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Qui suis-je ? Je ne sais pas. Je ne l'ai jamais su. Peut-on jamais comprendre qui on est ?

A quoi je ressemble ? Je me cache sous une carapace de normalité. Parce que tous les enfants apprennent rapidement qu'il est important d'être normal et que, si vous ne l'êtes pas, vous avez intérêt à donner le change.

Principale motivation : Me sentir comme tout le monde. Ce qui est bien sûr la seule chose que je ne pourrai jamais ressentir.

But de l'opération : Puisque je ne peux pas être comme tout le monde, je serai mieux que tout le monde. J'affinerai mes talents. Je serai vous. Je serai moi. Je serai la mort. Je serai le salut. Je serai tout. Et alors j'aurai finalement tout ce que je veux.

Bénéfice net : La liberté, enfin.

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Ma maladie a été découverte grâce à ma grande sœur quand j’avais trois ans. Notre mère d’accueil la surprit les ciseaux à la main, en face de moi qui tendais docilement mes bras nus ; du sang dégoulinait de mes poignets sur l’épaisse moquette vert olive.

Ma sœur, six ans, dit : « Regarde, ça ne lui fait rien du tout. » Et elle me tailla l’avant-bras d’un coup de lame. Du sang frais monta.

Notre mère d’accueil poussa un grand cri et perdit connaissance.

Alors je la regardai, allongée par terre, sans comprendre.

Après cet épisode, ma sœur s’en alla et on me conduisit à l’hôpital. Là-bas, les médecins passèrent des semaines à pratiquer divers examens qui auraient dû être plus douloureux que les soins acérés prodigués par ma sœur, mais on s’aperçut que c’était justement le problème : en raison d’une mutation extrêmement rare du gène SCN9A, je ne sens pas la douleur. Je suis sensible à la pression (celle des ciseaux sur ma peau), à la texture (le poli des lames fraîchement aiguisées), mais la sensation précise de la peau qui s’ouvre, du sang qui perle…

Je ne sens pas ce que vous sentez. Depuis toujours. Et ça ne changera pas.

Après que Shana m’avait tailladé les bras avec ces grands ciseaux de couture, je ne l’ai pas revue pendant vingt ans. Ma sœur a été trimballée d’établissement en établissement et elle a eu le triste privilège de faire partie des plus jeunes enfants placés sous neuroleptiques dans le Massachusetts. Elle a commis sa première tentative de meurtre à l’âge de onze ans, pour finalement réussir son coup à quatorze. L’atavisme familial.

Mais pendant qu’elle devenait une énième victime du système, je devenais officiellement un modèle de réussite.

Avec la maladie qu’on m’avait diagnostiquée, les médecins n’étaient pas convaincus qu’une famille d’accueil saurait m’apporter les soins nécessaires. De fait, on avait vu des bébés atteints de la même mutation génétique se mordre la langue au point d’en sectionner un bout pendant qu’ils faisaient leurs dents. Il y avait aussi ces bambins qui s’étaient brûlés au troisième degré parce qu’ils avaient posé les mains sur des plaques de cuisson chauffées au rouge et qu’ils ne les avaient pas retirées ; sans parler de ceux qui à sept, huit, neuf ans galopaient des jours entiers sur une cheville cassée ou tournaient de l’œil parce que leur appendice venait de se rompre alors qu’ils n’avaient même pas senti qu’il était enflammé.

La douleur est très utile. C’est un signal d’alarme qui vous apprend à reconnaître le danger et à prendre conscience des conséquences de vos actes. Sans elle, sauter du toit peut paraître une excellente idée. De même que plonger la main dans un bac d’huile bouillante pour attraper la première frite. Ou s’arracher les ongles avec des tenailles. La plupart des enfants qui présentent une insensibilité congénitale à la douleur expliquent agir sur des coups de tête. Pour eux, la question n’est pas : pourquoi ? mais : pourquoi pas ?

D’autres cependant vous répondent avec des accents de regret qu’ils voulaient voir si ça ferait mal. Parce que sentir ce que tant de gens sentent peut devenir le Graal de toute une vie. Une puissante motivation. Une constante obsession. Le plaisir de connaître enfin la douleur.

