DeadlySin a écrit : ↑mer. 17 janv., 2024 6:26 amAutant garder les réflexions de tout le monde au même endroit pour éviter les répétitions.
Ok, alors je vais développer ici. Attention, c’est long.
LE PARADOXE
La Dark Romance est un genre littéraire qui offre à des lectrices une stimulation érotique par des scènes de harcèlement, sévices, abus sexuels. Ces violences sont infligées à une femme par un homme physiquement attirant. Le paradoxe réside dans le fait que ces mêmes lectrices trouveraient horribles ces situations dans la vie réelle. Pourquoi ce divorce Fantasme / Vie réelle ?
Ce qui suit englobe la Dark Romance mais montrent aussi une altération sociétale des aspirations des femmes, en général
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Meredith Chivers New York Times, 2009
Les études de Meredith Chivers, confirmées par d’autres équipes de recherche, montrent qu’un homme hétérosexuel réagit devant des vidéos érotiques de femmes mais n’a strictement aucune réaction physique de désir devant des images d’hommes. Logique.
À l’inverse, les femmes hétérosexuelles réagissent devant des vidéos d’hommes (logique) mais aussi devant des vidéos d’une fille belle dans des situations qu’un homme trouverait érotiques. Posture, lieu, acte ...
Meredith Chivers n’a pas utilisé de textes de Dark Romance mais elle a utilisé des images que j’avais trouvées en ligne à l’époque. Certaines montraient une fille attachée, soumise, dans des postures humiliantes etc. La réaction positive des femmes testées indiquait chez elles un point de vue ‘masculin’
La conclusion, c’est que parfois, les femmes réagissent uniquement à la nature érotique d'une situation fictive. Même si sa participante fictive n'en retire pas de plaisir (Dark Romance). Il suffit que la situation fictive soit jugée érotique aux yeux d’un homme. Cet érotisme de situation est le ressort de la Dark Romance
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Comment une femme peut elle intérioriser un regard masculin ?
En fait, la vraie question est : comment pourrait-elle ne pas le faire ? Dans les médias, une femme est d’abord une silhouette qui suscite le désir. Sur le net, au cinéma, sur les abribus, les murs des villes, à la télé et dans chaque page des magazines féminins, on est bombardée à longueur de journée d’images de filles jolies et séductrices.
Pourquoi ? C’est tout bête : quatre vingt quinze pour cent des réalisateurs de cinéma et des scénaristes sont des hommes. Quatre vingt quinze pour cent des publicistes sont des hommes. Les femmes sont objectifiées dans tous les médias parce que ce sont des hommes qui produisent le contenu. Ce sont des artistes, ils travaillent avec leur sensibilité. Ils projettent donc leurs fantasmes sur la figure féminine. Dans les films, les séries télévisées, la publicité, les jeux vidéos, les bandes dessinées. Le personnage féminin est juste un objet érotique.
Les fillettes apprennent dès le plus jeune âge à se regarder comme les médias regardent les femmes. Elles assimilent donc ce regard masculin. Il devient leur regard.
Lara Croft, héroïne du jeu vidéo Tomb Raider.
Conséquence : nos valeurs et nos priorités
Le modèle omniprésent de la fille objet érotique interfère avec nos choix de vie. On ne l’avouera jamais mais la personnalité et les talents d’une fille nous semblent secondaires par rapport à sa beauté. L’aptitude à susciter le désir des hommes est le premier critère de réussite et de compétition entre femmes. Ce dont nous sommes le plus fières, ce sont nos conquêtes amoureuses et notre succès auprès du sexe opposé. Ce dont on a le plus honte, ce qui nous fait le plus mal, ce sont nos échecs amoureux. Ne pas avoir séduit, ne pas ou ne plus être désirée.
À ses propres yeux, une femme est peu ou prou réduite à un corps. Elle a envie d’être belle même quand il n’y a personne autour. Je clame haut et fort que ma personnalité et mes aptitudes sont la seule mesure de ma valeur en tant qu’être humain. La part rationnelle de mon esprit sait que j’ai raison. Je m’efforce de vivre selon ce précepte. Mais irrationnellement, je suis contente si je plais aux hommes et je me dis que je suis nulle dans le cas contraire.
