Mon premier roman voué à être publié : Le royaume perdu

Postez ici tous vos écrits qui se découpent en plusieurs parties !
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Blackbutterfly

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Mon premier roman voué à être publié : Le royaume perdu

Message par Blackbutterfly »

Bonjour à toutes et tous,
je suis membre Booknode depuis une bonne dizaine d'années, j'ai vu la plateforme grandir, évoluer, s'épanouir à mesure que je grandissais... Cela fait un paquet d'années que je n'ai pas publié sur le forum ! Si je le fais aujourd'hui, c'est pour en appeler à vos critiques et votre bienveillance. J'ai posté ma candidature dans le cadre d'un concours d'écriture d'heroïc fantasy organisé par les éditions La Martinière et l'éditeur numérique Librinova ! Les six lauréats seront publiés, au format papier pour le premier et au format numérique pour les cinq autres. Je ne doute pas que plusieurs d'entre vous ont également consacré leur été à rédiger leur roman pour y participer ! J'aimerais que vous me souteniez en allant jeter un œil aux trois premiers chapitres de mon roman : Le royaume perdu. Je serai heureuse d'avoir vos retours et mettre à votre disposition les chapitres suivants si vous le souhaitez ! Il ne reste que deux jours avant la clôture des inscriptions, vous devez donc réagir promptement si vous voulez consulter ma participation... Pas d'inquiétude, je mettrai les trois premiers chapitres sous ce post pour celles et ceux qui auraient loupé le coche :D !
A bientôt !
https://concours.librinova.com/concours ... Q3pfeHqmOw
Blackbutterfly

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Re: Mon premier roman voué à être publié : Le royaume perdu

Message par Blackbutterfly »

Rebonjour,
les inscriptions sont clôturées depuis le 30 septembre ! Vous trouverez ci-dessous le lien vers ma participation si vous voulez me soutenir en likant ma participation. Je mets à votre disposition les trois premiers chapitres !
https://concours.librinova.com/concours ... aume-perdu
A bientôt !

Chapitre 1 : Sylfa


Dire que nous sommes un peuple pacifiste serait mentir. Les Sylfaens ont toujours connu des conflits territoriaux liés à l'accès à l'océan. Les querelles avec les pays voisins sont monnaie courante. Peuple guerrier assurément, nous sommes aussi renommés pour notre artisanat à la grande finesse. Lorsqu'ils sont de noble extraction, les Sylfaens prennent des noms de pierres ou de métaux rappelant la couleur dominante de leur lignée. Le royaume est divisé en quatre zones : côtière, terres arables, forêt et ville-capitale. L'enjeu est d'acheminer depuis ce point central les productions de l'artisanat jusqu'à nos bateaux et inversement, les métaux précieux du port jusqu'aux forges et ateliers. Nous n'exploitons pas notre sol car il est sacré et nous n'avons pas de montagnes. Nos troupeaux servent à la fois pour leur lait et leur viande mais aussi pour leur cuir d'exception. Notre agriculture est auto-suffisante en céréales, légumineuses et racines. Les vergers royaux sont les seuls à produire des fruits en conséquence pour la capitale. J'aime m'y promener et les observer depuis ma chambre. Dans la tour Est du palais se situe mes appartements. Je tiens mon journal à jour tous les soirs, mon petit félin sur les genoux. Il m'a été offert pour mon dix-septième anniversaire. Je ne suis pas appelée à régner car je ne suis pas l'aînée. Mon frère Alun sera roi après ma mère, la reine Saphir. Mon père d'extraction noble, ancien comte Onyx, ne pouvait prétendre au trône. De leur union sont nés deux autres enfants : ma sœur, Agatia, et moi Opaline. Déjà mariée, ma sœur réside chez son époux, le comte Jade. Elle a donné naissance à son premier enfant il y a quatre printemps, la petite Béryl. Quant à moi, la cadette, j'ai encore le temps de trouver mon âme sœur. Mon frère n'a pas l'air d'être pressé de trouver la sienne. Pourtant, énormément de filles de bonnes familles lui ont fait la cour. Je pense qu'il aime secrètement la plus jeune servante de ma mère, Lilas. Notre royaume accueille très peu d'étrangers car, en principe, chacun et chacune est libre d'épouser son âme sœur qu'elle que soit sa famille ou son extraction sociale. Afin de garder le sang de la lignée royale au plus près de ses racines, nous limitons drastiquement l'immigration aux seuls couples et familles ou vieillards.
