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-Cela vous va bien, mais... le rouge est-il le meilleur choix, vu les circonstances?

-Vu les circonstances, il s'impose.

-Je pensais bien que vous diriez ça! s'exclama la servant en souriant. Ça ne va pas plaire à vos tantes.

-De toutes façons, rien ne leurs plaît. Et puis un blanc virginal serait inapproprié, désormais.

Elena jeta un regard vers la pendule et soupira.

-Je préférerais ne pas avoir à paraître en bas. L'idée d'un de plus en leur compagnie me rebute.

-Je sais. Mais mieux vaut que vous y preniez part.

-Pour leur donner l'illusion que tout se déroule selon leurs désirs, c'est ce que tu veut dire?

- Si vous leur montrez que vous suivez la routine de la maison, ils seront moins susceptibles de nourrir des soupçons à votre égard. Ensuite, quand vous aurez conçu votre plan, ils seront pris par surprise.

[...]

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** Extrait offert par Joanna Fulford **

Chapitre 2

Quand Harry fit son entrée dans le salon juste avant l’heure convenue, don Manuel était présent, en compagnie de quatre autres personnes : deux gentilshommes grisonnants, proches de la cinquantaine, petits et plutôt corpulents, ainsi que deux dames qui formaient le reste de l’assistance. Elles étaient plus âgées, et portaient des robes noires qui, bien qu’austères, n’en étaient pas moins d’un luxe impressionnant. Si l’une et l’autre avaient jamais eu des prétentions à la beauté, ce n’était plus flagrant aujourd’hui. Et leur physique ingrat n’était en rien flatté par leur attitude hautaine et leur air sinistre. Don Manuel les présenta comme étant ses sœurs, doña Inéz et doña Urraca. Les gentilshommes, don Fernando et don Esteban, étaient des cousins.

Harry s’inclina très formellement à chacune des présentations. Doña Inéz inclina la tête en réponse et le gratifia d’un léger sourire condescendant qui ne se communiqua pas à ses yeux noirs.

— Votre présence nous honore, lord Henry. J’imagine que votre voyage jusqu’ici s’est déroulé sans encombre.

— Je vous remercie, doña Inéz. Et, en effet, le voyage s’est bien passé, répondit Harry qui avait perdu l’habitude qu’on l’appelle Henry.

Ses proches l’avaient toujours surnommé Harry.

— Je ne voyage pas moi-même, déclara-t-elle. C’est trop fatigant, et l’état des routes laisse bien trop à désirer.

Il en convint aisément avec elle. Ainsi encouragée, doña Inéz se lança dans une diatribe sur les dangers des ornières, de la poussière, des brigands et des coups de chaleur. Elle continua avec une condamnation sans appel de toutes les auberges où elle avait fait étape mais s’interrompit soudain. Harry, qui avait entendu la porte s’ouvrir, tourna la tête. Quand ses yeux se posèrent sur la personne qui venait d’arriver, il ne pensa plus à rien.

Elena avait marqué une pause sur le seuil, avec l’espoir que son assurance n’allait pas lui faire faux bond maintenant. Concha avait raison : il était important de donner le change encore un moment. Elle balaya la pièce du regard avec dégoût. Dans leurs tenues sombres, ses parents lui évoquaient un sinistre attroupement de corbeaux. Ils avaient d’ailleurs fait preuve à son égard de la même compassion que ces oiseaux pour leurs proies… Puis elle remarqua la haute silhouette à côté de tante Inéz. L’homme lui tournait le dos mais, comme la conversation s’était brutalement étiolée autour de lui, il se retourna pour en comprendre la raison.