Les enfants qui souffrent de troubles de perception de la douleur ont un taux de mortalité élevé ; peu de mes semblables atteignent l’âge adulte et la plupart exigent une surveillance de chaque instant. Dans mon cas, un des généticiens de l’équipe, un homme relativement âgé qui n’avait ni femme ni enfants, a fait jouer ses relations pour me recueillir chez lui. Je suis ainsi devenue sa fille adoptive chérie en même temps que son sujet d’étude préféré.

Mon père était un homme bien. Il n’engageait que la crème des nounous pour veiller sur moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre et consacrait ses week-ends à m’apprendre à vivre avec ma maladie.

Par exemple, en l’absence de sensations douloureuses, il faut trouver d’autres méthodes pour repérer ce qui pourrait menacer votre intégrité physique. Petite, j’ai appris que l’eau bouillante était synonyme de danger. Idem pour les plaques de cuisson rougies par la chaleur. Je tâtais d’abord les objets pour en connaître la texture. Tout ce qui était coupant, je devais m’en tenir éloignée. Pas de ciseaux pour moi. Ni de meubles aux angles vifs. Pas non plus de chaton, de chiot, ni d’autre créature aux griffes acérées. Toujours marcher. Ne pas sauter, ne pas glisser, ne pas gambader, ne pas danser.

Quand je sortais, je portais en permanence un casque et de solides protections. Et quand je rentrais, on me retirait mon armure et on vérifiait que mon corps n’avait pas subi de traumatisme. Comme le jour où mon pied a tourné sur lui-même à cent quatre-vingts degrés quand ma nourrice m’a retiré ma chaussure : je m’étais arraché tous les tendons pendant une promenade au jardin public. Ou cette autre fois où j’étais revenue couverte de piqûres : j’étais tombée sur un nid de frelons et, avec la naïveté d’une enfant de cinq ans, j’avais cru qu’ils dansaient avec moi.

En grandissant, j’ai appris à faire moi-même mon bilan de santé. Prise de température quotidienne, la fièvre pouvant permettre de détecter une infection. Tous les soirs, inspection : nue devant un miroir en pied, j’examine chaque centimètre de peau à la recherche de contusions ou de coupures, puis je passe en revue mes articulations pour vérifier qu’elles ne présentent ni enflure ni signe de lésion. Ensuite, les yeux : un œil rouge est un œil qui ne va pas bien. Examen des oreilles : la présence de sang dans le conduit auditif pourrait être l’indice d’un tympan percé et/ou d’un traumatisme crânien. Enfin, les cavités nasales, l’intérieur de la bouche, les dents, la langue, les gencives.

Mon corps, mon enveloppe terrestre, est un objet utile qu’il convient de surveiller, d’entretenir et de soigner. Je me dois d’en prendre un soin tout particulier puisque, faute de canaux moléculaires qui conduisent les signaux électriques des nerfs sensibles à la douleur jusqu’au cerveau, il ne sait pas se protéger. Ceux qui souffrent du même mal que moi ne peuvent pas se fier à leur toucher. À la place, ils doivent s’en remettre à la vue, l’ouïe, le goût et l’odorat.

Domination de l’esprit sur la matière, ne cessait de répéter mon généticien de père. Une discipline à acquérir.

Quand j’ai atteint l’âge de treize ans sans avoir succombé à un coup de chaleur, une infection ou une banale négligence, mon père a poussé ses recherches un cran plus loin. Car si seuls quelques centaines d’enfants dans le monde étaient porteurs de cette anomalie, nous n’étions plus qu’une quarantaine encore en vie au seuil de l’âge adulte. Or les études de cas avaient mis en lumière d’autres fragilités liées à une existence exempte de tout inconfort physique. Par exemple, de nombreux sujets avaient montré un manque de compassion pour autrui, des retards de développement émotionnel et des difficultés de socialisation.

Mon père adoptif a donc ordonné un bilan psychologique complet. Étais-je capable de percevoir la douleur des autres ? De reconnaître des signes de détresse sur le visage d’un inconnu ? De réagir de façon appropriée devant la souffrance de mes semblables ?

Après tout, si vous ne pleurez jamais quand vous vous blessez avec une feuille de papier, verserez-vous des larmes quand, à seize ans, votre meilleure amie coupera brusquement les ponts avec vous en vous traitant de monstre ? Si vous êtes capable de marcher des kilomètres avec un genou en vrac, votre cœur se serrera-t-il quand, à vingt-trois ans, votre sœur biologique reprendra contact avec vous et que la lettre portera le cachet de l’administration pénitentiaire ?

