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Ravensbrück... On avait toutes les chances d'y mourir sur place, mais si par miracle on en réchappait , on en claquait quand même des années après ! Ce que nous avons vécu laisse à l'âme des blessures ouvertes dont on ne cicatrice jamais.
Afficher en entierJe gardais donc ma colère et ma révolte au fond de moi, frustré de ne pouvoir les faire sortir au grand jour, aux yeux de tous.
Afficher en entierJe me souviens de Wilhem et de tous mes amis exécutés parce qu'ils n'avaient pas obéi. Je ne veux pas mourir ! Surtout ne pas trahir mon écoeurement, ma compassion, ne pas pleurer, rester stoïque, oublier...
Afficher en entierJe m'appelle Gunther Frazentich. Je suis un vieillard de soixante-dix-sept ans. Vieillard, parce que je suis rongé par un cancer qui va finir par m'emporter. Je me sens de plus en plus faible. Le médecin ne me répond pas lorsque je lui demande combien de temps il me reste à vivre, non pas qu'il ne possède pas la réponse, mais il ne veut pas me dire à quel point cette échéance est brève. Je ne suis pas si âgé, c'est juste la maladie qui a usé mon corps prématurément.
Mais avant de partir vers d'autres horizons, et puisque j'ai encore un peu de vie en moi et que ma mémoire ne me fait pas défaut, je veux vous raconter une histoire, la mienne. Je ne suis pas narcissique, non, c'est juste que j'ai envie de partir plus sereinement, plus léger, et j'ai surtout envie de vous remettre en mémoire ce qui s'est passé il n'y a pas si longtemps.
Je suis né le sept mai mille neuf cent dix-huit dans le petit village de Himmelpfort, non loin du superbe lac de Schwedtsee, en Allemagne. C'est là que j'ai passé mon enfance. C'est là que j'ai grandi, que je suis allé à l'école. A la grande déception de mes parents qui travaillaient à la ferme familiale, je n'ai jamais eu l'instinct agricole chevillé en moi comme eux l'ont eu chevillé au corps. Rien n'avait d'importance à leurs yeux, sauf les champs, le bétail, les saisons. Mon frère et moi étions nés pour prendre la relève. C'était notre destinée. Nous avaient-ils conçus uniquement dans ce but ? Je me suis souvent posé la question.
Très tôt, j'ai pris conscience que je n'étais pas fait pour vivre à la ferme. Je voulais être un «artiste». Dès que j'en avais l'occasion, je m'échappais de la maison et je courais jusqu'au bord du lac. J'y passais des heures à dessiner, assis devant l'eau changeante, tantôt grise, tantôt bleue, tantôt verte selon le temps. J'étais au paradis, une simple feuille posée sur un carton sur mes genoux, un morceau de fusain à la main.
J'avais commencé un jour, sur une même feuille, à suivre l'évolution d'un bourgeon, jusqu'à ce qu'il devienne une fleur. Mon grand-père avait vu ce dessin, il avait beaucoup aimé. Je lui avais donc montré d'autres esquisses puis tout ce que je dessinais au fur et à mesure de leur conception. Il me guidait, me conseillait. Il me faisait refaire chaque élément qui ne correspondait pas : un problème de perspective, une ombre mal placée... Non pas que mon aïeul fût un grand dessinateur, non, il avait juste un oeil aiguisé et ses conseils étaient judicieux. Parfois, il me glissait une pièce en douce de mes parents pour me permettre d'acheter un peu de matériel. Il était si fier de moi qu'il m'encourageait même devant mon père, ce qui était source de conflits, car mon géniteur voyait d'un très mauvais oeil ma passion pour le dessin qui me détournait des vraies valeurs de la campagne.
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