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" Le monde de Florence se réduisit soudain à un seul être. Edward se tenait devant elle, grand et grave, dardant sur elle un tel regard que Peter Vance devint soudain parfaitement insignifiant.

- Edward, souffla-t-elle sottement, plaquant une main sur sa gorge.

- Florence, répondit-il en s'inclinant très bas.

Sa queue-de-pie soulignait la souplesse de sa taille... Il se redressa, plus digne que jamais.

- Me ferez-vous l'honneur de m'accorder cette danse ?

Florence battit des cils.

- Vous souhaitez dansez avec moi ?

Il fronça les sourcils, et Florence sentit instantanément ses idées se remettre en place.

- En effet. Y verriez-vous quelque objection, cousine ?

- Oh, non, s'empressa-t-elle d'assurer. J'en serais ravie.

Comme s'il n'avait attendu que cet instant, l'orchestre entama une valse. Un frisson passa sur sa peau quand il la prit dans ses bras et elle sut aussitôt que cette danse serait différente de toutes les autres. Edward la tenait avec une parfaite assurance, comme s'il était né pour dominer une salle de bal, la main qu'il avait placée sur sa taille la soulevant presque au fil de leurs pas.

- Cessez de regarder vos pieds, murmura-t-il en pressant très brièvement la joue contre la sienne.

Sous l'effet de ce contact furtif, une délicieuse langueur s'empara d'elle.

- Vous dansez divinement, murmura-t-elle.

Il rit. C'était la première fois qu'elle l'entendait produire ce son, mais elle eut aussitôt envie de l'entendre encore. L'étreinte de son bras s'affermit et sa poitrine se retrouva légèrement pressée contre son torse.

C'est encore plus agréable, se dit-elle, gagnée par une sorte de vertige.

Les jambes longues et fermes d'Edward effleuraient le devant de ses jupes, elle n'avait qu'à se laisser conduire...

- J'ai l'impression de voler, dit-elle, incapable de réprimer un sourire.

- C'est le fait de danser qui produit cette sensation, Florence, répondit-il en lui retournant son sourire.

Elle retint son souffle, ravie, quand il la fit tournoyer un peu plus vite. La mer que formaient les autres couples semblait s'écarter pour leur livrer passage et la musique les enveloppait d'un tourbillon magique et vertigineux. Elle ferma les yeux.

- Vous êtes aussi belle qu'une rose, murmura-t-il de façon qu'elle seule puisse l'entendre.

Florence sentait la chaleur de son corps, la fermeté de son torse. Son souffle rapide effleurait sa chevelure et passait sur ses joues comme un vent tiède. Quelque chose se mit à galoper en elle - une douleur étrange, associée à un désir sans nom. Il lui sembla l'entendre chuchoter son nom. Oui, pensa-t-elle, ses lèvres remuant silencieusement. Il dut la voir faire, car sa main s'affermit sur la sienne et ses doigts lui transmirent un message que son corps ne put s'empêcher de capter. Un flot de chaleur la submergea. Ses genoux faiblirent, se dérobèrent, et elle s'affaissa entre ses bras.

Edward la soutint aussitôt, lui évitant de choir.

- Mon Dieu, souffla-t-elle, mortifiée d'avoir été sur le point de défaillir. Je crains que tous ces tourbillons ne m'aient donné le vertige...

Pour une fois, le froncement de sourcils d'Edward parut plus soucieux que réprobateur, et il passa un bras sous sa taille.

- Venez. Allons prendre l'air.

Il l'entraîna hors de l'étouffante salle de bal jusqu'au jardin d'hiver, situé au bout d'un long couloir. Florence aurait apprécié de contempler une telle merveille à la lumière du jour. Les rayons de la lune luisaient faiblement à travers la coupole de verre au-dessus d'eux et des petites lanternes chinoises en forme de pagode éclairaient les allées. Les bottines d'Edward firent crisser les gravillons quand il la guida parmi les hauts palmiers, les bosquets de fougères et le bassin de nénuphars où semblaient dormir de gros poissons orange. Il s'arrêta finalement dans la fraîcheur d'un dôme de verre où des roses de toutes les couleurs s'épanouissaient en répandant un parfum délicieux.

- Là, dit-il en la faisant asseoir sur un petit banc de fer forgé. Fermez les yeux et respirez. Lizzie vous aura sans doute lacée trop étroitement, ajouta-t-il en s'asseyant près d'elle pour lui tapoter la main.

- Oh, non, répondit-elle en rouvrant les yeux. La camériste de tante Hypatia ne l'a pas laissée faire. Je crois plutôt que c'est la valse. Tous ces tourbillons... C'était merveilleux, mais, tout à coup, un flot de chaleur m'a saisie.

Le regard d'Edward s'obscurcit et une expression étrange s'empara de ses traits.

- Un flot de chaleur.

- Oui, acquiesça-t-elle, éventant son visage à ce souvenir. Un flot de chaleur insoutenable. Comme si on m'avait plongée dans un bain de vapeur. Croyez-vous que je suis tombée malade ?

- Je ne le crois pas, non, assura-t-il en effleurant sa joue du dos de sa main.

- Voilà que cela me reprend ! s'écria-t-elle.

- Florence, gronda-t-il d'un ton amusé. Vous ne pouvez pas être ignorante au point de ne pas connaître la raison d'un tel échauffement. "

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Prologue + Chapitre 1

Prologue

Londres, 1873

— Un valet ! fulmina Edward. On t'a surpris en compagnie d'un valet !

La colère l'avait fait bondir de son siège et il agrippait le rebord de son bureau comme si la pression de ses doigts avait le pouvoir d'effacer la confession de son frère.

Face à lui, son jeune frère Freddie, la cheville calée sur son genou, affectait d'étudier ses ongles parfaitement manucurés. Cette attitude faussement nonchalante lui seyait à merveille. Avec sa chemise d'un blanc immaculé et son gilet rehaussé de broderies, il aurait pu poser pour un portrait intitulé Jeune homme au repos, sa beauté se trouvant comme rehaussée par l'élégant désordre de sa mise. Son visage, cependant, reflétait un évident désarroi.

— C'est à cause de ses mollets, déclara-t-il, cherchant à atténuer sa faute d'un trait d'humour. Tu sais bien que je n'ai jamais su résister à une paire de jolies jambes.

Le buste d'Edward s'affaissa et il se laissa choir sur son fauteuil comme si ses genoux refusaient soudain de le soutenir.

— Freddie, si je croyais une seule seconde que tu penses vraiment ce que tu viens de dire, je me tailladerais les veines.

Freddie redressa brusquement la tête, choqué par l'intonation de son frère. Inquiet, il essuya les paumes de ses mains moites sur son pantalon.

— Tu sais bien qu'il n'en est rien, dit-il. Tu me connais, je ne peux pas laisser passer une occasion de faire un bon mot... Disons que cet incident relève de l'égarement passager. D'une tentative de revivre mes années d'étudiant ou quelque ineptie du même ordre.