L'histoire de notre peuple est singulière. Nous serions le premier à s'être installés sur le continent. Les autres peuples se seraient agglomérés autour de notre cité afin de s'entraider et commercer. Pas de guerre dans les temps jadis. Jusqu'au jour où une rumeur infondée s'est répandue. Notre sol très fertile regorgerait de métaux. Les Sylfaens prennent aussi peu que possible à la Terre Mère. Pour eux, seule l'agriculture de subsistance n'est pas une offense à son encontre. Il en va de même pour les arbres, messagers de la Terre Mère. Seuls leurs fruits sont récoltés et les arbres malades abattus pour éviter une contamination des autres espèces. Nos voisins ne comprennent pas notre refus catégorique d'exploiter le sol. Et ce fut la guerre. Depuis dix siècles, les périodes de paix relative et de conflit s'alternent. Les enfants Sylfaens, dès dix ans, apprennent le maniement de l'arc et de l'épée légère. Les jeunes nobles montent à cheval dès six ans, garçons comme filles. Notre ville capitale ne possède pas de hautes murailles mais est construite sur une colline artificielle étant donné la platitude du royaume. L'animation qui y règne fait penser à celle d'une ruche. L'effervescence générale tranche avec le calme des jardins royaux où j'apprécie me reposer pendant mon temps libre. J'aime me baigner dans une des rivières qui borde la ville. J'y retrouve mon ami d'enfance Céfir en début de soirée. Ses parents sont nés dans le Désert de poussière à plusieurs centaines de kilomètres du royaume de Sylfa. Le milieu inhospitalier n'était pas un problème contrairement aux raids et pillages que subissent les peuples nomades. Son père est maréchal-ferrant. Sa mère s'occupe du foyer et vend des bijoux en terre cuite. Ils habitent une maison toute en bois en bordure de ville, près de la rivière pour refroidir les fers et laisser les chevaux s'abreuver de tout leur saoul. C'est un lieu paisible où il fait bon vivre entre le bruit régulier du marteau sur les fers, le renâclement des chevaux, l'odeur du pain de seigle qui sort du four et le clapotis de la rivière.
Les Sylfaens ont la particularité d'avoir la peau et les cheveux d'une seule couleur. Plusieurs ethnies cohabitent, celle dont est issue ma famille maternelle, les Sylfs bleus aux cheveux blancs, au teint bleuté et aux yeux océan, celle de mon père, les Sylfs noirs à la peau de porcelaine, aux yeux et à la chevelure de jais, les Sylfs des forêts ou des mers au teint hâlé, aux cheveux flamboyants, roux, bruns ou blonds et aux yeux verts... Nous nous reproduisons et cohabitons. De grande taille ou au moins élancés, nous sommes en moyenne plus grands que les peuples voisins. Toute en jambes, ma sœur porte des robes souvent trop courtes pour elle. La carrure de mon frère rappelle mon père, d'autant plus qu'il a sa chevelure. Si Agatia est le portrait craché de ma mère, j'ai hérité des yeux et du teint de mon père. Seuls mes cheveux argentés rappellent mon ascendance maternelle. Nos enfants naissent tôt car la fertilité optimale des Sylfes est limitée à une dizaine d'années, entre dix-huit et vingt-huit printemps. Ne pas procréer revient à affirmer aux autres sa déchéance sociale : problèmes financiers, de santé ou difficulté à trouver son âme sœur. L'ascendance étant aussi importante que la descendance, certains ont recours à des procréateurs voire des procréatrices. Il s'agit d'un délit assez répandu, néanmoins toléré par le souverain, notamment en période de guerre. L'immigration n'aide pas dans la mesure où les Sylfaens répugnent à mélanger leur sang. Non pas par aversion pure mais par peur d'être paria dans la société. Les couples mixtes existent mais plus largement dans les zones frontalières ou à l'extérieur du royaume où des Sylfaens voyagent, commercent ou s'installent. Une faction politico-religieuse opposée à la royauté prône d'ailleurs ce métissage qui raffermirait une ethnie en la rendant plus diverse. Une grande tolérance à l'égard des nouveaux venus dans le royaume s'exerce néanmoins à la capitale et dans ses environs, plus qu'à la campagne. Mon éducation et mon jugement personnel m'ont aidée à ne pas regarder les non Sylfaens comme des anomalies. Terre Mère merci !
Lors de notre première rencontre, Céfir et moi avions à peine six ans. Il accompagnait son père pour la foire annuelle et je m'étais faufilée hors de la grande salle pour me promener entre les étals installés dans la cour du château. Ma nourrice devenait folle de ne plus me trouver. Armée d'une confiserie anisée, je scrutai les alentours en quête d'une activité intéressante. Le ferrage des chevaux attira mon attention. Je m'approchai pour mieux voir et une petite main me retint en arrière. C'était Céfir qui, impressionné par mon inconscience, m'a maintenu à une distance raisonnable des sabots de Poussière. Le contact de sa main brûlante et auburn sur ma peau de porcelaine est un souvenir persistant, tout comme l'image de deux grands yeux noirs à moitié cachés par des boucles folles. J'ai par la suite demandé à mon père de m'acheter cette jument gris pommelé qui m'accompagne toujours pour de courtes promenades. Mon père a d'abord refusé car ce n'était plus un poulain et il considérait qu'un lien ne se formerait pas entre nous. Après moult arguments de ma part, il a consenti à me l'offrir. Céfir a honoré la commande qui avait été faite à mon père et amena Poussière au château une semaine après ce jour-là. Et depuis nous sommes inséparables. Je lui ai appris à monter avec une selle et lui à cru. Nos jeux étaient débordants d'imagination et nos discussions interminables. Nous avons même étudié quelques années avec le même précepteur grâce à la bonté de ma mère. Mais Céfir a arrêté l'école vers treize ans pour aider son père à la forge. Nos emplois du temps respectifs se sont étoffés et nos heures de jeux envolées.
