Extraits

Mon nom est Rosa. J'ai un caractère pourri, je bois trop, je fume encore plus et je suis vieille. Je suis née il y a plus de vingt-quatre millénaires. Vous vous rendez compte ? Ça en fait du temps pour se rendre compte que la vie n'est qu'une suite d'emmerdes sans fin. Quant à savoir où... je ne sais plus. J'aurais aimé pouvoir dire que je suis française, ou italienne, même suisse ! Mais la géographie a tellement changé avec les différentes périodes glaciaires que je reconnais que dalle. Mon seul indice est que j'ai le type latin : brune, yeux marron. Tu parles d'une piste à suivre ! Parfois, je m'en fou car, après tout, quelle importance ? Des fois, j'ai l'impression de ne pas avoir de racines, pas d'endroit à appeler « Mon pays », pas de chez moi. C'est long vingt quatre millénaires à vivre ainsi. Si au moins, ça pouvait s'arrêter...

Car oui, je vous ai gardé le meilleur pour la fin ! Je suis immortelle. Mais attendez, y'a encore mieux. Je cumule non seulement cette malédiction, mais aussi celle de ne pas pouvoir avoir d'enfant. J'ai un esprit totem puissant, certes, mais franchement unique. Il m'interdit de me reproduire (pas de m'accoupler, encore heureux) avec tout autre Changeling. N'est-ce pas une belle ironie ? Je suis la Première de ma race. Je suis la fondatrice de notre civilisation. Pendant des millénaires, j'ai parcouru le monde pour chercher les humains ayant la capacité de devenir comme moi et je les ais transformés. Des millénaires. Jamais je n'ai trouvé d'autre Phénix-Garou, ou même n'importe quel Changeling qui soit acceptable pour mon emmerdeur d'esprit totem. J'accepterais même un Chihuahua-Garou. Mais non, il ne veut rien savoir. Alors, je suis seule. J'ai perdu espoir qu'un jour ce ne soit plus le cas. Oh, je ne suis pas en train de me plaindre, plus maintenant. C'est juste une constatation. Idem pour le fait que je descende le whisky comme un bébé son biberon. Chacun ses défauts, il faut seulement apprendre à les accepter.

Foutue pleine lune. Ça nous rendait complètement mabouls. Les femelles étaient en chaleur, les mâles surexcités... Et Loucas ne se tenait plus face à moi. C'était l'autre. Ses iris étaient d'un magnifique bleu glacier, presque transparent, la flamme de sa bête prenant complètement le dessus. Son aura s'était élargie, jusqu'à me surplomber totalement. Je pouvais presque percevoir les courbes harmonieuses du tigre de Sibérie.

Je me tournai brusquement vers elle et je croisai son regard. Sa surprise était totale. Mes yeux avaient dû virer au bleu glacier, signe que je ne me maîtrisais plus car elle s'immobilisa, inquiète. Si quelqu'un d'autre la touchait, je le tuerais. Elle dû le sentir, car lorsque je la saisis par le bras pour l'emmener plus loin, elle ne résista pas.

La suite du programme m'avait mené au « Dernier bar avant la fin du monde ». Deux heures de vol et nous y étions. Cela avait des avantages d'être métamorphe et de pouvoir se transformer en oiseau. L'accès se faisait par plusieurs entrées cachées dans Paris. C'était des routes truffées de pièges, destinés à repousser les humains non accompagnés et assurer notre intimité. Nous pouvions être nous-mêmes en ce lieu. Voilà pourquoi l'endroit, pourtant immense, était bourré comme une aire de jeu gratuite un mercredi après-midi : c'était le seul endroit, à des kilomètres à la ronde, où les C.S. de tous horizons pouvaient faire la fiesta tranquilles.

Il était comme ça Richard. Il avait l'art de vous engueuler tout en prenant soin de vous et, si on lisait bien entre les lignes, il était même capable de vous glisser un je t'aime dans une série d'insultes. Un vrai nounours, impressionnant et grognant en permanence, mais avec un cœur en or.