Edward couvrit son visage de ses mains. En dépit de son apparente légèreté, la réponse de

Freddie ne parvenait pas à masquer son tourment. Il se reprocha une fois de plus de l'avoir envoyé

étudier à Eton. Le fait que plusieurs générations de Burbrooke y soient allées avant lui n'y changeait rien. Il aurait dû se douter qu'un garçon aussi sensible ne survivrait pas à un tel abîme de dépravation. Edward avait dix-sept ans quand il avait pris cette décision, peu après le décès de leurs parents, son frère de douze ans se retrouvant sous sa tutelle. Il avait cru qu'Eton ferait du bien à

Freddie. Qu'il trouverait ainsi sa place dans la société.

Une main tiède se posa sur sa nuque. Freddie s'était perché sur le coin du bureau.

— Allons, murmura-t-il, pressant légèrement son cou. Ne t'accable pas ainsi. Tu n'étais même pas présent.

Edward laissa échapper un soupir et redressa la tête. Ses traits s'étaient durcis.

— Qui t'a découvert ?

Freddie grimaça. Du bout de l'index, il traça un cercle sur la surface lisse du bureau.

— Je crains que ce ne soit justement le détail le plus ennuyeux. C'est le châtelain local, que

Farringdon avait invité à la réception parce qu'il est affreusement endetté vis-à-vis de lui.

— Comment s'appelle-t-il ? insista Edward, déterminé à régler l'incident.

— Samuel Stokes.

— Le propriétaire des Brasseries Stokes ?

Freddie opina.

— Celui-là même.

— Mais cela aggrave considérablement la chose ! S'il s'était agi de quelqu'un de notre monde, l'incident aurait été colporté comme un simple ragot, sans que pèse sur toi la menace d'être dénoncé

aux autorités ! As-tu seulement idée de ce qui se passerait si cette affaire remontait jusqu'aux tribunaux ? Ce serait ta ruine, Freddie !

— De fait... amorça son frère avant de s'éclaircir la gorge. Stokes a menacé de me traîner chez le magistrat, déclarant que je donnais le mauvais exemple au peuple.

— Oh, Seigneur...

— Mais il s'est ravisé quand il a appris qui était mon frère, ajouta Freddie en remuant les sourcils. Il semblerait qu'en dépit de ta qualité d'aristocrate oisif, tu jouisses d'un certain respect dans le petit monde de la manufacture.

— Merveilleux, gronda Edward.

Il se leva et ferma les yeux, la gravité des risques encourus par Freddie faisant bourdonner ses tempes.

— Tu pourrais peut-être l'amadouer, suggéra celui-ci. Le parrainer pour qu'il soit admis à ton club...—

Je vais le rencontrer, répliqua Edward, clouant son frère du plus sévère de ses regards.

J'aviserai ensuite s'il convient ou non de placer son nom sur la liste d'admission du White.

— Mais, Edward...

Son frère le fit taire d'un geste. Freddie avait été capitaine d'équipe d'aviron, plusieurs fois champion, et faisait l'admiration de tous ceux qui le rencontraient. Edward aurait donné son bras droit pour que les choses demeurent ainsi. Et il était prêt à tout pour empêcher que son jeune frère devienne la risée de la haute société.

— Freddie, je vais assurer Stokes que cela ne se reproduira plus et m'en remettre à toi pour faire en sorte que ce soit la vérité.

Sans prononcer un mot, Freddie serra si fort les lèvres qu'elles devinrent exsangues.

— Je t'en sais capable, ajouta Edward, autorisant l'amour qu'il avait pour son frère à adoucir sa voix. Il te suffira d'y appliquer ton esprit. Comme tu l'as fait quand tu as décroché ce premier prix de mathématiques. Ou quand tu as appris à nager, t'en souviens-tu ?

Freddie laissa échapper un rire étranglé.

— J'ai appris à nager parce que j'étais terrorisé.

— Tu as tout lieu de l'être aujourd'hui, Freddie, poursuivit son frère d'une voix plus douce encore. Personne ne laissera passer une plaisanterie de ce genre - surtout si tu leur mets le nez dedans.

Le regard d'azur de Freddie s'embua et il baissa la tête.

— Je n'avais pas l'intention de mettre cela sous le nez de quiconque - surtout pas le tien.

Edward l'attira à lui.

— Je sais. Mais il est temps de renoncer à ces fredaines, dit-il en passant un bras autour des

épaules de son frère. Pourquoi ne pas arrêter ton choix sur une de ces débutantes qui se pâment sur ton passage, Freddie ?

— Je doute qu'on veuille encore de moi une fois que la rumeur se répandra, répondit-il, s'autorisant un sourire du coin des lèvres. En tant que frère cadet, je ne faisais déjà pas partie du premier choix des mères de ces demoiselles.

— Les sottes, lâcha Edward, faisant écho au sourire de Freddie. Elles devraient pourtant savoir que je ne te couperai jamais les vivres.

Freddie soupira et son expression devint mélancolique. Edward avait toujours veillé à ce que son frère ne ressente jamais sa dépendance financière comme une gêne. Exception faite d'une petite propriété que leur mère avait sauvegardée pour le plus jeune de ses deux fils, le contrôle du domaine

Burbrooke reposait entièrement entre les mains d'Edward. Celui-ci veillait à ce que Freddie n'ait jamais à lui quémander d'argent pour couvrir ses dépenses et Freddie, sans être pingre, veillait à ne pas outrepasser la rente qui lui était allouée. Sa fierté devait parfois le tirailler.

Mais les restrictions liées au droit d'aînesse n'étaient apparemment pas la cause du soupir de

Freddie.

— Choisir une femme digne d'être ta belle-soeur ne sera guère aisé, lâcha-t-il.

Edward rit et lui donna une claque dans le dos. Mais au fond de lui, là où l'amour qu'il vouait à

son frère trouvait sa source, il savait que le danger planait encore.

1

Le visage fermé et les mains tremblantes, miss Florence Fairleigh descendit du wagon étouffant pour débarquer dans un décor digne d'un asile d'aliénés. Une étourdissante mêlée humaine composée d'ouvriers et d'employés de bureau, seulement agrémentée ici et là du haut-de-forme d'un gentilhomme, se pressait pour prendre d'assaut le train qu'elle venait de quitter. Au-dessus d'elle s'élevait la verrière de la gare d'Euston, ses vitres dépolies dispensant un jour aqueux.

La mine soucieuse, elle lissa ses jupes de bombasin noir et se tourna vers sa compagne de voyage. Lizzie, la bonne à tout faire des Fairleigh, s'agrippait encore à la portière du wagon couverte d'un voile de suie qui risquait fort d'endommager définitivement les plus beaux gants blancs de sa maîtresse. Le corps gracile de la jeune domestique peinait à remplir la vieille robe de jour rose que

Florence lui avait prêtée car Lizzie, bien qu'âgée de seize ans, n'en paraissait guère plus de douze.