Et si vous n’avez jamais connu une seule seconde de souffrance physique, pourrez-vous réellement comprendre votre père adoptif lorsque, dans son dernier souffle, il vous dira d’une voix entrecoupée en étreignant votre main : « Voilà. Adeline. C’est ça. La douleur. »

Seule dans mon coin à son enterrement, j’avais l’impression de comprendre. Mais en digne fille de mon père, je me rendais aussi compte que je ne pourrais jamais en avoir la certitude. Alors j’ai fait ce qu’il m’avait appris à faire : je me suis inscrite en doctorat dans une université de premier ordre pour étudier, conduire des expériences, mener des recherches.

J’ai fait de la douleur mon métier.

Et une spécialité utile à plus d’un titre.

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Il ne dit plus rien et l’embrassa sur la tête. Elle ferma les yeux et fit le vœu que l’amour d’Alex lui suffise.

Mais cela ne pouvait pas lui suffire.

Un assassin s’était baladé chez elle. Et ce qu’elle voulait, ce n’était si l’amour de son mari ni la protection de son équipe.

Ce qu’elle voulait, c’était de venger.

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– Tu es comme tu es, tu fais ce que tu fais. Et tu es plus forte que tu ne le crois.

– C’est du Winnie l’Ourson dans le texte ?

– Hé, figure-toi que j’aime bien notre ami tout petit, tout doux, tout rond et tout mignon. Que crois-tu que Jack et moi fassions de nos après-midi de liberté ?

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Ce n'est pas parce que tu ne sens pas la douleur que tu ne souffriras pas quand l'assassin viendra te chercher.

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Prologue

Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut…

Le cadavre n’était plus là, mais l’odeur était restée. D.D. Warren, enquêtrice de la brigade criminelle de Boston, le savait d’expérience : ce genre de scène de crime peut puer pendant des semaines, sinon des mois. La police scientifique avait emporté le linge de lit, mais rien à faire, le sang vit sa vie. Il avait imbibé le placo, coulé derrière les plinthes, s’était accumulé entre les lames de parquet. Près de cinq litres circulaient autrefois dans les veines de Christine Ryan, vingt-huit ans. À présent, la majeure partie imbibait le matelas nu au milieu de cette chambre sinistre et grise.

Se balance au gré du vent…

La demande d’intervention était arrivée peu après neuf heures du matin. Midge Roberts, une bonne amie de Christine, s’inquiétait parce que la jeune femme ne répondait ni aux coups frappés à sa porte ni aux textos. Christine était pourtant une fille responsable. Elle n’avait pas de pannes d’oreiller, n’aurait jamais fugué avec un séduisant barman, n’aurait pas attrapé la grippe sans en avertir sa grande complice, qui passait tous les jours la chercher sur les coups de sept heures trente pour qu’elles fassent ensemble le trajet jusqu’à leur cabinet comptable.

Midge avait contacté d’autres amis. Partout, le même son de cloche : pas de nouvelles de Christine depuis le dîner de la veille. Cédant à son instinct, Midge avait fait venir le propriétaire, lequel avait finalement accepté d’ouvrir la porte.

Avant de vomir dans le couloir de l’étage à la suite de sa découverte.

Midge n’était pas montée. Elle était restée dans l’entrée de la petite maison. Comme elle l’avait expliqué à Phil, le coéquipier de D.D., elle savait déjà. D’instinct. Sans doute que, même à cette distance, elle avait senti les premiers relents, l’odeur du sang à moitié sec, reconnaissable entre toutes.

Un bébé dans un berceau…

À son arrivée, D.D. avait aussitôt été frappée par le caractère violemment contrasté de la scène. La jeune victime, couchée en étoile sur le lit, fixait le plafond de ses yeux bleus désormais sans vie. Une impression de sérénité se dégageait de son joli visage et ses cheveux châtains mi-longs formaient une masse soyeuse sur l’oreiller d’une blancheur éclatante.

Mais en dessous du cou…

La peau avait été décollée de la chair en fines lanières torsadées. D.D. avait déjà entendu parler de telles atrocités, mais à onze heures du matin ce jour-là, elle avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux une jeune femme écorchée dans son lit.

Une bouteille de champagne posée sur la table de chevet et une rose rouge en travers de l’abdomen sanglant.