Elle le reconnut sur-le-champ et eut le souffle coupé. Le vague coup d’œil qu’elle avait lancé par la fenêtre ne lui avait pas rendu justice. D’emblée, il donnait l’impression que tous les autres hommes présents étaient petits et rabougris, y compris son oncle. Sa large carrure mise en valeur par son costume de soirée suggérait force et énergie. Le vêtement sévère, presque austère, était parfaitement assorti à ses cheveux sombres. Son visage, qu’elle avait de prime abord trouvé frappant, était même plus que cela, comme les yeux gris froids qui maintenant l’étudiaient attentivement — avec pour résultat de curieuses sensations dans le creux de son estomac.

Le silence devint pesant. Enfin, son oncle s’avança.

— Lord Henry, puis-je vous présenter ma nièce Elena ?

Harry contemplait la silhouette svelte et élancée moulée dans la robe rouge sombre. Des cheveux d’ébène encadraient un visage dont la beauté sculpturale était accentuée par un teint qui lui évoqua l’ivoire et les roses. Ses yeux bruns étaient piquetés d’éclats couleur d’ambre et, en cet instant, chargés d’une vive émotion difficile à identifier précisément. La curiosité se mit à le titiller. Puis, retrouvant enfin ses manières, il s’inclina devant elle.

Elle lui répondit par une gracieuse révérence.

— Enchantée de vous rencontrer, milord.

— Tout le plaisir est pour moi, dit-il, parfaitement sincère.

— Puis-je vous demander ce qui vous amène à Madrid ?

Il résuma brièvement sa mission.

— Votre oncle m’a très gentiment offert son assistance, expliqua-t-il.

— Alors j’espère que ses démarches seront couronnées de succès.

— Je vous remercie, quoique, après tout ce temps, je n’ose plus entretenir trop d’espoir.

— Un espoir, même infime, vaut mieux que pas d’espoir du tout.

— Vous avez raison, bien sûr, dit-il avec un sourire désabusé. Mais laissons ce sujet pour le moment. Parlez-moi un peu de vous. Habitez-vous ici avec votre oncle, ou êtes-vous en simple visite ?

Doña Inéz s’interposa avant qu’elle ne puisse répondre.

— Ma nièce effectue simplement un court séjour ici.

En dehors de l’irritation causée par cette intervention intempestive, Harry se rendit compte qu’il ressentait quelque chose qui ressemblait à de la déception.

— Quel dommage ! déplora-t-il.

— Elle nous manquera à tous, mais c’est inéluctable, ajouta doña Inéz. Dans quelques jours, elle va entrer au couvent et commencer son noviciat.

Elena ne fit aucun commentaire, bien que ses yeux aient laissé filtrer un bref éclat de fureur, que ses paupières voilèrent rapidement.

Harry était abasourdi. L’idée même qu’une jeune femme aussi ravissante devienne nonne semblait absurde. Plus qu’absurde, c’était criminel ! Puis il se souvint que les coutumes, ici, étaient différentes. Si telle était sa vocation, elle devait la suivre. De plus, cela ne le regardait pas.

— En ce cas, dit-il, je vous souhaite tout le bien possible sur la voie que vous avez choisie.

Elena leva les yeux et il perçut de nouveau l’éclat de colère dans son regard. Impossible de s’y méprendre ! Pourtant, son expression restait impassible.

— Merci. C’est très aimable de votre part.

Son ton, bien que d’une douceur toute féminine, contenait malgré tout une inflexion ironique, et cela ne fit que piquer davantage sa curiosité. Il aurait aimé poursuivre cette conversation, mais pas en présence de doña Inéz. Par malheur, cette dernière ne semblait pas avoir la moindre velléité de s’éloigner. Cette femme se comportait telle une dueña, stricte comme si elle montait la garde auprès de sa nièce. Dieu seul savait ce qu’elle s’imaginait qu’il pourrait lui arriver dans une pièce remplie de gens !

Le dîner fut annoncé et don Manuel lui suggéra de donner le bras à doña Inéz pour l’accompagner à la salle à manger. Ses bonnes manières l’obligeaient à se conformer à ce souhait, et avec le sourire. A son grand désappointement, il se retrouva placé à côté d’elle à table. Elena prit place en face, à côté de don Fernando.