Florence songea que voyager avec quelqu'un de plus timide que soi avait pour seul avantage de vous faire redresser l'échine. Ce à quoi elle s'employa tout en faisant signe à Lizzie de descendre.

— Vous n'avez rien à craindre, déclara-t-elle.

Visiblement terrifiée, Lizzie descendit les marches comme si le train était un dragon qui ne s'était immobilisé que le temps de la recracher sur le quai et risquait de se remettre en branle sans crier gare.

— Oh, miss, souffla-t-elle, ne trouvez-vous pas que Londres est magnifique ?

— Tu dois m'appeler miss Fairleigh, rectifia Florence en saisissant son bras pour la guider à

travers la foule qui encombrait le quai. Comme il est d'usage pour une dame vis-à-vis de sa gouvernante.

C'était la ruse qu'elles avaient établie d'un commun accord, Florence ne pouvant décemment voyager sans chaperon et Lizzie Thomas ne pouvant prétendre offrir l'aspect d'un chaperon crédible.

Avec sa terne robe noire, Florence avait estimé pouvoir donner le change et, dans la pénombre du compartiment, personne n'avait trouvé à y redire. Mais quand elles étaient descendues pour se rafraîchir aux arrêts prévus, Florence avait senti plusieurs regards intéressés se poser sur elle

- apparemment, le titre de chaperon ne suffisait pas à vous immuniser contre l'intérêt des mâles.

— Oh, miss, reprit Lizzie, je veux dire, miss Fairleigh. Comment allons-nous faire pour trouver notre chemin ?

— Il n'y a qu'à suivre le flot des passagers, répondit Florence. Ces gens se dirigent forcément vers la sortie.

Une brève dispute s'ensuivit, le temps de convaincre Lizzie qu'il était hors de question qu'elle porte la valise de Florence. Ce point établi, elles se retrouvèrent bientôt sous la monumentale arche dorique du hall de gare. Au grand désarroi de Florence, l'impression de folie qui régnait à l'intérieur ne fit que s'accroître une fois qu'elles sortirent. Le mouvement des voitures et des fardiers, les cris des marchands des quatre-saisons et une odeur acre, mélange d'écuries et de cendres refroidies, décuplèrent sa confusion. Florence n'avait pas la moindre idée de la façon dont il fallait s'y prendre pour avancer dans ce capharnaüm.

Elle s'appliquait de son mieux à refouler ses larmes quand un gamin en haillons tira l'ourlet de son mantelet. Ses yeux semblaient immenses dans sa figure sale, mais reflétaient une telle roublardise que Florence eut un sursaut de frayeur et posa spontanément la main sur son réticule.

— Un cab ? proposa-t-il. Je vous en appelle un pour un penny.

— Un penny ! s'exclama Lizzie, retrouvant tout son bagout à l'idée de ce prélèvement sur leurs maigres économies. Tu n'auras pas plus d'un farthing, vilain drôle !

Son ton outragé fit sourire Florence.

— Un penny, c'est entendu, dit-elle. Mais nous ne te paierons qu'après avoir pris place dans la voiture.

La condition convint au mouflet qui se révéla fort habile dans sa tâche. Quelques minutes plus tard, Lizzie et elle grimpaient à bord d'un élégant cab noir et Florence indiquait l'adresse au cocher. Il mit cependant un certain temps pour s'insérer dans le flot des coupés, des charrettes et des omnibus à

impériale. Sa position, sur un siège haut perché à l'arrière du véhicule à deux roues, permettait à ses passagères de jouir d'une vue dégagée.

Lizzie fut incapable de dissimuler son émoi.

— Regardez, miss ! s'exclama-t-elle en désignant les élégantes terrasses de Bedford Square.

Oh ! Et cette nurse avec son tablier ! N'est-ce pas la chose la plus extraordinaire que vous ayez jamais vue ?

De son côté, Florence étudia avec intérêt l'imposante façade à colonnades du British Muséum et se promit d'aller admirer les marbres du Parthénon, quelle que fût l'issue de ce voyage à Londres.

Le cab continua sa course sur le Strand et Florence trouva le quartier des affaires surpeuplé et sale, mais étrangement fascinant. Les gens ne semblaient même pas voir le dôme de la cathédrale St.

Paul qui s'élevait à travers la brume chargée de suie comme une apparition féerique. Trop préoccupés par leurs affaires, sans doute, et blasés des merveilles de la cité. Un jour, peut-être le serait-elle, elle aussi.

Cette pensée singulière s'insinua dans son esprit alors que le cab s'engageait dans une rue pavée puis s'arrêtait devant l'étroite façade d'un immeuble aux briques noircies par la suie.

— Nous voilà rendus, miss, annonça le chauffeur.

Le coeur de Florence, qui s'était apaisé pendant la course, reprit son galop et elle plaqua sa main gantée sur sa gorge. L'instant était décisif, car c'était son avenir qui allait se jouer en ce lieu... Elle inspira profondément, sortit un nombre ahurissant de pièces de monnaie de son réticule, puis aida sa supposée maîtresse à descendre de voiture.

Une petite plaque annonçait que le bâtiment appartenait à M. Mowbry, notaire. Florence tira le cordon de la cloche et la porte s'ouvrit sur un homme d'âge moyen qui cligna des yeux et se caressa la barbe. Les pans entrouverts de sa veste de tweed brun laissaient apercevoir une grosse chaîne d'or. Il devait s'agir de M. Mowbry en personne.

— Miss Fairleigh ? s'enquit-il en faisant passer son regard suspicieux d'une jeune femme à

l'autre.

Florence rougit.

— C'est moi, dit-elle en lui offrant sa main.

Le notaire l'accepta d'un air perplexe.

— Je vous prie d'excuser notre apparence, ajouta-t-elle. Nous sommes venues directement à

notre descente du train. Je conçois ce qu'un tel empressement a d'inhabituel, mais nous souhaiterions conclure cette affaire aussi vite que possible.

Sa voix s'était brisée à la fin de sa phrase. Ce détail révélateur tira au notaire un sourire de bienvenue.

— Mais bien sûr, dit-il en l'invitant d'un geste à passer devant lui. J'aurai grand plaisir à faire tout ce qui est en mon pouvoir pour la fille de mon vieil ami.

Une fois qu'elle fut entrée, Florence regarda autour d'elle avec intérêt. Le bureau de M. Mowbry

était petit, mais bien tenu. Les boiseries récemment encaustiquées, les étagères chargées d'épais volumes reliés de cuir et le tapis qui ne présentait aucun signe d'usure, furent autant d'indices prometteurs à ses yeux. Ses épaules se détendirent un peu quand on apporta le thé et que le notaire lui présenta ses condoléances. Une fois Lizzie invitée à patienter en compagnie de la servante dans une pièce voisine, Florence révéla l'objet de sa visite.

— Étant l'avoué de mon père, commença-t-elle, vous savez qu'il m'a légué une certaine somme.

