Extrait

En 1933, Brassaï assista au fameux bal homosexuel du Magic-City, rue de l'Université. Il avait lieu le mardi gras, et se déroulait dans une atmosphère de joyeuse liberté. "La fine fleur des invertis parisiens s'y était donné rendez-vous, sans distinction de classe, de race ou d'âge, écrit Brassaï. Ils étaient tous là : les frégates et les corvettes, les minets et les tantes, grands antiquaires et§ petits garçons bouchers, coiffeurs pour dames et lift-boys, modistes de renom et manœuvres spécialisés, la duchesse Zoé et Notre-Dame-des-Fleurs, le baron de Charlus et le giletier Jupien et tous les Albert et tous les André, métamorphosés pour cette grande nuit en Andrée et Albertine." Les costumes étaient somptueux, chacun rivalisant d'audace vestimentaire pour se faire admirer. Plumes, colliers de perles, fleurs de camélia, fourrures et porte-jarretelles transformaient les hommes en créature androgynes. "C'était le luna-park de la Rive gauche, se souvient Daniel Guérin. (…) Les costumes étaient extrêmement savoureux : certains garçons étaient nus avec une série de grappes de raisin artificielles qui pendaient autour de la ceinture. Il y avait énormément de monde. Des centaines, voire des milliers de gens. D'un côté, il y avait des homosexuels déguisés, de l'autre il y avait le gratin des gens du spectacle, qui venaient très amicalement pour voir, pour s'amuser, pas pour déprécier. Je me rappelle un moment du bal ; j'étais en bas, près du vestiaire, la porte s'est ouverte et Maurice Chevalier est entré ; il a braqué un pistolet à fumée sur mon visage qui est devenu tout noir. L'atmosphère, vraiment, était d'une extrême gentillesse."