La conversation roula sur divers sujets, tous plus superficiels les uns que les autres. Chaque convive était d’une courtoisie irréprochable, et rien n’aurait pu être plus raffiné que leurs manières. Harry décela néanmoins quelque chose de tout à fait différent derrière cela, comme une sorte de tension sous-jacente. Il se persuada une fois de plus que cela ne le concernait pas, qu’il n’était revenu en Espagne que pour obtenir la preuve de la mort de Jamie. Interférer dans des affaires de famille ne faisait pas partie de ses objectifs.

Après le repas, les dames se retirèrent et les messieurs s’installèrent dans le salon pour savourer porto et cigares. La conversation s’orienta alors vers d’autres domaines. Harry écouta poliment, bien qu’il eût l’esprit plus occupé par ses recherches que par la situation politique actuelle. Ce n’est qu’à la mention du nom d’Elena qu’il accorda de nouveau toute son attention à ses hôtes.

— … et, dès que nous serons assurés qu’elle est bien entrée au couvent, je retournerai sur mes terres, dit don Fernando. J’ai des affaires à régler là-bas qui requièrent ma présence.

Leur hôte hocha la tête.

— Bien sûr, je comprends. Je vous remercie tous d’avoir pris la peine de consacrer du temps à cette affaire.

— C’était un devoir, répliqua don Fernando.

— Un devoir pour nous tous, renchérit don Esteban. Restaurer l’honneur de notre famille nous tient à cœur. Une vie de méditation et de prière rachètera le péché.

Harry suspendit son geste alors qu’il portait son verre à ses lèvres et, très intrigué, scruta don Esteban. Don Manuel intercepta son regard.

— Vous êtes sans aucun doute choqué, milord, que le terme « péché » soit évoqué à propos de ma nièce.

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** Extrait offert par Joanna Fulford **

Chapitre 1

Elena Ruiz contemplait par la fenêtre les toits de la ville et, plus loin, la campagne s’étendant jusqu’aux contreforts de la Sierra de Guadarrama qui chatoyaient dans une brume poussiéreuse. Au-delà de l’enchevêtrement de tuiles roses et de cheminées, c’était la liberté. Un mot chargé pour elle d’une signification particulière. Ses compatriotes, hommes et femmes confondus, avaient passé huit longues années dans la tourmente de la guerre de libération contre les envahisseurs français. Elle y avait pris part, de tout son cœur. A la fin du conflit, elle n’aspirait plus qu’à une vie paisible à la campagne. Hélas ! ce genre de liberté n’était pas accessible aux femmes de la noblesse. Pour elles, le choix était simple : le mariage ou le couvent.

Ses fiançailles avaient eu lieu dans une vie antérieure, alors qu’elle était une personne différente. Jeune, naïve et pleine d’espérances, elle n’avait jamais remis en question son rôle préétabli. A l’époque, la guerre semblait une chose très lointaine, qui avait fini par la rattraper, évidemment. Avec pour résultat que le mariage était désormais hors de question. Aucun fils de bonne famille ne voudrait d’elle aujourd’hui. Et quand bien même, la simple pensée de la moindre intimité partagée la remplissait d’appréhension. Les hommes ne la touchaient pas ; le seul assez téméraire pour s’y être risqué s’était retrouvé face à son pistolet chargé. Il avait fallu qu’une balle lui érafle le bras pour qu’il comprenne qu’elle ne bluffait pas. L’incident avait été suffisant pour que les autres se tiennent à distance respectueuse.

Il y avait les souvenirs, aussi. Dans la journée, des occupations utiles les contenaient mais, la nuit, les cauchemars revenaient sans cesse. Peut-être un peu moins fréquemment maintenant, mais ils n’étaient pas moins violents pour autant. Jamais elle n’en serait entièrement débarrassée. Posant les mains sur ses hanches, elle s’écarta de la fenêtre pour recommencer à faire les cent pas.