— En effet, acquiesça M. Mowbry. J'avoue d'ailleurs avoir été impressionné par la façon avisée dont vous en faites usage. Bien des jeunes femmes n'auraient pas eu votre sagesse.

— Oui, dit-elle en tordant ses gants entre ses mains, mais j'ai eu beau faire attention, j'ai bien compris que cet argent ne durerait pas éternellement. Et sans vouloir blâmer mon père, je me suis retrouvée dans l'obligation de me défaire de tout le superflu - à l'exception de Lizzie dont je n'ai pas le coeur de me séparer car elle est, tout comme moi, orpheline...

— Je vois, déclara M. Mowbry. Pardonnez mon audace, miss Fairleigh, mais vous êtes une jeune femme ravissante. Ne serait-il pas judicieux de vous marier ?

— Telle est bien mon intention, admit-elle en s'efforçant de conserver un ton ferme. Seulement j'aimerais... c'est peut-être égoïste de ma part, mais j'aimerais me marier décemment. Chez nous, à

Keswick, il n'y a qu'un seul gentilhomme susceptible d'être considéré comme un parti convenable, or ce monsieur souhaiterait que je fasse don de l'argent de papa à une oeuvre de bienfaisance et que je l'accompagne en Afrique où il veut aider les missionnaires. Je ne doute pas du bien-fondé de son entreprise, et s'il s'agissait d'un autre homme, je pourrais envisager d'accepter. Mais il est... comment dire ? C'est un...

— Un pharisien doublé d'un moralisateur ? suggéra suavement M. Mowbry.

— Tout à fait, acquiesça-t-elle.

— Vous êtes donc venue à Londres, conclut-il, où foisonne une tout autre catégorie de gentlemen...

— J'ai entendu dire qu'il existe des femmes qui, pour un certain prix, s'engagent à chaperonner une jeune femme dénuée de relations durant la saison. Je serais disposée, s'il est en votre pouvoir de me présenter une telle personne, à miser la moitié du restant de mon héritage dans cette entreprise.

Mes ambitions sont modestes, s'empressa-t-elle d'assurer. Un fils cadet ferait l'affaire. Voire même un négociant. J'ai conscience des manques de mon éducation. Je connais le solfège et j'ai quelques rudiments de français, mais j'ai bien peur que l'étendue de mes talents ne s'arrête là. Cependant, comme vous avez eu la bonté de l'observer, je ne suis pas trop vilaine et personne ne s'est jamais plaint de mes manières. Je ne rêve pas d'un mariage d'amour, mais j'entends être traitée avec respect.

Ce que je recherche avant tout, c'est la sécurité d'un toit, conclut-elle en dissimulant ses mains tremblantes dans les plis de ses jupes.

M. Mowbry l'avait écoutée avec une expression d'intense concentration. Si intense que Florence avait eu du mal à soutenir son regard.

— Hmm, fit-il en tapotant ses lèvres de ses mains jointes. Je crois, miss Fairleigh, que vous sous-estimez vos charmes. Cette modestie est tout à votre honneur et ne fait d'ailleurs que rehausser votre beauté.

Il se leva et se mit à marcher de long en large. Sa vigueur impressionna autant Florence que l'évident sérieux de ses réflexions. Il marmonnait dans sa barbe, laissant échapper des « oui » et

« elle conviendrait » ainsi que « l'affaire serait délicate, mais en s'y prenant convenablement... ».

Florence se dit que son père avait eu raison de le surnommer le Sage M. Mowbry. Si quelqu'un pouvait lui offrir un espoir d'avenir décent, c'était cet homme.

Finalement, il s'arrêta brusquement et se tourna vers elle.

— Je pense avoir la solution, déclara-t-il. Je ne vous promets rien, miss Fairleigh, mais si je me révèle capable de mener cette affaire à bien, votre fortune sera faite, ainsi que la mienne !

— Oh, non, monsieur Mowbry ! s'exclama-t-elle en secouant vigoureusement la tête. Je ne cherche pas la fortune, un simple...

— Attendez, fit le notaire. Si mes conjectures sont correctes, vous aurez exactement ce que vous désirez : une marraine irréprochable, un époux aimable et le meilleur toit qui puisse se trouver audessus de votre tête. Dans un premier temps, cependant, nous allons devoir nous occuper de votre garde-robe. Vous ne pouvez vous présenter nulle part vêtue de la sorte.

Florence réprima un gémissement. Les toilettes des dames coûtaient des sommes folles et son modeste pécule supporterait difficilement une telle ponction. Elle décida cependant de se montrer courageuse. Elle devait tout risquer si elle voulait atteindre son objectif. Dans le pire des cas, elle placerait Lizzie quelque part et se ferait quant à elle gouvernante ou bien dame de compagnie.

D'autres l'avaient fait avant elle, des femmes mieux nées qu'elle-même et qui avaient sans doute affronté les mêmes craintes que les siennes. Florence était peut-être timide, mais elle n'avait jamais

été lâche.

Forte de cette conclusion, ses mains ne tremblaient presque plus quand elle prit le message que

M. Mowbry venait de griffonner hâtivement. Elle sentit la tiédeur du sceau de cire rouge sous son pouce. Les gens utilisaient désormais des enveloppes gommées, mais cette habitude vieillotte s'harmonisait bien avec la personnalité de l'avoué.

— Voici une lettre d'introduction que vous remettrez à l'amie que je vais vous présenter, dit-il.

Une couturière de talent, récemment arrivée de Paris, qui commence à se constituer une clientèle. Je lui demande de porter sur mon compte tout ce dont vous aurez besoin. Non, s'empressa-t-il d'ajouter en pressant l'index sur ses lèvres. Ne protestez pas. Votre père a été très bon pour moi du temps de nos études à Oxford et m'a offert bien des dîners quand je n'avais pas un sou vaillant. Considérez cela comme le remboursement de ma dette envers lui.

— Avec des intérêts, nota Florence, sentant les larmes picoter ses yeux face à tant de bonté.

— Avec des intérêts, convint-il avant de demander à son clerc d'aller quérir un cab.

L'amie de M. Mowbry, Mme Victoire, travaillait dans une charmante petite maison située non loin des élégantes boutiques de mode de Bond Street. Des géraniums rouge vif garnissaient le rebord des fenêtres, la silhouette d'un chat roux endormi se découpant devant l'une d'elles.

Florence, qui entretenait depuis toujours des relations particulières avec les chats, pria pour que la sieste de celui-ci se prolonge aussi longtemps que possible.

Une servante vêtue d'une robe noire et d'un tablier blanc les fit entrer dans le petit salon. Bien que de dimensions modestes, la pièce jouissait d'une belle hauteur de plafond. La fenêtre laissait pénétrer la lumière du jour et le mobilier, mélange de blanc crème et de dorures, apportait une touche raffinée. Florence se dit qu'en dépit du goût de son défunt père pour le confort, elle n'avait jamais vécu dans un endroit aussi plaisant. Le coupon de velours violet qui encombrait l'assise d'un fauteuil et le mannequin de couturière qui se dressait dans un rai de soleil étaient les seuls signes permettant de deviner que ce petit salon avait une fonction professionnelle.