Depuis le début du règne de ma mère, Sylfa maintient la paix avec ses voisins immédiats et le commerce est florissant. Travail acharné mené par mon grand-père, le feu roi Argent. Chaque famille noble nomme ses enfants d'après des métaux ou pierres précieuses. Notre bannière possède également une teinte dominante, nous concernant le bleuté tirant sur le blanc. Sur ce fond est peint un arbre doré sans feuilles et aux branches maigres et entrelacées. Le blason de la famille de Jade, dont son père Émeraude siège au Conseil, représente un mouton sur fond vert. Quant à celui de mon père, un dragon blanc de profil se découpe sur un fond noir profond, les ailes déployées et la tête haute. La famille du comte Topaze arbore une bannière ornée d'un soleil blanc sur fond or, celle du comte Rubis une rose noir sur fond pourpre et celle de la comtesse Améthyste une montagne argentée sur un fond violet. Chaque chef de famille est membre du Conseil royal afin d'assister le souverain dans ses décisions diplomatiques et belligérantes. Le règne de ce dernier dure en moyenne cinquante printemps et notre vieillissement est presque imperceptible à partir de soixante. De quoi impressionner nos ennemis et leur faire croire à notre éternité obtenue par quelque pratique ancestrale. Mon beau-frère y siégera après son père et ma tante Obsidienne représente la famille de mon père. Depuis ma plus tendre enfance, elle converse avec moi et assiste à mes cours de peinture et de broderie. Elle est cinq ans plus jeune que ma mère, n'est pas mariée et n'a pas d'enfant. Elle adore jardiner et monter à cheval. Elle est mal considérée parmi les autres membres du Conseil car elle aime les femmes. Privée de descendance, elle est entrée en conflit avec mon grand-père pour son amour de jeunesse, une artisane de bijoux en perles et écailles de poissons, la fille d'un poissonnier. Je l'ai même rencontrée car Obsidienne et elle sont restées bonnes amies. Depuis plusieurs années, je me confie à ma tante et lui demande conseil lors d'un dilemme.
J'assiste une fois par semaine aux audiences du peuple, dans le cas où, si mon frère venait à mourir, je monterai sur le trône. Ma mère me laisse parfois traiter les doléances les moins délicates. Elle se charge de régler les conflits d'intérêt impliquant une compensation financière, les délits comme les vols et les agressions. Enfin, elle gère les différends concernant les surfaces agricoles ou foncières. Je m'occupe principalement des problèmes de voisinage. C'est assez ennuyant en soi mais rencontrer des gens de toutes les professions n'est pas pour me déplaire. Les crimes les plus graves ne relèvent pas de la seule juridiction du souverain mais de l'ensemble du Conseil. Terre Mère soit louée, les meurtres et viols sont rares bien qu'existants. En effet, ce sont les deux seuls délits où la peine de mort s'applique. Je n'ai assisté qu'à une seule exécution depuis mon adolescence. Pourvu que cela dure. Les complots contre le souverain ou attentats contre la famille royale sont passible de mort et d'exil pour la famille du coupable. Jamais ma mère n'a eu à s'y confronter. Et c'est pour le mieux.


Chapitre 2 : La vie de château


Je me suis récemment mise à la musique. Jouer d'un instrument ne m'intéressait pas jusqu'à l'année dernière. Depuis, je m'adonne à la pratique d'un où il faut pincer les cordes, l'objet entre ses jambes : une harpe en bois clair. La position assise devient vite inconfortable pour une débutante. Céfir m'accompagne souvent en soufflant dans son coquillage. Je préfère cette activité à celles de mon enfance, grammaire, arithmétique, étiquette, chant, broderie et lecture. Assurément, j'aime lire pour le plaisir mais des livres de botanique, d'astronomie et d'aventures. Pas les ouvrages privilégiés par les professeurs pour une princesse. Depuis un mois, j'ai plaisir à étudier l'après-midi dans mes appartements avec mon félin de compagnie que Jade et ma sœur m'ont offert. Elle vient d'une région montagneuse mais sa petite taille a été un handicap : abandonnée par sa famille, un berger l'a capturée et vendue à un marchand de curiosités. Le comté de mon beau-frère se trouve à la frontière du comté doré et a un relief plus vallonné. En voyant Cyprès ma sœur a immédiatement pensé à moi et l'a achetée. Elle dort souvent mais une fois réveillée c'est une vraie tornade ! Ses crocs sortent à peine de sa bouche et ses griffes, de la taille de mon pouce, sont souvent cachées dans ses pattes mordorées. Son pelage soyeux est tigré. Ses oreilles pointues et ses yeux ronds donnent un aspect singulier à sa tête anguleuse. Longue d'une cinquantaine de centimètres lorsqu'elle s'étire, elle est très affectueuse. Son arrivée à la cour a fait jaser en raison de son origine sauvage et mystérieuse. Ma mère a fait fabriquer pour elle un collier serti d'une pierre bleutée pour rappeler son appartenance à notre maison. Cyprès m'accompagne souvent lors de mes sorties à cheval avec Poussière qui tolère sa petite sœur. En revanche, mon cheval de voyage et de chasse, Ébène en a peur. Il s'agit d'un étalon noir d'encre âgé de trois ans qui a gagné ma confiance à force de dressage et de récompenses sucrées. Poussière est actuellement pleine et donnera naissance au poulain d’Ébène dans quelques semaines. Elle a presque quinze ans, il ne fallait pas attendre plus longtemps !