À côté de la bouteille, Phil avait trouvé une paire de menottes. De celles qu’on peut se procurer dans les sex-shops haut de gamme, avec de la fourrure pour le confort. Entre ces menottes, le vin mousseux, la rose rouge…

Un rendez-vous galant qui avait mal tourné : c’était la théorie de Phil. Ou, vu le degré de violence, l’ultime vengeance d’un amant éconduit. Christine avait rompu avec un triste sire et celui-ci était revenu la veille au soir, histoire de montrer une fois pour toutes qui était le chef.

Mais D.D. n’était pas convaincue. Certes, il y avait des menottes, mais pas aux poignets de la victime. Oui, il y avait une bouteille de champagne débouchée, mais les flûtes étaient propres. Enfin, d’accord, il y avait la rose, mais sans emballage-cadeau du fleuriste.

L’ensemble lui semblait trop… prémédité. Il ne s’agissait ni d’un crime passionnel ni d’une brouille entre adultes consentants. Plutôt d’une mise en scène soigneusement calculée et dont la conception et la préparation avaient dû exiger des mois, des années, peut-être même toute une vie.

Pour D.D., ils n’avaient pas sous les yeux une simple scène de crime, mais le plus intime et le plus ignoble des fantasmes d’un tueur.

Et même si c’était le premier homicide de ce genre sur lequel ils enquêtaient, il y avait de fortes chances qu’un crime obéissant à un rituel aussi précis ne soit que le début d’une longue série.

Au gré du vent…

L’équipe de D.D., les techniciens de scènes de crime, les services du légiste et une armée d’enquêteurs divers avaient travaillé sur place pendant six heures. Ils avaient procédé aux constatations et aux relevés d’empreintes, tracé des diagrammes et débattu jusqu’à la tombée de la nuit – heure à laquelle les esprits s’échauffent et où les bonnes gens rentrent dîner chez eux. En sa qualité de directrice d’enquête, D.D. avait finalement renvoyé chacun avec instruction de reprendre des forces. Demain était un autre jour : ils pourraient interroger les bases de données fédérales pour savoir si d’autres meurtres correspondaient à ce descriptif, établir le profil psychologique de la victime et du tueur. Beaucoup de pain sur la planche, de nombreuses pistes à explorer. En attendant, ordre d’aller se reposer.

Tout le monde avait obtempéré. Sauf D.D., naturellement.

Il serait bientôt vingt-deux heures. Elle aurait dû rentrer chez elle, embrasser son mari, jeter un coup d’œil à son fils de trois ans, déjà couché à cette heure tardive. Se préparer pour une bonne nuit de sommeil au lieu de traîner sur une scène de crime, toutes lumières éteintes, avec la comptine préférée de son bout de chou dans la tête.

Mais elle n’arrivait pas à s’y résoudre. Un mystérieux instinct (le flair ?) l’avait ramenée dans cette maison trop tranquille. Ses collègues et elle avaient passé le plus clair de la journée à discuter du spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Désormais, postée dans le noir au milieu d’une chambre où flottaient des effluves de sang, elle guettait les informations que ses autres sens pourraient lui apporter.

Un bébé dans un berceau…

Christine Ryan était déjà morte quand l’assassin avait pratiqué la première incision. D’où l’absence d’expression torturée sur son visage pâle. La victime avait connu une fin relativement douce. Et tandis que son cœur émettait ses ultimes battements, le tueur avait donné un premier coup de lame vertical dans son flanc droit.

L’objectif de ce meurtre n’était donc pas de faire souffrir, plutôt…

Sa mise en scène ? La composition du tableau ? Le rituel lui-même ? Leur assassin était animé par le besoin compulsif d’écorcher sa victime. Peut-être avait-il commencé dès l’enfance sur de petites bêtes, des animaux de compagnie, et quand, par la suite, le fantasme avait refusé de lâcher prise…

Le légiste chercherait d’éventuels signes d’hésitation (si toutefois il était possible d’examiner la régularité des découpes dans ce monceau de fines guirlandes de peau), ainsi que des preuves d’agression sexuelle.

Mais là encore, D.D. n’arrivait pas à se défaire d’un sentiment de malaise. Ces éléments étaient ceux qui se présentaient au regard de l’enquêteur. Or, en son for intérieur, D.D. soupçonnait déjà qu’il s’agissait d’une fausse piste. Justement celle sur laquelle le tueur voulait les lancer.