Mme Victoire les rejoignit, bouillonnante d'énergie. Comme bon nombre de ses compatriotes, elle était mince et brune avec une grande bouche rouge et des gestes vifs.

— Qui donc s'aventure à visiter ma modeste échoppe ? s'exclama-t-elle en saisissant les mains de Florence pour l'entraîner vers la lumière.

Florence n'eut pas le temps de répondre, car Mme Victoire la faisait déjà tourner sur elle-même.

— Quelle horreur ! s'exclama-t-elle en français, en palpant la tournure qui s'affaissait. Et ce noir ! Mademoiselle, vous ne devez jamais porter de noir. Ce n'est pas une couleur pour vous.

— M-Mais, j-je suis en deuil, bafouilla Florence.

— Je vous en délivre, décréta Mme Victoire. Immédiatement. C'est un crime d'affubler une jolie femme d'une défroque aussi hideuse !

Elle fit signe à la servante qui observait la scène.

— Admirez-moi cette poitrine, Marie. Et ces joues resplendissantes !

Avec un soupir d'impatience, elle libéra les mains de Florence de ses gants de chevreau usagés.

— Ces mains sont aussi petites que celles d'une fillette. D'une telle blancheur et...

Brusquement, Mme Victoire s'interrompit et fusilla Florence du regard. Ses doigts venaient d'effleurer de légers cals sur ses paumes.

— Mademoiselle, prononça-t-elle d'un ton indigné, il faut impérativement remédier à cela.

Interdiction de récurer les sols. Vous êtes trop magnifique pour supporter la moindre imperfection.

— Je... tenta Florence.

La Française ne lui laissa pas le temps de s'expliquer.

— Une telle beauté est une grande responsabilité. Qui vous incombe, mais qui me revient aussi.

Vous allez devenir une réclame ambulante des talents de Mme Victoire. Mieux qu'un hommesandwich

! M. Worth me baisera les pieds quand il assistera à mon triomphe.

— M. Worth ? souffla Florence.

Il s'agissait d'un célèbre couturier.

— Oui, oui, dit Mme Victoire. M. Charles Worth, avec qui j'ai travaillé à Paris. C'est bien la raison de votre présence ici, non ?

— En fait, je suis venue sur la recommandation de M. Alastair Mowbry. Mais je crains de ne pouvoir me permettre les services d'une associée de M. Worth.

Mme Victoire laissa échapper une exclamation de mépris.

— M. Worth n'est pas mon associé. Et vous êtes une amie de M. Mowbry. Nous trouverons bien un arrangement.

Florence sentit ses joues devenir brûlantes et craignit que Mme Victoire n'ait cédé à une conclusion hâtive.

— Pardonnez-moi, madame, dit-elle, mais je ne suis pas ce genre d'amie pour M. Mowbry.

À sa grande stupéfaction, Mme Victoire éclata franchement de rire.

— Bien sûr que non, mon petit chou. Je le sais bien, parce que je suis ce genre d'amie pour M.

Mowbry ! Je vous accorde que c'est un gentleman très viril, mais aucun homme ne l'est assez pour avoir besoin d'une autre femme qu'Amélie Victoire !

Cette déclaration stupéfia tant Florence qu'elle en resta sans voix. Le silence fut heureusement interrompu par l'apparition tonitruante d'un petit garçon. Guère plus âgé de trois ans et vêtu d'un costume marin, il déboula sur le tapis en brandissant ce qui ressemblait à un ours sans tête.

— Regardez, maman, clama-t-il en français, apparemment plus enthousiaste que contrit. Kitty l'a attrapé !

Le garçon pila sur place quand il aperçut la cliente de sa mère. Il hésita, braquant sur elle ses grands yeux ronds, la timidité le disputant à la curiosité. Soudain, tel un enfant cédant à l'attrait d'un jouet, il traversa la pièce d'un pas assuré. Florence craignit qu'il n'enlace carrément ses jambes de ses petits bras, mais heureusement, il se contenta de prendre sa main et de tirer sur son bras.

— Tu es belle ! déclara-t-il avec toute la franchise de ses trois ans. Viens jouer avec moi !

Florence dut déployer une certaine force pour résister à son entrain.

— Ça par exemple, s'exclama Mme Victoire. C'est bien la première fois qu'il se comporte ainsi avec une inconnue.

Si elle l'avait pu, Florence se serait glissée sous le tapis. Elle tapota la main du garçon dans l'espoir de lui faire lâcher prise.

— Je plais beaucoup aux enfants, expliqua-t-elle.

— Aux enfants et aux chats, renchérit Lizzie comme s'il y avait lieu de s'en glorifier.

— Dans ce cas, déclara Mme Victoire en réprimant difficilement un sourire, il serait peut-être préférable que Marie enferme Kitty dans la chambre avant qu'il ne vous assaille à son tour.

— Je veux bien, souffla Florence d'une voix blanche.

Une fois Marie sortie, elle retrouva suffisamment ses esprits pour penser à donner la lettre d'introduction rédigée par M. Mowbry. Mme Victoire prit plus de temps pour la lire qu'elle ne s'y

était attendue. Le notaire avait rédigé sa missive sur deux pages et son contenu incita la Française à

hausser les sourcils à plusieurs reprises. Une fois sa lecture terminée, elle tapota le feuillet contre son menton.

— Hmm, fit-elle sur le même mode que M. Mowbry quelques heures plus tôt.

L'attitude de la couturière troubla Florence. Le notaire avait écrit quelque chose dans cette lettre dont il n'avait pas voulu lui faire part... Oh, comme elle détestait remettre son sort entre les mains d'autrui ! Mais, à moins de renoncer à son rêve, elle n'avait d'autre choix que de faire confiance à M.

Mowbry et à son amie.

Edward Burbrooke, comte de Greystowe, était couvert de boue. Trop épuisé pour actionner le cordon de la cloche, il poussa la porte de sa demeure de Belgravia et s'affala sur le banc de marbre de l'entrée. Il contempla l'état catastrophique de ses bottes, puis se redressa en entendant des pas approcher - le majordome venait voir qui avait pénétré dans le hall.

— Mon Dieu ! s'exclama Grimby, visiblement choqué par l'apparence de son maître. Vous êtes trempé, milord.

Ce commentaire tira un léger ricanement à Edward, qui tendit son haut-de-forme dégoulinant au majordome. Il aurait dû faire demi-tour quand il s'était mis à pleuvoir, mais son cheval avait besoin d'exercice, le parc était pour une fois désert et Edward de trop mauvaise humeur pour renoncer à sa promenade quotidienne.

Ce matin-là, l’Illustrated Times avait inséré dans ses colonnes un limerick infamant :

C'est l'histoire du vicomte de G...

Apprécié pour l'ardeur de son jet.