Les écuries royales sont parmi les plus prestigieuses du continent. Mis à part ma jument et quelques autres montures qui n'appartiennent pas à la race qu'utilise la garde, les cinquante autres bêtes sont scrupuleusement éduquées, choyées et parfois vendues à de riches dignitaires étrangers. Les soldats de la garde ne possèdent pas tous une monture, seulement les supérieurs qui composent la garde rapprochée de mes parents et celle de mon frère. Une dizaine de membres dans chacune. Viennent ensuite les sentinelles du château postées sur les remparts, à l'entrée de la large porte principale et de plus petites bordant la cour. Le bâtiment principal du château comporte trois tours, deux carrées et une ronde où se situent mes appartements et ceux que ma sœur n'occupe plus. Mes parents logent dans la tour principale et mon frère dans la tour restante, laquelle est destinée à accueillir sa future famille. La troisième tour, pour les princes et princesses non régnants, sert aux invités quand elle est inoccupée. Le rez-de-chaussée comprend les cuisines, la grande salle, des salons et la salle d'audience. Dans le corps du bâtiment, aux premier et deuxième étages, se trouvent les chambres des invités et salles de bain ainsi que les salles d'étude dont la bibliothèque. Au troisième étage, les chambres des domestiques, commis et femmes de chambre. Les gardes ont leur propre baraquement, salle à manger, de réunion et d'aisance. Les écuries sont construites dans la cour à l'ouest et les jardins, à l'est, en contrebas de ma tour s'étirent en chemins boisés. Le lavoir se trouve à l'opposé de la cour d'entrée où s'installe la foire chaque année au printemps. Quatre grandes fêtes rythment les saisons, celle de la Terre Mère au solstice d'hiver, celle des récoltes juste avant la foire, celle des moissons à la fin de l'été et celle des premières neiges. Pour cette dernière, un grand bûcher est alimenté pendant toute une nuit. On y mange des marrons grillés et on allume des bougies parfumées. C'est la fête que j'attends avec le plus d'impatience. Elle est proche de mon anniversaire qui tombe juste avant le solstice. Nous fêtons également l'astre de nuit lorsqu'il est plein et l'océan un mois plus tard. La forêt est, quant à elle, à l'honneur une fois par semaine lors d'un repas, le dernier de la semaine où nous mangeons des champignons, du gibier, des racines, des fruits, lorsque c'est la saison. Le reste de l'année, nous puisons dans les provisions pour respecter cette tradition.
L'automne touche justement à sa fin et mon dix-huitième anniversaire approche. Ma mère songe à laisser mon frère gouverner à ses côtés pour quelques temps avant de lui laisser la couronne et le sceptre. Alun a fêté ses vingt-huit printemps cette année et ma sœur ses vingt-cinq. Ma mère approche des cinquante et mon père des soixante. Leur mariage a été mal accueilli en raison de la différence d'âge et de l'ascendant qu'un fort caractère comme celui de mon père aurait sur une jeune reine de dix ans sa cadette. Ma mère n'en a rien fait et a écouté son intuition. Son fort caractère a également pesé dans la balance. Mon grand-père lui a fait confiance en l'associant au pouvoir depuis ses quinze ans. Je ne l'ai que très peu connu. Il est mort de maladie lorsque j'avais huit ans. Quant à ma grand-mère, Azuritia, elle est morte en couches lors de la naissance de ma tante Lapia et de mon oncle Lazulis. Dernière survivante de sa lignée, la famille bleue océan, à sa mort, le blason au cheval blanc sur fond bleu marine disparut. Dévasté par la perte de sa femme, le roi argent a reporté toute son attention sur ses enfants, notamment son aînée, âgée de dix ans, la princesse Saphir. Ma mère a rapidement gagné en maturité et son fort caractère s'est affirmé autant que sa douceur et sa diplomatie naturelles. Des qualités pour faire une reine entière et juste. Elle a toujours mis un point d'honneur à nous éduquer dans le respect et l'ouverture d'esprit sur le monde qui nous entoure, mon frère, ma sœur et moi.
Mon enfance en tant que privilégiée était douillette. Les jeux que je partageais avec mon frère et ma sœur au coin du feu les soirs d'hiver me rendent nostalgique de cette époque. Heures de liberté assez maigres en raison de mes nombreux cours : maniement de l'épée, de l'arc et équitation le matin, peinture, broderie, calligraphie, astronomie et diplomatie l'après-midi. Avoir des journées bien remplies, c'est mon quotidien. Mes petites responsabilités ont pris de l'ampleur à mesure que je grandissais mais je n'ai jamais ressenti quelconque pression à la différence d'Alun. Bien sûr, il fallait toujours se comporter du mieux possible, être polie, ne pas être méprisante. Puis vinrent les fiançailles de ma sœur. J'avais douze ans. Le mariage a été célébré l'année suivante. Jade et Agatia n'ont pas eu le coup de foudre mais leurs caractères s'accordent bien. Calmes, cultivés et coquets. Je me souviens du jour J. Elle portait une robe qui se confondait avec le ciel. Des fils d'argent dessinaient des broderies en arabesque sur le bustier et les manches. Le collier offert par son futur, une jade pâle enserrée d'un métal blanc se fondait sur la peau de son cou. Un an après leur mariage, Béryl était née. Remplissant le foyer de gaîté, nous sommes très proches. Ravissant ses grands-parents maternels et paternels, Émeraude reste d'un calme impassible face à son énergie débordante contrairement à mon père qu'elle contamine. Ma nièce aime confectionner des bijoux avec des perles de verre et des coquillages. Je porte tous les jours celui qu'elle m'a offert pour la dernière fête du printemps.
