émotions, ne me fera pas de mal. Cette nuit, nous dormons tous les trois sur un même matelas tandis que Snow profite du confort du canapé pour lui seul. Petit veinard.
Avant de sombrer dans le sommeil, j'entends Thomas prononcer une dernière phrase :
- Bonne nuit Clari.
Clari. On ne m'avait plus appelé comme ça depuis des mois. L'entendre de sa bouche me fait bizarre, mais d'un autre côté, j'ai l'impression, pendant un court instant, de me retrouver auprès de ma famille. Je sens un léger sourire fatigué se dessiner sur mes lèvres et une larme couler du coin de mon œil.
- Bonne nuit Tommy.
*
Je suis réveillée par des bruits de remue-ménage. Thomas est en train de libérer l'entrée de la maison pour pouvoir faire sortir Snow dehors. Maëlys dort encore à côté de moi. Il s'approche délicatement d'elle pour la réveiller doucement. Si on veut pouvoir se déplacer aujourd'hui, utiliser la chaleur de la matinée n'est pas une mauvaise idée, mais pour ça, il ne faut pas qu'on traîne trop longtemps par ici.
Alors que nous grignotons quelques biscuits trouvés la veille en guise de petit-déjeuner, des bruits d'orage nous parviennent. Je me dirige vers la porte pour constater par moi-même les dégâts. Snow est couché sur le palier de la porte, trempé. Il pleut des trombes. Changement de programme pour nous : on va rester au sec pour aujourd'hui.
Pour nous occuper pendant ce temps, on a récupéré plein de jeux de sociétés dans la chambre d'enfant en haut, enfin ceux qui n'avaient pas été éclaboussé de sang lors de ma rencontre avec l'infecté. En plus de nous occuper, ça permet de mettre un peu de bonne humeur. J'aime tellement ce sentiment de vie normale qui règne pendant nos parties, pendant quelques heures, j'ai l'impression que tout est normal et voir Maëlys si heureuse de jouer à des jeux me réchauffe le cœur. C'est bien l'une des premières fois qu'elle fait vraiment son âge.
Aux alentours de midi, je profite d'une pause entre deux orages pour aller relever les collets que nous avions posés la veille. Ils sont malheureusement tous vides, je décide donc de les laisser plus longtemps étant donné que nous ne partons pas tout de suite. Sur le chemin du retour vers la maison, j'aperçois un framboisier. Les framboises ont l'air en bon état, je me dis que ça fera sûrement plaisir à Maëlys, je m'arrête donc pour faire une cueillette pour notre repas de ce midi.
Je me rends compte de mon erreur au moment où un infecté se jette sur moi. Snow n'est pas avec moi, je suis tellement habituée à me reposer sur lui que j'ai totalement oublié de faire attention aux alentours. Je me retrouve bloquée à terre, l'infecté sur moi tentant par tous les moyens de me croquer. Je n'ose pas crier de peur qu'il ne soit pas seul dans le coin. Je vais devoir me débrouiller seule.
Je pousse de toutes mes forces sur mes bras pour faire basculer l'infecté sur le côté. Je me relève d'un bond et attrape mon couteau à ma ceinture... Que je fais immédiatement tomber par terre. J'essaye de me pencher pour le rattraper sauf que l'infecté est déjà prêt à remettre ça. Tant pis, j'abandonne le couteau. Je me retourne pour partir en courant et mettre un peu de distance entre nous le temps de trouver une stratégie, mais un deuxième infecté me barre la route. Je suis coincée.
À court d'arme, je me décide à enlever ma chemise pour capturer la tête du premier infecté avec. Ça ne l'arrêtera pas, mais en ajoutant un bon coup de pied qui le fait basculer à terre, je gagne suffisamment de temps pour m'occuper du deuxième mangeur de cervelle à mes trousses. Je me retourne vers le couteau dans l'espoir, cette fois, de l'attraper, mais le deuxième infecté profite de mon inattention pour se jeter sur mes jambes et me faire tomber par la même occasion.