Le valet était là

Sans toutefois être las

Et semblait même on ne peut plus gai.

Tous ceux qui connaissaient Freddie reconnaîtraient le scandale auquel ces mots faisaient allusion. Edward aurait voulu pouvoir étrangler de ses propres mains le bel esprit qui avait adressé

ce poème prétendument humoristique au journal, sans parler de l'éditeur qui en avait autorisé

l'impression. Se trouvant dans l'incapacité de céder à ses pulsions, il était allé soulager sa frustration d'un galop à travers Hyde Park.

— Milord ? s'enquit Grimby. Dois-je appeler Lewis pour qu'il retire vos bottes ?

— Oui, répondit Edward. Et dites-lui de faire couler un bain très chaud.

Le heurtoir de la porte d'entrée retentit alors que Grimby disparaissait dans le couloir des domestiques. Edward se hissa sur ses pieds. Diable, se dit-il, je peux bien ouvrir une fichue porte !

L'individu qu'il surprit en train de fouiller dans sa poche pour en sortir sa carte de visite, fut si stupéfait de le découvrir sur le seuil qu'il ne parvint même pas à ouvrir la bouche.

— Monsieur Mowbry ? dit Edward en reconnaissant l'imposante silhouette du notaire londonien.

Mowbry avait été l'avoué de son père alors qu'il n'était que l'employé d'une importante étude, mais s'était depuis lors établi à son compte. C'était un homme intègre et digne de confiance, pour autant que sache Edward, mais il ne voyait pas ce qui pouvait l'amener à se présenter à son domicile sans avoir annoncé sa visite au préalable.

— Milord, dit Mowbry en reprenant contenance. Pardonnez-moi de me présenter ainsi, mais une opportunité vient de surgir et j'ai pensé que vous aimeriez en être informé.

— Une opportunité... d'investissement ?

M. Mowbry fit la preuve qu'un homme pouvait frétiller sur place sans solliciter un seul de ses muscles.

— Non, milord. Une opportunité concernant le vicomte Burbrooke.

Un frisson accompagna le filet d'eau de pluie qui ruissela le long de la nuque du comte. Il écarta la porte.

— Entrez. Nous parlerons de cela dans la bibliothèque.

Il s'était déjà engagé jusqu'à mi-chemin du couloir quand il réalisa qu'il laissait des traces de boue sur le tapis.

— La barbe, marmonna-t-il en s'immobilisant.

Lewis, son valet de chambre, le rejoignit presque aussitôt, la mine consternée.

Cette journée s'annonçait décidément très mauvaise.

— Une fille de pasteur ? s'étonna Edward.

— Absolument, confirma Mowbry en sirotant son thé.

Il était assis en compagnie du comte auprès du feu que Lewis avait absolument tenu à allumer, et la douce chaleur de l'âtre avait comme dissous les barrières sociales qui les séparaient. Edward cala ses pantoufles sur le pare-feu.

— Et toute fraîche émoulue de sa province ?

— On ne peut plus fraîchement, mais ayant bénéficié d'une excellente éducation et jouissant d'un excellent naturel. Ce que les romanciers appellent « une petite âme féminine ».

Edward plaça sa soucoupe en équilibre sur ses cuisses.

— Féminine... jusqu'à quel point ?

Les favoris grisonnants de Mowbry se soulevèrent quand il sourit.

— Imaginez, milord, un bouton de rose anglais qui aurait l'apparence de Dalila. Miss Fairleigh est pauvre, c'est un fait, mais sa beauté est telle qu'elle demeure un excellent parti. Et si d'aventure le jeune lord Burbrooke concevait un penchant pour elle, la chose paraîtrait on ne peut plus naturelle.

J'oserais ajouter, si Votre Seigneurie le permet, que je doute qu'elle soit en mesure de comprendre la teneur des rumeurs qui circulent au sujet de votre frère... au cas où celles-ci lui parviendraient.

Edward haussa les sourcils. Un tel degré d'innocence était difficilement concevable. Et si c'était le cas, une telle jeune femme serait-elle en mesure de convertir un poulain aussi rétif que Freddie en

étalon ? Néanmoins... l'affaire méritait qu'il y attarde sa réflexion. Une jeune femme dans la situation de miss Fairleigh n'avait que peu d'options en dehors du mariage. Un avenir de couturière ou, au mieux, de gouvernante, ne pouvait rivaliser avec la sécurité dont jouissait une femme mariée. D'autant qu'à l'évidence, elle pourrait beaucoup plus mal tomber qu'avec Freddie qui ne buvait pas, ne jouait pas et ne jurait jamais en présence d'une dame. Comme le sage Mowbry l'avait deviné, Edward tenait

à ce que Freddie se marie.

— J'aimerais d'abord la voir, dit-il.Sans qu'elle n'en sache rien.

Le notaire reposa sa tasse sur le guéridon.

— Si vous êtes disposé à parcourir une courte distance, milord, je pense pouvoir accéder à ce souhait aujourd'hui même.

Edward plissa les yeux. L'avoué avait prévu sa requête. Son expression affable frisait la complaisance. Edward eut fugitivement le sentiment de s'être fait manipuler.

Si Edward avait pu deviner ce qui l'attendait, il n'aurait jamais fait atteler sa voiture. La bizarrerie avait commencé quand Mowbry l'avait fait passer par l'entrée de service de la demeure.

Une toute petite bonne, aussi silencieuse qu'une nonne, l'avait guidé à travers les couloirs du rez-dechaussée avant de lui faire grimper un escalier de service si étroit qu'il s'était cogné les coudes à

chaque tournant. Parvenus au premier étage, ils avaient traversé une pièce brillamment éclairée dans laquelle se trouvaient quatre femmes penchées au-dessus de machines à coudre noires ornées de roses jaunes. Leurs pieds actionnaient frénétiquement la pédale tandis que leurs mains faisaient défiler des longueurs de tissu sous l'aiguille.

— Nous y sommes, murmura son guide miniature.

Elle s'exprimait avec un adorable accent français, mais Edward n'eut pas le temps de se demander pourquoi elle parlait bas. Elle le fit entrer dans une petite pièce. La présence d'un secrétaire et d'un fauteuil laissait penser que l'endroit faisait parfois office de bureau, mais pour l'heure, il était presque entièrement encombré de rouleaux d'étoffes.

Une chaise d'aspect bancal était glissée entre deux tours de satin étincelant. D'un geste, la petite bonne lui fit signe de s'y asseoir, puis coupa court à ses questions en plaçant l'index en travers de ses lèvres.

Edward se sentit un peu ridicule en prenant place sur la chaise et se raidit quand le bras de la jeune femme effleura son épaule. Personne ne s'avisait jamais de toucher le comte de Greystowe sans son autorisation.

— Pardon, murmura-t-elle en français, avant de tirer un loquet dissimulé parmi les oiseaux et le feuillage du papier peint.

Une petite ouverture apparut dans le mur.