Sa compagne l’observait attentivement. Bien qu’elle ait le même âge qu’Elena, ses vêtements révélaient son appartenance à la classe des domestiques. En dépit de son teint olivâtre plutôt éloigné des canons de la mode, son visage aux pommettes hautes et son menton pointu n’étaient pas dépourvus de charme, même si sa bouche était un peu trop grande pour une beauté conventionnelle. Ses yeux sombres et expressifs pétillaient d’intelligence.

— Qu’allons-nous faire ?

— Je ne sais pas, Concha, mais nous devons nous échapper de cette maison. D’une manière ou d’une autre.

— Les serviteurs de votre oncle sont vigilants.

— Vigilants, mais pas infaillibles. Je vais bien trouver quelque chose.

— Alors mieux vaut trouver vite. Il ne nous reste que quelques jours.

— Je ne passerai pas le reste de ma vie enfermée, simplement pour me conformer au code de l’honneur de ma famille, déclara Elena.

— Si nous ne trouvons pas un moyen de nous échapper, vous n’aurez pas le choix. Votre oncle est puissant et, comme nous en avons déjà fait l’expérience, il a les moyens de se faire obéir.

C’était indéniable, songea Elena. Il n’avait pas eu le moindre scrupule pour la faire venir à Madrid contre sa volonté, et il en aurait encore moins pour mener à bien ses projets. Désormais chef de famille, il avait la responsabilité de sauvegarder la réputation de sa nièce, qui était devenue une charge, un devoir qu’il prenait fort au sérieux.

— Je vais chercher une solution, répondit-elle, comme si répéter la même chose sans cesse pouvait être efficace.

Depuis leur arrivée deux jours plus tôt, elle s’était creusé la cervelle pour tenter de mettre au point un plan réalisable. La seule personne qu’elle connaissait susceptible de l’aider était Dolorès, sa sœur bien-aimée, mais elle était mariée et établie en Angleterre. Autant dire sur la lune ! Quant à Luisa et Estefania… elles étaient disparues à jamais. Même après quatre années, leur souvenir était toujours vivace et elle s’efforçait de l’occulter, ainsi que ceux de la même époque. Le passé était révolu et, si elle ne se concentrait pas sur le problème qu’elle rencontrait en ce moment, son avenir serait aussi irrévocablement gâché.

— Au moins, vous n’êtes pas sans argent, dit Concha.

— L’argent n’est pas la question. J’en ai plus qu’assez, mais il ne me sera d’aucune utilité si nous ne pouvons pas quitter Madrid.

— Mais, quand nous partirons, votre oncle lancera des recherches.

— Nous nous en préoccuperons le moment venu. D’ici là, nous ne devons rien faire qui puisse susciter le moindre soupçon. C’est déjà assez pénible d’être retenues dans cette maison. Je ne voudrais pas me retrouver de surcroît enfermée dans ma chambre.

— Vous avez raison, déclara Concha. Mieux vaut qu’on croie que vous vous résignez à la volonté de votre oncle.

— Exactement.

Elena fit un geste vague de la main.

— Je n’ai aucun désir d’entrer en conflit avec lui ou aucun autre membre de ma famille, mais telles que sont les choses… il n’y a pas d’autre choix.

Un vacarme où se mêlaient crissements de roues cerclées de fer et martèlements de sabots se fit tout à coup entendre, et elle retourna à la fenêtre pour regarder dans la rue. Une voiture approchait. Au lieu de passer devant la maison sans s’arrêter comme elle s’y attendait, l’attelage fit halte devant la porte. A en juger d’après les chevaux couverts d’écume et la poussière sur l’habitacle, le véhicule avait voyagé longtemps. Cependant, en dépit de cette piètre apparence, c’était un bel équipage, certainement la propriété d’un gentilhomme.