Se précisa alors l’idée qui lui trottait dans la tête, cette question essentielle qui méritait réflexion et qui l’avait conduite à se retrouver là, dans le noir : pourquoi une mise en scène ?

Pourquoi pousser aussi loin le souci de la composition, sinon pour manipuler le spectateur et l’amener à voir exactement ce que vous vouliez lui faire voir ?

Un bruit. Au loin. La porte d’entrée, ouverte avec précaution ? Le craquement de la première marche sous un pas lourd ? Le gémissement d’une lame de parquet au bout du couloir ?

Encore un bruit. Lointain tout à l’heure, plus proche à présent, et en un éclair le commandant D.D. Warren comprit ce dont elle aurait dû se rendre compte un quart d’heure plus tôt : la berceuse préférée de Jack, cette comptine qu’elle fredonnait… elle ne résonnait pas seulement dans sa tête.

Quelqu’un d’autre la chantonnait. Tout bas. À l’extérieur de la chambre. Ailleurs dans la maison de la morte.

Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut…

D.D. porta précipitamment la main à son arme, ouvrit son étui d’épaule, dégaina son Sig Sauer. Elle fit volte-face et s’accroupit, fouillant du regard les recoins de la pièce, à la recherche d’un intrus. Aucun mouvement dans le noir, aucune silhouette ne surgissant de l’ombre.

Mais alors elle entendit de nouveau le parquet grincer dans une autre pièce.

Se balance au gré du vent…

Prologue

Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut…

Le cadavre n’était plus là, mais l’odeur était restée. D.D. Warren, enquêtrice de la brigade criminelle de Boston, le savait d’expérience : ce genre de scène de crime peut puer pendant des semaines, sinon des mois. La police scientifique avait emporté le linge de lit, mais rien à faire, le sang vit sa vie. Il avait imbibé le placo, coulé derrière les plinthes, s’était accumulé entre les lames de parquet. Près de cinq litres circulaient autrefois dans les veines de Christine Ryan, vingt-huit ans. À présent, la majeure partie imbibait le matelas nu au milieu de cette chambre sinistre et grise.

Se balance au gré du vent…

La demande d’intervention était arrivée peu après neuf heures du matin. Midge Roberts, une bonne amie de Christine, s’inquiétait parce que la jeune femme ne répondait ni aux coups frappés à sa porte ni aux textos. Christine était pourtant une fille responsable. Elle n’avait pas de pannes d’oreiller, n’aurait jamais fugué avec un séduisant barman, n’aurait pas attrapé la grippe sans en avertir sa grande complice, qui passait tous les jours la chercher sur les coups de sept heures trente pour qu’elles fassent ensemble le trajet jusqu’à leur cabinet comptable.

Midge avait contacté d’autres amis. Partout, le même son de cloche : pas de nouvelles de Christine depuis le dîner de la veille. Cédant à son instinct, Midge avait fait venir le propriétaire, lequel avait finalement accepté d’ouvrir la porte.

Avant de vomir dans le couloir de l’étage à la suite de sa découverte.

Midge n’était pas montée. Elle était restée dans l’entrée de la petite maison. Comme elle l’avait expliqué à Phil, le coéquipier de D.D., elle savait déjà. D’instinct. Sans doute que, même à cette distance, elle avait senti les premiers relents, l’odeur du sang à moitié sec, reconnaissable entre toutes.

Un bébé dans un berceau…

À son arrivée, D.D. avait aussitôt été frappée par le caractère violemment contrasté de la scène. La jeune victime, couchée en étoile sur le lit, fixait le plafond de ses yeux bleus désormais sans vie. Une impression de sérénité se dégageait de son joli visage et ses cheveux châtains mi-longs formaient une masse soyeuse sur l’oreiller d’une blancheur éclatante.

Mais en dessous du cou…

La peau avait été décollée de la chair en fines lanières torsadées. D.D. avait déjà entendu parler de telles atrocités, mais à onze heures du matin ce jour-là, elle avait eu l’occasion de voir de ses propres yeux une jeune femme écorchée dans son lit. Une bouteille de champagne posée sur la table de chevet et une rose rouge en travers de l’abdomen sanglant.