Je me rappelle encore clairement des leçons aux côtés de Céfir qui ne tenait pas en place. Le précepteur, très patient, tentait de capter son attention autant que possible. L'heure de lecture se déroulait difficilement. L'entraînement à l'épée avait lieu en première heure pour défouler le jeune garçon. Céfir rentrait chez lui l'après-midi, me laissant à ma broderie. Au printemps, nous n'attendions qu'une chose : le cours de peinture en extérieur ! Capturer la beauté des pommiers en fleur ou la dureté de la pierre du château. Juste avant d'entrer en apprentissage chez son père il y a sept ans passés, Céfir a fait mon portrait. Accroché au-dessus de ma coiffeuse, mon moi enfant fixe le lointain. La beauté simple de ce dessin me procure un sentiment agréable de confiance en moi. J'aime garder des objets qui me rappellent des souvenirs, qu'ils soient heureux ou non.
Je conserve dans une boîte en pin et décoré avec des motifs floraux en nacre, une pierre polie récupérée dans la rivière où je me baigne régulièrement, une mèche de cheveux issue de ma première coupe, un bouquet de marguerites séchées que m'a offert Lilas, la brisure d'une lame ramassée par Céfir lors de notre première chasse, la pointe de ma première flèche et un anneau en argent que portait ma grand-mère maternelle. J'écris avec la plume et l'encrier de mon grand-père maternel et conserve de mon grand-père paternelle une boutonnière en nacre d'une de ses chemises. Je porte régulièrement une broche ayant appartenu à ma mère lorsqu'elle était adolescente. Mon père m'a fait fabriquer pour mon septième anniversaire une ceinture de chasse que j'ai fait agrandir au fil des années. Le miroir de ma coiffeuse m'a été offert par mon frère à ma naissance. Quant aux teintures qui ornent mes murs, elles ont été en partie tissées par les mains de ma sœur. S'il y a bien une chose qui nous différencie, c'est sa passion pour le tissage et la broderie !
Mes parents me retrouvent bien plus dans les goûts de mon frère, son appétence pour l'astronomie et la calligraphie ainsi que son savoir-faire avec les animaux. Lorsque nous étions enfants, il avait une chienne, Prune, qui le suivait partout. Elle était noire avec la queue blanche. Elle nous a quittés il y a quelques années. Ma sœur a plutôt peur des bêtes et n'a jamais accepté pour présent un animal de compagnie. Elle n'est pas particulièrement complice avec sa jument, Étoile, qui approche des vingt ans. Celle de mon frère, Nuage, partage ses joies et ses peines depuis plus de vingt ans. Avant ma naissance, il passait la plupart de son temps libre aux écuries, dans les poulaillers ou les pâturages. Grâce à cette passion, les gens du peuple ont appris à connaître et apprécier leur futur souverain. Solitaire, mon frère ne s'ouvre pas facilement aux autres.
Sa seule compagne de jeux, à part ma sœur et moi, était Lilas. Du même âge, ils ont toujours joué ensemble du plus loin que je me souvienne. La jeune femme est orpheline depuis l'âge de six printemps et ma mère qui employait la sienne a décidé de la garder auprès de nous. Mon frère y était si attaché qu'il voulait en faire sa sœur. Il lui ramenait un brin de lavande ou autre fleur odorante tous les jours. Il partageait sa nourriture avec elle et ils étudiaient ensemble. En grandissant, leur complicité s'est effacée au nom de la bienséance. Mais je sais qu'ils se retrouvent en secret lorsque la nuit est tombée, soit auprès du feu de la grande salle, soit dans les vergers. Leur amour naissant ne date pas non plus d'hier. A quinze ans, ils ont eu une bête dispute. Ils ne se sont plus parlés pendant plusieurs semaines. Mon frère dépérissait à vue d’œil et la tristesse de Lilas envahissait les appartements de ma mère. Leur réconciliation leur a ouvert les yeux. Cette attirance mutuelle ne leur est pas passée, Alun refusant toutes les propositions de mariage qui lui sont faites et préférant, quitte à ne épouser Lilas, rester célibataire. On se croirait dans une romance que lit ma sœur ! Mes parents n'ont pas l'intention de le brusquer mais le mettent en garde. Le futur roi ne peut pas épouser une roturière. Ma famille n'ayant pas conclu d'alliances maritales avec toutes les familles, il y en a qui murmurent qu'un mariage avec la plus jeune sœur du comte Rubis, Corail, serait idéal. Mon frère ne tomberait pas trop mal car c'est la plus calme et cultivée d'entre ses sœurs. De deux printemps sa cadette, c'est un bon parti. C'est sans compter que la jeune femme est tombée sous le charme de mon cousin Zinc, né la même année que moi. Sa mère est une paysanne que mon oncle ne pouvait pas épouser. Ses sœurs aînées, les jumelles Rubine et Jaspe, n'ont que vingt-huit printemps mais un tempérament de feu qui a le don d'exaspérer Alun. Se rajoute à ces trois candidates, la cadette de la comtesse Améthyste, Iolia, âgée de trente-trois printemps. Un temps promise à mon oncle Acier, il lui a préféré la farouche Pyrona, la quatrième sœur de Rubis, fille aînée de Grenat.