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Nelly Arcan
L’érotisme de situation
Si nos désirs, en général, tournent autour du but de séduire des hommes, alors nos fantasmes aussi. On aime la Dark Romance parce que (croit-on, mais c’est faux) un homme aimerait faire ce qu’elle décrit.
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Objection :
universalité des émotions différentes Fiction / Réalité
On pourra rétorquer à ma théorie que la Dark Romance n'est pas le seul exemple où une situation suscite deux réactions opposées, selon qu'on la rencontre dans un récit de fiction ou dans la réalité. Et donc que l’explication pour la Dark Romance est plus générale.
Des traits d'humour fonctionnent dans la fiction mais pas dans la réalité. Des fusillades et des morts violentes nous distraient dans un roman mais nous traumatiseraient à vie si nous les vivions réellement. Le cinéma et les séries netflix suscitent souvent en nous des émotions opposées à celles que nous éprouverions en vivant les situations qu'elles décrivent.
Tout ça est vrai. Le divorce Fiction / Réalité n’est pas propre à l’image de la femme et à l’érotisme. Oui, d’autres biais culturels expliquent nos réactions spécifiques à certaines scènes de films. Mais dans le cas de la Dark Romance, le biais à l’oeuvre façonne la sexualité des femmes, l’image qu’elles ont d’elles même, leurs choix de vie et leurs aspirations profondes.
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Anecdotes persos, donc ne prouvant strictement rien et que vous pouvez zapper. Mais qui corroborent ce qui précède
Un homme s’habillerait avec un sac de patates si on le laissait faire. J’ai consacré des milliers d’heures au shopping, à conserver mon poids d’ado, à ma coiffure, à mes maillots de bain, à lire des articles sur la séduction, à m’entrainer à faire la conversation, à projeter une image de douceur, de sensibilité. À devenir la copie conforme de la poupée Barbie avec laquelle je jouais enfant.
En moi, un regard masculin m’a fait aimer avoir des cheveux longs, mettre des talons, des jupes courtes, des crop tops moulants, des strings inconfortables. Il m’a conduite à aimer bien d’autres choses contraires à mes préférences naturelles. Aujourd’hui, je ne pourrais pas dire où est la frontière. La frontière entre les goûts que j’ai acquis par ce processus et les autres. Comme dit Nelly Arcan, ‘
on ne nait pas femme, on l’apprend’.
Quand un homme se regarde dans un miroir, ça lui fait le même effet que voir un lampadaire ou une casserole. Dans '
La danse du miroir' (Spiegeltanz), d’Helene Hegemann, l’héroïne de 17 ans éprouve de l’excitation dans des jeux érotiques devant un miroir avec sa sœur. Un homme serait excité de les voir faire, donc elles sont excitées de le faire. L’héroïne ne le fait même pas en imaginant que Lukas, son petit ami, la regarde. Le miroir reflète le regard intérieur de l'héroïne. Elle fait ça pour le bénéfice d’un homme générique qui vit en elle, la désire, et par les yeux duquel elle s’observe depuis toujours. Heureusement que le miroir de ma chambre d’adolescente est muet, vu les jeux que j'ai eu devant lui avec ma sœur, à peu près au même âge que l’héroïne du roman. Notre mère aurait fait une crise cardiaque si elle avait su à quel point ses deux filles s’appréciaient.
Malgré la banalité de ma vie d’adulte, je prend toujours du plaisir à lire des témoignages de filles qui ont eu des expériences sexuelles borderline. SM etc. Je suis curieuse et clairement émoustillée. J’aime ces textes plus que de mauvaises scènes de Dark Romance, mais uniquement pour des raisons de qualité d’écriture. Si j’avais trouvé de la Dark Romance bien écrite, j’en aurais lue plus.
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Je recherche des romans avec ces 4 qualités /
Ma présentation