Extraits

Curieusement, la couverture qui l'enveloppait était d'un tissu épais et rugueux qui lui chatouillait le menton et sen-lait le tabac, songea Dana, encore tout ensommeillée.

Soudain, elle se rappela qu'elle devait se lever pour recevoir Sébastian.

Elle se redressa brusquement, repoussa ce qu'elle croyait être une couverture et s'avisa qu'il s'agissait en réalité d'une veste d'homme.

L'air hagard, elle s'aperçut alors qu'elle était allongée sur un divan dont la couleur rouge était un peu passée. Les autres meubles de la pièce lui étaient tout aussi inconnus. Même la porte avait changé de place. Ce n'était donc pas un rêve.

Etait-elle devenue folle ? se demanda-t-elle, complètement désorientée. Peut-être était-elle à l'hôpital, et imaginait-elle tout cela. Bientôt, elle ouvrirait les yeux et verrait le visage barbu du Dr Gottfried au-dessus d'elle.

D'instinct, Dana se figea, bien que n'ayant pas encore identifié l'objet de sa peur.

Elle scruta la pénombre et fronça légèrement le nez, croyant reconnaître l'odeur acre et lourde du tabac, ainsi que des effluves d'alcool.

Une bouteille de liquide révélateur avait dû se renverser Mans le labo photo, se dit-elle. Pourtant, il y avait seulement un instant, l'odeur prédominante dans la pièce avait été celle des roses blanches... D'où pouvait bien provenir cette odeur de fumée ? Qu'elle était bête ! C'était tout simplement la climatisation qui avait dû se remettre en route, laissant entrer les mauvaises odeurs de l'extérieur. Demain à la première heure, il lui faudrait appeler le réparateur.

Elle avança d'un pas, et poussa un cri de douleur. Elle venait de se cogner sur... une chaise ! Que faisait-elle là ? Elle n'avait pourtant pas eu à la contourner pour marcher vers la fenêtre !

— Tu aurais dû me le dire plus tôt !

Ils étaient de retour au bureau. Après les révélations incroyables de Sébastian, ils avaient tous deux perdu l'appétit et préféré abréger leur repas. Et puis, ils avaient eu envie de poursuivre leur conversation dans un endroit plus privé.

Touché par le reproche de Dana, Sébastian essaya de se justifier.

— Gottfried pensait…

Los Angeles, 1930

Cela faisait près d'une semaine que le détective privé Gabriel O'Shaunessy suivait la starlette qu'on lui avait demandé de surveiller. Aussi, lorsque celle-ci fit irruption dans son bureau, il comprit immédiatement que c'était mauvais signe. Il la détailla du regard pour vérifier ce pressentiment, mais aussi parce qu'elle valait le coup d'œil : vingt-trois ou vingt-quatre ans, des jambes interminables et une bouche faite pour les baisers. Ou pour les mensonges... Elle avait jeté sur ses épaules une étole en renard argenté, et posé en équilibre sur ses boucles platine un tout petit chapeau. Il avait déjà vu des filles aussi provocantes mais pas aussi spectaculaires.

Elle retourna la photo. Là, sur le verso, elle reconnut l'écriture de Sébastian : « Gabriel O'Shaunessy, mis en garde à vue et interrogé, mais non inculpé pour le meurtre de D.T. Suspect numéro un. »

A la pensée qu'il y ait eu assassinat, la photo lui glissa des doigts.

Mais pourquoi cela la surprenait-elle autant ? Avant même de lire la note de Seb, elle avait bien pressenti que ce O'Shaunessy avait franchi une limite. Il était passé du mauvais côté.

Mais le plus étonnant, c'était le désir qu'elle sentait monter en elle. Un désir aussi irrépressible qu'absurde de le rejoindre... et si fort qu'elle se mit à trembler. C'était comme si elle se déplaçait au bord d'un précipice et voulait franchir le pas fatal.

La vieille horloge au-dessus du canapé se mit soudain à sonner les douze coups de minuit. D'ordinaire si rassurant, ce bruit résonna comme une intrusion, et Dana eut l'impression d'être prise sur le fait. Ses mains tremblaient lorsqu'elle remit la photo dans le dossier.

Seb avait raison, se dit-elle en éteignant la lumière ! cela suffisait comme cela. Elle allait finir dans un asile si elle ne bridait pas le cours de son imagination.

Puis ce fut au tour d'une sirène, qui hurlait dans la rue, de la tétaniser sur place. Elle se rendit compte qu'elle avait laissé la fenêtre ouverte.

Encore une idée stupide, se dit-elle, surtout dans cette ville.

Le dossier toujours dans une main, elle alla refermer. Mais dès qu'elle se retourna face au centre de la pièce. Dana comprit que quelque chose n'allait pas.