On en revient encore à l'exigence de la pureté du sang. La douce Lilas a un autre handicap. Elle n'est qu'à moitié sylfe. Son père était un paysan du royaume rocailleux. Mort de maladie, sa femme prénommée Capucine, fille déshéritée d'un aubergiste, désormais sans ressource, est venue à la capitale en quête de travail. Ses manières raffinées ont séduit ma mère. Elle l'a engagée comme dame de compagnie. Les trois autres l'ont accueilli avec bienveillance bien que Cornaline, sœur du comte Topaze, n'ait pas approuvé une telle décision. Avec un enfant en bas âge, comment allait-elle s'acquitter de ses tâches ? Lilas a été chez la même nourrice que mon frère, ma sœur et moi. Les deux nourrissons dormaient dans le même couffin et pleuraient s'ils étaient séparés. Alun et Lilas ont continué de faire la sieste ensemble jusqu'à leurs quatre printemps dans la chambre de ce dernier. Au décès de Capucine, notre nourrice Bleuet a redoublé d'attention envers la petite fille. Sa joie de vivre envolée en a fait une adolescente taciturne que seul mon frère savait faire rire. Lorsque Lilas eut quinze printemps, Dame Hortense et dame Iris ont accepté sans hésitation qu'elle remplace sa mère. Cornaline s'en est occupée comme s'il s'agissait de sa propre fille et a insisté pour parfaire son éducation. Pour tout cela, Lilas voue une reconnaissance immense à ma mère.


Chapitre 3 : L'attaque


L'automne touche à sa fin, le feu crépite dans la cheminée, la bouilloire fume, la soupe fait des bulles dans la marmite, le vent murmure au dehors. Le château est endormi. Tout est calme. Ou presque. Une torche approche des remparts avant d'être soufflée à la hâte. Des pas de dizaines de personnes se font le plus feutrés possible. L'alarme ne sera pas sonnée. Le ciel matinal et grisé de début d'hiver et la légère brume enveloppent les combattants au teint sombre, au rictus tordu et au pas assuré. Leurs armures renforcées ne les empêchent pas de se mouvoir avec fluidité. Leurs épées à deux mains ou leurs masses ne battent pas leurs flancs. Une silhouette se découpe en avant du groupe. Souple, les cheveux dans le vent, le visage couvert par sa maille, sa cadence s'impose à ceux qui la suivent. Les sentinelles sont rapidement réduites au silence. Les remparts franchis et redescendus au petit trot. La ville dort. Un commis transporte les miches de la première fournée de la journée et lâche son panier de stupéfaction. Son sang ruisselle déjà sur le sol en terre battue. Aucun son n'a pu franchir ses lèvres. Lilas descend comme à son habitude aux cuisines pour apporter son thé à la reine. Elle retient son souffle. Après un pas en arrière et un demi-tour, elle s'enfuit dans le couloir. Elle traverse la cour en courant et s'empêtre dans ses jupes. Haletante, elle pénètre dans la salle des gardes et sonne l'alarme. Le château s'éveille brusquement. Les assaillants battent en retraite aussi silencieusement qu'ils sont entrés. L'enceinte pénétrée, les esprits restent sous le choc le reste de la journée. On se prépare à l'attaque. Le Conseil est réuni. Les Sylfaens peuvent communiquer par la pensée, aptitude très pratique en cas d'urgence pour le convoquer. Les entraînements de tir à l'arc sont pris très au sérieux. On enterre les trois morts. Lilas se mure dans un silence désemparé. La famille royale se prépare à quitter le château pour le comté vert. Mon père dirige les manœuvres militaires de la soirée.
Mes bagages sont prêts. Nous partons dans la nuit, ma mère et moi. Le but de la manœuvre est de faire croire à nos ennemis que nous fuyons. En réalité, nous réunirons les femmes et enfants de la capitale pour les mettre à l'abri de l'attaque. Les mères, tout à fait capables de se battre, s'occuperont quand même de leur progéniture. Il y a deux siècles, le royaume a connu une guerre terrible. Sylfa a perdu. Son sous-sol a été exploité. L'ingénu en histoire ne peut pas le savoir. Des galeries souterraines existent toujours depuis cette époque. Elles serviront aux plus vulnérables à quitter la ville à l'abri des regards et sans encombres. Ma mère guidera le groupe et je fermerai la marche. Si nos ennemis viennent à connaître l'existence de ce réseau, mon frère les attendra avec sa garde et des soldats volontaires. Jusque là tout semble simple. Le problème est que nous ne savons pas si les galeries sont encore praticables. Peut-être ont-elles subi une inondation ? La nappe phréatique aurait repris ses droits et provoqué un éboulement ? Il n'y a qu'un moyen de le savoir. Si les souterrains quadrillent la capitale, il est facile de s'y perdre sans carte et points de repères. Cyprès nous guidera avec sa vue perçante, son odorant très développé et ma mère s'aidera d'un plan qui indique les cul-de-sacs. Quelques heures devraient suffire pour arriver dans la forêt la plus proche et gagner la rivière où des embarcations attendront les réfugiés. Ensuite, nous rejoindrons ma sœur et son mari. Reste à savoir qui à guidé ces gens jusqu'à nos murs sans se faire repérer. Impensable qu'un espion dissimule ses desseins au château, mais alors qui ? Les habitants sont prévenus. L'opération peut commencer.