Tandis qu’elle observait la scène, un serviteur sauta lestement du siège à l’avant pour ouvrir la portière et déplier le marchepied. Un unique passager descendit de voiture, un gentleman très élégamment vêtu. Il fit une pause dans l’allée pavée et leva les yeux vers la maison. Elena retint sa respiration. Ses problèmes soudain oubliés, elle resta bouche bée, frappée par le visage de l’homme. Il avait des traits fermement dessinés, avec des pommettes marquées, un nez droit et une mâchoire volontaire. Les cheveux qui dépassaient de son chapeau étaient sombres. Il semblait grand, en tout cas bien plus élancé que le serviteur qui l’accompagnait, et sa prestance était celle d’une personne habituée à commander.

Concha vint la rejoindre à la fenêtre et se retrouva aussi bouche bée.

— Dios mío ! Qui est-ce ? s’exclama-t-elle.

— Je ne sais pas. L’une des relations de mon oncle à l’ambassade, peut-être.

— Je les imaginais tous vieux et laids, mais je retire ce que j’ai pensé, sans réserves !

Elles ne purent prolonger leur observation car le visiteur entra dans la demeure et quitta leur champ de vision. Elena s’éloigna de la fenêtre. Elle devait avoir été plus remuée qu’elle ne l’aurait cru pour dévorer ainsi des yeux un parfait inconnu, elle qui ne s’intéressait aux hommes que pour leurs compétences professionnelles. De plus, dans sa situation actuelle, elle ne pouvait se permettre de se laisser distraire, même brièvement. Toute son attention devait rester concentrée sur le moyen de s’échapper.

* * *

Après avoir présenté ses lettres de créance, Harry Montague attendit dans le hall pavé de marbre. Il y faisait frais, et l’atmosphère était paisible, un changement bienvenu après les cahots de la route et la chaleur étouffante de la voiture. Il avait presque oublié à quel point le soleil espagnol pouvait être implacable. Un oubli volontaire, d’ailleurs. L’Espagne était une terre de contrastes, une terre magnifique et imprégnée de sang, associée aux plus beaux jours de sa vie comme aux pires. Quand la guerre s’était terminée, il n’avait pas imaginé qu’il y reviendrait un jour, et encore moins de son plein gré.

Le rapide coup d’œil qu’il jeta au mobilier élégant lui indiqua que l’homme qu’il était venu voir était à la fois aisé et doté d’un goût irréprochable. Qu’il soit pour autant en mesure de l’aider, cela restait à voir. Il s’était peut-être déplacé pour rien, mais il se devait d’essayer. Il l’avait promis à son cousin Ross. De plus, ce qu’il avait appris lors de leur dernière conversation était gravé dans son esprit. Jusque-là, il avait ignoré à quel point la situation financière de la famille était compromise. S’il ne réussissait pas à obtenir la preuve de la mort de Jamie… Il se redressa très vite et se reprit. Il aurait cette preuve, d’une manière ou d’une autre.

Le domestique revint vers lui.

— Don Manuel va vous recevoir maintenant, señor.

Harry fut conduit dans un salón au rez-de-chaussée, lui aussi élégamment meublé, où l’attendait son hôte. Don Manuel Urbieta était entre deux âges, ses cheveux légèrement clairsemés plus gris que noirs, comme son petit bouc bien taillé. Bien que plus élancé que la moyenne, il était nettement plus petit que son visiteur. En dépit de cela, il avait la prestance pleine d’arrogance qui proclamait son statut de membre de la classe dirigeante des hidalgos.

Après l’échange de politesses d’usage, il invita Harry à s’asseoir, et lui servit un rafraîchissement. Puis il prit place sur le siège en face de lui.

— Eh bien, milord, je vous écoute. En quoi puis-je vous aider ?

Harry hocha la tête.

— Je suis venu en Espagne pour affaires de famille urgentes. Cela concerne James, mon frère aîné. Il a servi dans l’armée anglaise pendant la guerre, et a disparu pendant l’offensive vers la France.