À côté de la bouteille, Phil avait trouvé une paire de menottes. De celles qu’on peut se procurer dans les sex-shops haut de gamme, avec de la fourrure pour le confort. Entre ces menottes, le vin mousseux, la rose rouge…

Un rendez-vous galant qui avait mal tourné : c’était la théorie de Phil. Ou, vu le degré de violence, l’ultime vengeance d’un amant éconduit. Christine avait rompu avec un triste sire et celui-ci était revenu la veille au soir, histoire de montrer une fois pour toutes qui était le chef.

Mais D.D. n’était pas convaincue. Certes, il y avait des menottes, mais pas aux poignets de la victime. Oui, il y avait une bouteille de champagne débouchée, mais les flûtes étaient propres. Enfin, d’accord, il y avait la rose, mais sans emballage-cadeau du fleuriste.

L’ensemble lui semblait trop… prémédité. Il ne s’agissait ni d’un crime passionnel ni d’une brouille entre adultes consentants. Plutôt d’une mise en scène soigneusement calculée et dont la conception et la préparation avaient dû exiger des mois, des années, peut-être même toute une vie.

Pour D.D., ils n’avaient pas sous les yeux une simple scène de crime, mais le plus intime et le plus ignoble des fantasmes d’un tueur.

Et même si c’était le premier homicide de ce genre sur lequel ils enquêtaient, il y avait de fortes chances qu’un crime obéissant à un rituel aussi précis ne soit que le début d’une longue série.

Au gré du vent…

L’équipe de D.D., les techniciens de scènes de crime, les services du légiste et une armée d’enquêteurs divers avaient travaillé sur place pendant six heures. Ils avaient procédé aux constatations et aux relevés d’empreintes, tracé des diagrammes et débattu jusqu’à la tombée de la nuit – heure à laquelle les esprits s’échauffent et où les bonnes gens rentrent dîner chez eux. En sa qualité de directrice d’enquête, D.D. avait finalement renvoyé chacun avec instruction de reprendre des forces. Demain était un autre jour : ils pourraient interroger les bases de données fédérales pour savoir si d’autres meurtres correspondaient à ce descriptif, établir le profil psychologique de la victime et du tueur. Beaucoup de pain sur la planche, de nombreuses pistes à explorer. En attendant, ordre d’aller se reposer.

Tout le monde avait obtempéré. Sauf D.D., naturellement.

Il serait bientôt vingt-deux heures. Elle aurait dû rentrer chez elle, embrasser son mari, jeter un coup d’œil à son fils de trois ans, déjà couché à cette heure tardive. Se préparer pour une bonne nuit de sommeil au lieu de traîner sur une scène de crime, toutes lumières éteintes, avec la comptine préférée de son bout de chou dans la tête.

Mais elle n’arrivait pas à s’y résoudre. Un mystérieux instinct (le flair ?) l’avait ramenée dans cette maison trop tranquille. Ses collègues et elle avaient passé le plus clair de la journée à discuter du spectacle qui s’offrait à leurs yeux. Désormais, postée dans le noir au milieu d’une chambre où flottaient des effluves de sang, elle guettait les informations que ses autres sens pourraient lui apporter.

Un bébé dans un berceau…

Christine Ryan était déjà morte quand l’assassin avait pratiqué la première incision. D’où l’absence d’expression torturée sur son visage pâle. La victime avait connu une fin relativement douce. Et tandis que son cœur émettait ses ultimes battements, le tueur avait donné un premier coup de lame vertical dans son flanc droit.

L’objectif de ce meurtre n’était donc pas de faire souffrir, plutôt…

Sa mise en scène ? La composition du tableau ? Le rituel lui-même ? Leur assassin était animé par le besoin compulsif d’écorcher sa victime. Peut-être avait-il commencé dès l’enfance sur de petites bêtes, des animaux de compagnie, et quand, par la suite, le fantasme avait refusé de lâcher prise…

Le légiste chercherait d’éventuels signes d’hésitation (si toutefois il était possible d’examiner la régularité des découpes dans ce monceau de fines guirlandes de peau), ainsi que des preuves d’agression sexuelle.

Mais là encore, D.D. n’arrivait pas à se défaire d’un sentiment de malaise. Ces éléments étaient ceux qui se présentaient au regard de l’enquêteur. Or, en son for intérieur, D.D. soupçonnait déjà qu’il s’agissait d’une fausse piste. Justement celle sur laquelle le tueur voulait les lancer.