Après avoir parcouru deux kilomètres, la garde continue sans nous et, avec ma mère, nous chevauchons bride abattue en retournant sur nos pas. Arrivé au point de rendez-vous, le peuple pénètre déjà dans la mine abandonnée. Mon frère et ses hommes filtrent l'entrée. En quelques dizaines de minutes, la rue est vide. La lueur des torches éclaire des visages ensommeillés d'enfants et ceux soucieux de leurs mères. Une fois tous entrés dans la salle principale, nous comptons nos effectifs. Légèrement armés et peu nombreux, j'ai peur que nous soyons vite submergés. Je ne vois pas Céfir et je m'en étonne. Je demande à Alun s'il sait quelque chose mais il me répond par la négative tandis que ma mère entame la marche suivie des citadines et paysannes des abords du château. Le silence qui règne dans l'antre est à vous glacer le sang. Deux adolescents rechignent à suivre le reste du groupe et tentent d'argumenter auprès de leur père pour qu'il les laisse se battre. Je les connais, il s'agit des fils d'un boulanger. Je m'approche des garçons pour mieux entendre leurs arguments. L'aîné a treize ans, son frère onze. Je regarde leur père vraisemblablement partagé. Je décide d'intervenir en proposant de couvrir les arrières de l'un des deux garçons rouquins. Il acquiesce. Nous nous préparons à l'attaque. La lune doit être haute à cette heure-ci. La double porte est close et nous lui faisons face. Le premier coup de bélier retentit. Les hommes sortent leur épée et fléchissent les genoux. Je respire profondément. La porte cède. Les ennemis s'engouffrent dans la pièce. Ils sont plus nombreux et leur flot se déverse face à nous. La première salve de flèches vole. Les fers ricochent sur les épaisses armures de métal. « Visez la tête ! » crie mon frère. Nous rompons les rangs. C'est chacun pour soi, à présent ! Je reste près du plus jeune adolescent. En quelques minutes, l'assaut paraît tourner à notre avantage dans la mesure où nous connaissons les lieux. Mais comment ont-ils pu nous trouver si rapidement ? L'espion, assurément... Pourtant, la situation tourne en notre défaveur au bout d'une heure. Nos assaillants sont presque aussi grands que nous mais mieux bâtis et plus lourdement équipés. Leurs épées à deux mains et leurs masses brisent nos fines lames. La retraite ne va pas tarder à être sonnée et il faudra condamner le tunnel par lequel se sont enfuis ma mère et les rescapés. Je blesse plusieurs ennemis pour me frayer un chemin jusqu'au boulanger. Il me crie d'emmener ses garçons. Je ne me fais pas prier.
Le chaos nous entoure, le bruit des armes qui s'entrechoquent, les corps qui s'affaissent et les cris étouffés. J'empoigne mes deux protégés et nous courrons vers le tunnel. Le plus âgé regarde en arrière car son père est en mauvaise posture. Je lui crie de nous rejoindre. Son épaule est transpercée par une flèche perdue. Il tombe à genoux, le souffle coupé. De stupeur, je pousse son jeune frère à l'entrée du tunnel et me rue sur le blessé. Je le relève et nous avançons du mieux que nous le pouvons. Un homme se dresse soudain devant nous. La route est barrée. Je dégaine mon épée et demande au garçon de rejoindre son frère. Qu'ils ne m'attendent pas et prennent à droite au prochain croisement dans les galeries. La retraite sonne. Mon frère et ses hommes valides rejoignent la porte de la salle. Je me retourne mais mon adversaire avance sur moi. Sa silhouette m'est familière. La peau de ses compagnons est aussi sombre que la sienne. Sa carrure est imposante mais ce n'est pas celle d'un guerrier aguerri. Nous n'avons pas d'autre choix que d'engager le combat. Je me concentre et détends mon jeu de jambes. L'affrontement s'éternise et il ne reste plus que nous et les morts dans la pièce. Ce sera donc jusqu'à l'épuisement ! Ma souplesse compense mon manque de force. Nous ne sommes ni l'un ni l'autre à court d'endurance. La sueur ruisselle sur mon visage. Jamais il ne vise ma tête. Je ne comprends pas. Mes coups d'estoc ne suffisent pas à le déséquilibrer. A moins que... Je fais plusieurs pas rapides en arrière pour prendre mon élan. Peut-être que j'arriverai à le faire tomber en sautant. Il ne comprend pas mon mouvement. C'est le moment ! Je saute et lui envoie mon pied dans la poitrine. Il tombe à la renverse et moi sur lui, haletante. Je lui retire son heaume. Des boucles brunes tombent en cascade sur ses épaules. Je reste pétrifiée en voyant le visage de Céfir.