Je bouge mes jambes dans tous les sens et essaye d'avancer en même temps pour ne pas lui laisser l'occasion de me mordre, mais il est trop lourd pour moi. Je tente le tout pour le tout en envoyant un énorme coup de pied qui lui arrive en pleine tête. Cela me laisse juste assez de temps pour que je puisse attraper le couteau et le lui enfoncer dans le crâne. Mais pas de pause, le deuxième infecté revient à la charge, la chemise trouée au niveau de sa bouche, prêt à me croquer.
Je me jette sur lui pour le faire tomber à terre. Une fois à califourchon sur lui, j'attrape mon couteau à deux mains et le lance en plein dans la tête du malade. J'ai le souffle court, je tremble de partout, je suis recouverte de sang, mais je suis toujours vivante... Moins ma chemise, qui se retrouve totalement trouée et remplie du sang que vomissent les infectés. Tant pis pour les vêtements, je me relève et repars en courant vers la maison sans demander mon reste. Tant pis également pour les framboises.
Mon interruption dans la maison, pleine de sang, provoque un hurlement à Maëlys qui part aussitôt se réfugier dans les bras de son frère.
- Que s'est-il passé ? me demande ce dernier paniqué.
- Je me suis fait lâchement abandonner par mon compagnon de route, dis-je en lançant un regard noir vers Snow qui dort paisiblement sur le canapé. Je n'ai donc pas vu les deux infectés qui me suivaient discrètement. Ils se sont jetés sur moi à la première occasion, mais visiblement, ils sont tombés sur plus fort qu'eux.
Thomas se précipite sur moi pour me prendre dans ses bras. Je reste immobile, ne sachant comment réagir face à cette situation.
- Oh, mon dieu, je suis désolé, ajoute-t-il.
La première chose qui me vient à l'esprit, c'est le fait que je suis couverte de sang et qu'il va, du coup, se tâcher également. Mais je n'ose rien dire, je pense que ça serait déplacé de lui faire remarquer une chose pareille alors qu'il essaye, je suppose, de m'aider. Je le laisse donc faire puis une fois détachée, je monte dans la salle de bain pour tenter de me débarbouiller avec le peu d'eau qu'il doit rester. Malgré la porte de la chambre fermée, l'odeur du cadavre de l'infecté est nauséeuse. J'ai hâte de quitter cet endroit.
- Clari ?
Je me retourne en sursaut vers la porte du couloir. Thomas est arrivé jusque-là sans faire le moindre bruit. Il me fait signe de ne rien dire et me pointe du doigt le rez-de-chaussée. En me penchant un peu dans l'escalier, je comprends immédiatement ce qu'il essaye de me faire comprendre. Nous ne sommes pas seuls. Snow est en position d'attaque devant la porte et grogne pour signaler un danger.
Avant même d'avoir eu le temps de réagir, quelqu'un frappe à la porte. Nous échangeons un regard inquiet avec Thomas puis je le vois foncer à toute vitesse en bas pour retourner auprès de Maëlys. Le tambourinement sur la porte reprend de plus belle.
- Je vous en supplie jeune fille, je vous ai vu entrer ici, j'ai besoin d'aide !
Je me précipite à mon tour en bas. La voix est celle d'une adulte. Elle semble réellement paniquée, mais je ne sais que faire. Si c'est un piège, ce n'est pas seulement ma vie que je mets en jeu. Je fais un signe de tête vers Thomas et Maëlys pour leur indiquer de se cacher dans la cuisine. Je suis la seule à avoir été vu, ça leur laisse une chance de survie si la situation tourne mal.
J'attrape mon couteau et ouvre prudemment la porte. Une dame d'une quarantaine d'années se tient effectivement derrière celle-ci. Mais ce qui retient mon attention, c'est la petite fille blottie contre elle, portant une énorme marque de morsure sur le bras.
Chapitre 4