— Regardez, murmura-t-elle. Vous verrez tout ce que vous désirez voir.

Edward contempla l'orifice en clignant des yeux, puis tourna la tête vers son guide, mais la petite bonne franchissait déjà la porte. Il ne s'était pas attendu à cela et son coeur se mit à battre plus vite.

Quelle idée le notaire se faisait-il de lui s'il s'attendait à ce qu'il épie à son insu une jeune femme à

demi nue, alors que celle-ci risquait de devenir l'épouse de son frère ?

Son visage s'empourpra de colère, mais il s'efforça au calme. N'avait-il pas dit vouloir voir la jeune femme sans qu'elle le sache ? Et quel meilleur moyen existait-il que celui-ci ? De plus, pour autant qu'il puisse en juger, cette jeune femme et la couturière ne faisaient que parler dans la pièce voisine, et semblaient toutes deux entièrement vêtues.

Il avait pourtant la bouche sèche quand il ajusta son oeil devant l'orifice.

La pièce qu'il observait était petite et brillamment éclairée, le faible éclat du jour extérieur étant largement compensé par plusieurs lampes à pétrole. Un grand trumeau reflétait les silhouettes de deux femmes.

Un flot de chaleur traversa son corps. La couturière portait une élégante toilette dorée, mais miss

Fairleigh était en chemise. Elle était telle que Mowbry l'avait dépeinte : fraîche et rose, son opulente chevelure châtain doré tressée et enroulée autour de sa tête. La couturière venait tout juste de lui ôter son corset, mais sa taille bien marquée conférait à sa silhouette la forme d'un sablier.

Edward déglutit, mais ne recula pas. Miss Fairleigh étant de taille moyenne, ses jambes paraissaient incroyablement longues. La finesse de l'étoffe de sa culotte permettait de distinguer la courbe de son postérieur. Une pièce y avait été cousue pour masquer un accroc, délicate imperfection qui notait rien au charme de son derrière. Sa chair était plantureuse. L'heureux homme qu'elle autoriserait à s'allonger au-dessus d'elle aurait de quoi s'occuper les mains. Ses seins étaient splendides, ses bras aussi souples que gracieux. Ses pieds - Edward passa un doigt entre son cou et son faux col - étaient minuscules, des pieds que seul un peintre pouvait créer, avec des orteils miniatures et des chevilles si fines qu'il aurait pu les encercler de sa main.

Edward remua sur le rembourrage de sa chaise. Quelques secondes à peine étaient passées depuis qu'il avait coulé son regard dans cette pièce, mais son sexe s'était déjà entièrement déployé.

L'extrémité puisait contre la braguette de son pantalon, telle une créature vivante animée de sa propre volonté. Savoir que ce qu'il faisait relevait du viol de l'intimité d'autrui ne fit qu'accroître son excitation.

Quand il exhala le souffle qu'il avait jusqu'alors retenu, il réalisa qu'il pouvait entendre autant qu'il pouvait voir. Le premier son qui parvint à ses oreilles fut le puissant ronronnement d'un chat roux qui s'entortillait avec adoration autour des chevilles de la jeune femme. Les instincts de ce félin

étaient parfaitement en phase avec ceux d'Edward.

— Il faudra commander trois corsets français, disait la couturière en étirant le ruban de son mètre autour de la taille de guêpe de miss Fairleigh. Deux pour les toilettes ordinaires et un autre plus

échancré pour les robes de soirée. Avec un de ces nouveaux buscs pigeonnants, je pense. Ils sont très

élégants, vous verrez.

Miss Fairleigh ouvrit la bouche, puis devint écarlate lorsque la couturière fit coulisser son ruban autour de sa poitrine. Quand ses doigts se rejoignirent entre ses seins, elle serra légèrement de façon

à en faire ressortir le galbe. Edward admira la manière enchanteresse dont la lumière des lampes dansait sur cette gorge nue.

Miss Fairleigh émit une toux discrète.

— Je pense sincèrement qu'un seul nouveau corset serait suffisant - en admettant, comme vous semblez le dire, qu'un modèle français soit indispensable.

— Comme je semble le dire ? releva la couturière en s'agenouillant pour mesurer la longueur de ses jambes - le chat émit un miaulement vexé quand elle l'écarta d'un coup de coude. Je le dis parce que je le sais, mademoiselle. Vous devez mobiliser toutes vos armes de séduction, et un bon corset constitue la base de votre artillerie.

— Mais mes finances... tenta d'objecter miss Fairleigh d'une voix faible.

— Cessez donc de remuer ainsi, l'interrompit la couturière. On croirait que je suis la première personne à qui vous laissez voir vos chevilles.

Elle se redressa avec un soupir de satisfaction et écarta une mèche de son front.

— Voilà, dit-elle. Vos mensurations pourraient convenir pour une robe que j'ai déjà toute prête.

Il suffira d'une ou deux retouches par-ci par-là et vous aurez déjà meilleure allure.

Les mains de miss Fairleigh palpitèrent telles des colombes jusqu'à sa gorge.

— Oh, non, madame Victoire. Je ne peux pas prendre une robe destinée à quelqu'un d'autre.

— Balivernes ! Cette cliente est en retard pour le paiement de sa commande. Je serai en retard pour la livraison, voilà tout.

Sans se soucier davantage des protestations de miss Fairleigh, elle somma la domestique d'apporter « la robe de visite bordeaux ».

— Bordeaux ? releva miss Fairleigh d'un ton horrifié.

— Vous n'avez aucune crainte à avoir, assura la couturière en s'empressant de lacer son corset.

Votre papa voudrait vous voir aller de l'avant dans la vie, n'est-ce pas ?

— Oui, mais...

— Il n'y a pas de mais. Si vous voulez aller de l'avant, vous devez mettre toutes les chances de votre côté. Aucun homme n'a envie d'épouser un corbeau !

Cet échange tira un sourire à Edward, en dépit de l'élancement de plus en plus insistant de son entrejambe. Miss Fairleigh était d'une timidité si évidente que les efforts de Mme Victoire en devenaient risibles. La jeune femme était jolie comme un coeur, décida-t-il. Comme un coeur tendre qui ne demandait qu'à être ravi.

Mais un tel privilège ne saurait lui revenir, se souvint-il.

Cette mise en garde ne suffit malheureusement pas à tempérer sa fascination quand la couturière aida miss Fairleigh à passer sa toilette. Edward avait-il jamais pris la peine de regarder une de ses maîtresses se faire rhabiller ? S'il l'avait fait, il n'en avait conservé aucun souvenir. Et pourtant, peu de spectacles auraient pu rivaliser d'érotisme avec celui d'une femme réglant les jupons d'une autre, ajustant sa tournure ou faisant coulisser ses jupes dans un bruissement de soie le long de ses bras blancs, élevés dans une posture de parfait abandon.

Miss Fairleigh elle-même paraissait avoir conscience de l'inconvenance d'une telle situation.