Il détourne le regard. Je commence à verser des larmes. C'est lui l'espion ! Un objet frappe l'arrière de ma tête et je m'effondre inconsciente. Lorsque j'ouvre les yeux, les premières lueurs du jour traversent la porte de l'endroit où je suis retenue. Une paillasse, un broc d'eau, deux tabourets et une table en bois. Une chaumière ? Pas habitée. Les pâturages ? Je reprends mes esprits. Mon corps ne souffre pas de blessures graves. De petites coupures et des hématomes. La porte s'ouvre à la volée. Un homme très grand pénètre dans la pièce suivi d'une silhouette féminine. Il m'attrape et me soulève. Je ne me débats pas. Ne dis rien. Je me laisse transporter comme un poids mort. Il sera toujours temps de fuir une fois à l'extérieur. Un camp de fortune a été monté et les hommes s'y reposent. Leurs effectifs ont diminué. Je trouve Céfir du coin de l’œil assis contre un arbre. Il n'a pas un regard pour moi. Je détourne les yeux. L'homme m'installe en face de la femme, vraisemblablement la cheffe des opérations. Elle me tend un bol de soupe et demande à l'homme où se trouve la rivière la plus proche. Il nous y emmène après ma collation et la femme commence à se déshabiller. Elle entre dans l'eau et m'invite à la rejoindre. Je reste interdite un instant. « Je ne vais pas vous manger » dit-elle avec un sourire aimable. Sa musculature est fine mais développée, sa peau halée, ses yeux mordorés et ses cheveux bouclés sombres retenus par un lien en cuir. Mais le plus impressionnant, ce sont les tatouages qui ornent son dos. Des motifs runiques de plusieurs couleurs, reliés par des arabesques chatoyantes. Je la rejoins dans l'eau claire dont la fraîcheur me fait frisonner. Le sang de mes blessures s'écoule doucement. Elle fait craquer les os de son dos et de son cou. Après quelques brasses elle retourne contre la berge en me fixant du regard. Je m'approche d'elle et attend qu'elle engage la conversation. « Je m'appelle Jinen et tu connais déjà mon neveu Céfir. Je suis la sœur aînée de son père. » Je reste mortifiée. Elle poursuit : « Mon groupe et moi venons du Désert de poussière. Notre peuple est connu pour la vie de pillages qu'il mène sur les plus faibles. Mais mon frère ne voulait pas de cette vie. Il a fui avec femme et enfants sans laisser d'adresse. Je l'ai cherché pendant plusieurs années avant de comprendre qu'il s'était réfugié à Sylfa. Le royaume de ta mère. Céfir m'a beaucoup parlé de toi. Nous n'attaquons pas sans but. Je viens pour conclure un marché. Le Conseil a rejeté ma demande la première fois. Je suis donc revenue avec mon armée. Mais maintenant que tu es avec nous, j'ai bon espoir que ta mère et le Conseil m'écoutent. » Je ne répondis pas. Elle sortit de l'eau et se rhabilla. Je fis de même. Une fois de retour au camp, la fatigue me submergea. Je dormis profondément en essayant de digérer les révélations qui venaient de m'être faites.
A mon réveil, le camp avait été levé. Les soldats envolés. Seuls Céfir et sa tante sont restés. J'ai besoin d'explications. Je ne peux pas croire qu'il m'ait trahie. Jinen prend la parole avant que je n'ai pu ouvrir la bouche : « Ne lui en tiens pas rigueur, il n'a fait qu'obéir à mes ordres pour une cause qui lui semblait juste. Nous devons discuter. Parle à ta mère en faveur de mon peuple. Tu auras plus de chances que moi qu'elle t'écoute.
-Cela ne marche pas comme ça.
-J'ai une autre révélation à te faire. Elle concerne mes tatouages. Je suppose que ces runes ne te sont pas inconnues. Elles ont un lien avec la divinité que vous priez.
-En effet. Je suis étonnée de voir que vous connaissez leur signification.
-Ne trouves-tu pas cela étrange ? Des motifs ancestraux de la mythologie sylfaenne dans le dos d'une étrangère.
-Vous avez pu en entendre parler lors d'un voyage.
-Ce n'est pas le cas, je les ai depuis plus de vingt printemps. Or, à l'époque je n'ai pas quitté le désert.
-Alors comment ?
-Justement, c'est là où je veux en venir.
-Que voulez-vous dire ?
-Que les Sylfaens ne sont pas le peuple originel qu'ils prétendent être.
-C'est tout à fait possible, mais vous n'avez pas moyen de le prouver.
-Ce que je veux dire c'est que la légitimité de ton peuple est remise en question et que le refus farouche du métissage est inutile.
-Je n'ai jamais été pour cette fermeture d'esprit.
-Tu es encore plus extraordinaire que ce à quoi je m'attendais. Céfir ne m'a pas menti. Au lieu de te murer dans un silence digne, tu acceptes de discuter avec moi et pas seulement de la pluie et du beau temps.
-J'essaye juste d'être aimable avec la tante de mon meilleur ami en oubliant que nous sommes ennemies.
-J'apprécie ton franc-parler. Il est temps de te reconduire au château. Céfir ne nous accompagne pas. C'est plus sûr. J'aimerais beaucoup accéder à votre bibliothèque si j'en ai la permission.
-Je pense que votre requête sera accueillie avec suspicion.
-Et bien, nous verrons !
-A votre guise. » Nous nous jaugeons du regard. Elle attise ma curiosité mais je préfère me taire. Son courage est admirable, son intelligence indéniable. Je retrouve les traits de Céfir sur son visage. Sa façon de parler, de se déplacer, c'est comme si elle coulait, aussi insaisissable que l'eau.
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