Se précisa alors l’idée qui lui trottait dans la tête, cette question essentielle qui méritait réflexion et qui l’avait conduite à se retrouver là, dans le noir : pourquoi une mise en scène ?

Pourquoi pousser aussi loin le souci de la composition, sinon pour manipuler le spectateur et l’amener à voir exactement ce que vous vouliez lui faire voir ?

Un bruit. Au loin. La porte d’entrée, ouverte avec précaution ? Le craquement de la première marche sous un pas lourd ? Le gémissement d’une lame de parquet au bout du couloir ?

Encore un bruit. Lointain tout à l’heure, plus proche à présent, et en un éclair le commandant D.D. Warren comprit ce dont elle aurait dû se rendre compte un quart d’heure plus tôt : la berceuse préférée de Jack, cette comptine qu’elle fredonnait… elle ne résonnait pas seulement dans sa tête.

Quelqu’un d’autre la chantonnait. Tout bas. À l’extérieur de la chambre. Ailleurs dans la maison de la morte.

Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut…

D.D. porta précipitamment la main à son arme, ouvrit son étui d’épaule, dégaina son Sig Sauer. Elle fit volte-face et s’accroupit, fouillant du regard les recoins de la pièce, à la recherche d’un intrus. Aucun mouvement dans le noir, aucune silhouette ne surgissant de l’ombre.

Mais alors elle entendit de nouveau le parquet grincer dans une autre pièce.

Se balance au gré du vent…

Vite, elle sortit à pas de loup dans le couloir sombre, arme au poing. Le plafonnier n’était pas allumé, seules les fenêtres laissaient entrer des ombres projetées par la lueur des maisons voisines. Un camaïeu de gris dansait sur le parquet.

Elle connaissait cette maison, se rappela-t-elle. Elle avait déjà parcouru ce couloir, prenant soin de contourner les flaques de vomi pendant qu’elle relevait les détails pertinents.

Arrivée en haut de l’escalier, elle jeta encore un regard à droite, un regard à gauche, puis scruta l’abîme de ténèbres au pied des marches. On ne fredonnait plus. Pire que cela : le silence absolu.

Enfin, de l’obscurité monta une petite voix mélodieuse : « Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut… »

D.D. s’immobilisa. Par réflexe, elle lança des regards de tous les côtés, cherchant à localiser l’intrus, et la chanson continua, lente et moqueuse : « Se balance au gré du vent… »

Elle comprit ce qui se passait. Et sentit son sang se glacer dans ses veines lorsqu’elle arriva au bout de son raisonnement. Pourquoi une mise en scène ? Pour avoir des spectateurs. Peut-être même une spectatrice bien précise. Disons, une enquêtrice accro à son travail et assez idiote pour se retrouver seule à la nuit tombée sur une scène de crime.

Elle saisit son portable.

Un nouveau bruit se fit entendre, juste derrière elle.

Elle se retourna, les yeux écarquillés.

Une silhouette jaillissait de l’ombre, fonçant droit vers elle.

« Si la branche casse, le berceau tombera… »

D’instinct, D.D. recula, oubliant qu’elle se trouvait au sommet de l’escalier. Son pied gauche, cherchant un appui, ne rencontra que du vide.

Non ! Elle laissa tomber le téléphone. Leva son Sig Sauer. Essaya, trop tard, de se pencher en avant pour se rétablir.

Mais l’ombre tendit la main vers elle… et D.D. bascula en arrière.

Dans une dégringolade sans fin.

Au dernier moment, elle appuya sur la détente. Réflexe d’autodéfense. Boum, boum, boum. Mais elle savait que c’était inutile.

Sa tête heurta une marche en bois. Un craquement. Une douleur fulgurante. La fin de la berceuse, murmurée dans la pénombre :

« Tomberont bébé, berceau et le reste. »

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Un bébé dans un berceau, dans un arbre, tout en haut...

Se balance au gré du vent...

Si la branche casse, le berceau tombera...

Boum, boum, boum...

Tomberont bébé, berceau et le reste.

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Nous avons toutes les deux nos limites ; il serait temps que je l'accepte.

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Tout psychiatre que j'étais, je refusais de regarder les choses en face.

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Cette femme est trop intelligente pour son propre bien. Et elle s'ennuie trop pour le bien des autres.

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