Edward doutait qu'elle ait jamais bénéficié des services d'une femme de chambre. Mme Victoire s'employa à agrafer le bustier de la robe. Il comprimait fortement sa poitrine, mais la couturière afficha une expression plus satisfaite que jamais quand elle passa devant elle pour juger de l'effet.

— Avec un corset français, ce serait parfait, déclara-t-elle en faisant glisser ses mains depuis ses épaules jusqu'à sa taille pour illustrer son propos.

Ses mains effleurèrent les pointes de seins au passage, et bien qu'Edward fût persuadé que la pression de ses doigts ait été infime, la caresse déclencha une subite rougeur sur le pourtour des oreilles de sa cliente.

Un besoin presque irrépressible de se précipiter dans la pièce pour la serrer dans ses bras s'empara alors de lui. Mme Victoire n'aurait pas dû taquiner ainsi une jeune fille aussi pure !

Ce sursaut d'indignation n'ôta rien au fait que la vision des mains de la Française sur ce corps innocent l'avait excité. Ses poings s'étaient serrés sur ses cuisses, sa chemise était imprégnée de sueur. Il ne se souvenait pas d'avoir éprouvé un désir aussi urgent. Au point d'en trembler de tout son corps. Son souffle était douloureusement saccadé et s'il n'avait pas su la maison pleine de monde, il aurait ouvert son pantalon pour se soulager.

Mme Victoire, qui avait fini d'arranger les plis du ruche de mousseline de l'encolure, plaça sa cliente face au miroir. La mâchoire d'Edward s'affaissa en même temps que celle de miss Fairleigh.

En chemise, l'adorable fille de pasteur avait incarné la quintessence d'un fantasme de collégien.

Mais dans cette élégante toilette bordeaux, elle était époustouflante.

Elle avait tout d'une grande dame. L'agencement complexe de sa tournure semblait comme un

écho au piquant de la chair qu'elle dissimulait. Seule son expression, partagée entre émerveillement et incertitude, trahissait ses origines provinciales.

— Alors, déclara Mme Victoire en plaçant ses mains sur les épaules de miss Fairleigh. Qu'en pensez-vous ?

Celle-ci posa une main sur la taille bien prise de sa robe comme si elle craignait que la soie ne la brûle.

— J'en pense que cela m'effraye.

Mme Victoire sourit et remonta une mèche de cheveux échappée de sa coiffure. La chevelure de miss Fairleigh était parfaitement lisse et, à en juger par l'expression de la couturière, très agréable au toucher. Un frisson saisit à nouveau Edward. La jeune femme n'avait pas même notion de ce que Mme

Victoire faisait, elle ne pouvait pas deviner ce que de tels gestes sous-entendaient.

— Vous contemplez votre pouvoir féminin, dit la couturière. Un pouvoir enfin dépouillé de l'affreuse défroque noire qui en occultait la splendeur.

Miss Fairleigh releva le menton.

— Une femme ne devrait pas être puissante uniquement parce qu'elle est belle.

— Vous croyez ? gloussa la couturière avec son intonation française. Pourquoi s'en soucier ?

C'est la vie, chérie. Celle des femmes est semée d'embûches et elles doivent utiliser toutes les armes dont elles disposent pour s'en sortir. Tout comme vous, non ? Vous devez trouver un gentil mari, et si votre beauté vous permet de l'attirer assez près pour vérifier qu'il vous plaît, où est le mal ?

— J'ai horreur qu'on me dévisage, avoua miss Fairleigh.

— Bah ! s'esclaffa Mme Victoire. Je vous dirais bien qu'il faudra vous y habituer, mais votre timidité fait partie de votre charme. Comme la flamme attire le papillon, il vous suffira de rougir pour que les hommes se sentent téméraires et prêts à tout.

Sans crier gare, miss Fairleigh éclata de rire, comme si l'absurdité de son attitude venait soudain de lui apparaître. Le son qu'elle produisit résonna comme un gazouillement remontant des profondeurs de sa poitrine.

— Je ne le ferai plus ! s'écria-t-elle. À partir d'aujourd'hui, je ne rougirai plus.

Et la couturière éclata de rire, car alors même qu'elle faisait ce serment, les joues de sa cliente avaient rosi.

Edward regagna son attelage. Il était fâché contre lui-même d'être resté si longtemps, fâché

d'avoir éprouvé une telle attirance pour l'infortunée provinciale, fâché qu'Alastair Mowbry ait placé

une innocente jeune fille dans cette situation. Même si c'était probablement le souci de garantir l'avenir de la jeune fille qui avait présidé à la décision du notaire.

Mais le pire, c'était cette sensation d'avoir commis une sorte de viol. Sous ses vêtements,

Edward était encore ardent. Il suffirait que Mowbry pose les yeux sur lui pour deviner ce qu'il ressentait - tout comme Mme Victoire l'avait deviné, ainsi que la petite bonne et peut-être même les ouvrières, quand il avait traversé l'atelier pour sortir. Cela, aux yeux d'Edward, était intolérable. De par son inconvenance même, l'expérience qu'il venait de vivre aurait dû demeurer strictement privée.

Son humeur était aussi orageuse que le ciel quand il baissa la tête pour grimper dans le coupé

frappé du blason de sa lignée. Le cocher fouetta les chevaux sans attendre ses instructions.

Mowbry était assis sur la banquette opposée. Silencieux. Sachant parfaitement ce qu'Edward venait de contempler.

— Je vous ordonne de faire combler cet oeilleton dans les plus brefs délais, laissa-t-il tomber de son ton le plus sévère.

Si l'expression du notaire varia, Edward n'en vit rien.

— Il est réservé à un usage strictement privé, assura-t-il. Un jeu entre Mme Victoire et moi.

Vous êtes le premier étranger à en avoir connaissance.

Son intonation était restée neutre, dénuée de toute insinuation.

— Elle est telle que vous l'aviez dit, reconnut le comte d'une voix bourrue.

Mowbry eut la sagesse de ne pas interpréter ce commentaire comme une invitation à réitérer ses louanges au sujet de miss Fairleigh. Edward ne l'aurait pas supporté. Le notaire chassa une poussière imaginaire du chapeau melon qu'il tenait sur ses genoux.

— Qui pourrait accorder son patronage à cette entreprise, selon vous, milord ? demanda-t-il.

— Ma tante Hypatia, la duchesse douairière de Carlisle. Elle pourrait la faire passer pour une lointaine cousine de province.

Mowbry se contenta de hocher la tête, sachant que son approbation n'était ni nécessaire ni bienvenue. En dépit de sa colère, l'estime dans laquelle Edward tenait son avoué s'en trouva rehaussée d'un cran.

— Vous êtes un homme d'une profondeur insoupçonnée, Mowbry, dit-il.

Un sourire sec accueillit la mise en garde qui affleurait sous ce compliment.

— Elle vous est entièrement acquise, lord Greystowe.

Edward en conclut que l'homme avait de l'ambition, mais il n'aurait su dire si c'était de bon ou de mauvais augure.

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