— Je suis désolé de l’apprendre.

— Apparemment, il aurait été emporté par le courant et se serait noyé en traversant une rivière en crue.

— Apparemment ? Comment cela ?

— Le corps de mon frère n’a jamais été retrouvé. Sa mort n’a été déclarée que par un rapport officiel. Le seul témoin de l’événement, un certain Xavier Sanchez, a disparu peu après.

— Je vois.

— J’ai mené une enquête à ce moment-là, mais la situation était chaotique, et tout était concentré sur l’offensive vers Toulouse. Personne à son quartier général n’a été en mesure de me dire grand-chose, et je n’ai obtenu qu’un récit succinct de l’accident. Quand j’ai essayé de retrouver le témoin, il avait disparu lui aussi. C’était comme se heurter à un mur.

Don Manuel le dévisagea avec la plus grande attention.

— Il me semble que vous avez des doutes sur ce sujet, n’est-ce pas ?

Harry fit un signe d’acquiescement.

— Je prends peut-être mes désirs pour des réalités, mais je me pose un certain nombre de questions, dit-il avant de marquer une pause. Tout d’abord parce que mon frère était un excellent nageur. Et ensuite parce qu’il travaillait pour les services secrets britanniques.

— Intéressant.

— Au fur et à mesure que le temps passait sans aucune nouvelle, la famille a perdu l’espoir et s’est résignée au pire. Cependant, nous avons récemment reçu une lettre d’un avocat, chargé des intérêts d’une dame qui prétend être la femme de Jamie. Cette dame a un petit garçon…

La compréhension éclaira le visage de don Manuel.

— Et ce fils est prétendant au titre s’il est prouvé que cette affirmation est légitime.

— Exactement.

— Avez-vous des raisons de mettre en doute la version de cette dame ?

— Elle pourrait être ce qu’elle prétend.

— Mais vous avez des réserves, n’est-ce pas ?

— J’essaye de garder l’esprit ouvert en raison des circonstances, mais il est essentiel que je découvre la vérité.

— C’est tout à fait compréhensible, approuva don Manuel en reposant son verre. J’ai des contacts avec l’Intelligence Service ici. Ils pourraient vous aider. Je vais voir ce que je peux faire.

— Je vous en serais grandement reconnaissant.

— Entre-temps, laissez-moi vous offrir l’hospitalité.

— C’est extrêmement généreux de votre part, mais je ne peux pas m’imposer ainsi.

— Balivernes ! Tel est mon bon plaisir. Mi casa es su casa.

— Dans ce cas, j’accepte.

— Parfait, c’est donc entendu, conclut don Manuel en se levant. Je vais vous faire préparer une chambre sur l’instant. Lorsque vous aurez pris un peu de repos après votre voyage, nous souperons.

* * *

La chambre où fut conduit Harry était spacieuse et très agréable. Il ne s’attendait pas à un tel confort, et force lui fut d’admettre qu’il était sans comparaison aucune avec ce à quoi il aurait pu prétendre dans une auberge. Après les rigueurs du voyage, ça allait être un luxe de dormir de nouveau dans un lit décent. Il se débarrassa de son pardessus et s’assit afin d’ôter ses bottines, en jetant un coup d’œil vers son serviteur, qui vidait sa malle.

— J’aimerais prendre un bain si c’est possible, Jack.

Jack Hawkes leva la tête et lui fit un signe d’assentiment.

— J’ai pensé que vous le souhaiteriez, alors j’ai pris la liberté de vous en commander un, milord.

— Merveilleux ! J’ai l’impression d’empester.

— Je dois dire qu’on a déjà senti bien pire ! répliqua Jack Hawkes.

— C’est bien vrai, dit Harry en souriant.

Il ôta une bottine, puis entreprit de s’attaquer à l’autre.

— Mais par bonheur nous ne sommes pas en campagne, et je ne dînerai pas en cette bonne compagnie avant de m’être débarrassé de toute la poussière qui me recouvre.

— Ah, c’est sûr, les routes ne se sont pas beaucoup améliorées depuis notre dernier séjour dans ce pays, hein ?

— Malheureusement pas, déclara Harry en retirant sa deuxième bottine, puis en dénouant sa cravate. Bref, nous sommes ici aujourd’hui, et s’il existe la moindre preuve de ce qui est arrivé à mon frère c’est ici qu’elle se trouve.

— Alors espérons qu’il en sortira quelque chose, milord.

Un peu plus tard, en se relaxant dans son bain, Harry pensait toujours à la dernière réflexion de son serviteur. Arriver jusqu’ici avait été pur hasard, mais il fallait néanmoins le tenter. D’une manière ou d’une autre, il ne pouvait plus subsister de doute quant au sort de son frère. Il n’avait pas réalisé jusqu’à aujourd’hui à quel point il était allé loin pour entretenir l’espoir. Si quelqu’un pouvait trouver l’information dont il avait besoin, c’était certainement don Manuel qui, jusqu’ici, s’était montré d’une courtoisie parfaite. Avec son aide, il trouverait les réponses qu’il cherchait.

Et puis il avait Jack Hawkes à ses côtés. D’ordinaire, aucun serviteur n’aurait même rêvé de s’adresser à son maître avec autant de familiarité, ou d’y être autorisé. Mais Harry était fort conscient que cet homme n’avait rien d’ordinaire. La guerre créait des liens indéfectibles et, en tant qu’ancien membre de la compagnie de Harry pendant la guerre de la Péninsule, Hawkes s’était avéré d’une valeur inestimable. A la fin du conflit, au moment de la démobilisation des troupes, il lui était resté attaché en tant que valet personnel. Harry en était heureux. Il existait peu d’hommes dotés d’une telle discrétion, et il avait toute confiance en lui, plus qu’en quiconque.

Tandis qu’il se séchait et s’habillait, il se demanda s’il y aurait plusieurs hôtes au dîner. Il avait imaginé que don Manuel était marié, mais ignorait si son épouse était toujours en vie, et si d’autres membres de la famille résidaient dans la demeure. A son arrivée, il avait cru remarquer quelqu’un à une fenêtre de l’étage, mais l’angle de vue et le reflet sur la vitre l’avaient empêché d’en être certain. Ce serait intéressant de le découvrir.

* * *

Concha finit de boutonner la robe de sa maîtresse, puis recula pour la détailler d’un œil critique.

— Cela vous va bien, mais… le rouge est-il le meilleur choix, vu les circonstances ?

— Vu les circonstances, il s’impose.

— Je pensais bien que vous diriez ça ! s’exclama la servante en souriant. Ça ne va pas plaire à vos tantes.

— De toute façon, rien chez moi ne leur plaît. Et puis un blanc virginal serait inapproprié, désormais.

Elena jeta un regard vers la pendule et soupira.

— Je préférerais ne pas avoir à paraître en bas. L’idée d’un repas de plus en leur compagnie me rebute.

— Je sais. Mais mieux vaut que vous y preniez part.

— Pour leur donner l’illusion que tout se déroule selon leurs désirs, c’est ce que tu veux dire ?

— Si vous leur montrez que vous suivez la routine de la maison, ils seront moins susceptibles de nourrir des soupçons à votre égard. Ensuite, quand vous aurez conçu votre plan, ils seront pris par surprise.

Elena songea qu’elle réussirait à se plier sans encombre aux règles domestiques. Quant au plan, c’était une autre affaire. Elle avait beau se creuser la cervelle, elle n’avait rien trouvé qui soit réalisable.

— Je ferais mieux d’y aller. Souhaite-moi bonne chance.

— Comme toujours, murmura Concha.

Elena lui pressa doucement le bras et sourit. Puis elle prit une profonde inspiration et se dirigea vers la porte.

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