Extraits

- Les 47 rônins -

Aujourd'hui encore, de très nombreux Japonais vont se recueillir sur la tombe d'Asano et de ses quarante-sept rônins. Là, en mémoire de leur courage et de leur fidélité sans faille, ils font eux aussi brûler des bâtons d'encens. Et, en quittant le cimetière, la plupart d'entre eux ne peuvent s'empêcher de tremper leurs mains dans le bassin d'eau claire où fut laver la tête de Kira voilà aujourd'hui plus de trois cents ans...

- Le spectre du bonze -

Le bonze finit par se ranger aux raisons de son ancien compagnon et accepta sa proposition. Il continua à vivre dans le même quartier, mais ne chercha jamais à revoir Tajima. Parfois, cependant, il entendait parler de lui et des nombreux bienfaits qu'il accomplissait chaque jour. Alors, le vieux moine était vraiment heureux car il songeait que la phrase en laquelle il avait cru toute sa vie disait vraiment la vérité. « Et si toujours la haine fait échos à la haine, comment celle-ci pourra-t-elle s'éteindre un jour? »

- La maison de thé aux trois cordes -

Comme il grelottait à cause de ses vêtements mouillés, il décida de boire un peu de saké afin de se réchauffer. Et ce fut précisément à cet instant qu'il entendit l'escalier craquer.

Le samouraï sortit alors son épée de son fourreau. Mais il la rengaina aussitôt car la plus belle des jeunes filles venait d'apparaître devant lui. Elle se déplaçait avec une telle grâce qu'elle semblait flotter au-dessus du sol. Elle était vêtue d'un magnifique kimono de soie rouge où étaient brodées plusieurs grues prenant leur envol. Quand à son visage à l'ovale parfait, il était surmonté d'un chignon seulement retenu par une agrafe d'argent.

Cette sublime jeune fille s'avança ensuite jusqu'au milieu de la pièce et s'agenouilla tranquillement sur le sol tandis qu'elle posait à côté d'elle son shamisen, un instrument de musique à trois cordes. Ce fut seulement à ce moment qu'elle sembla se rendre compte de la présence d'un inconnu dans sa maison. Elle s'inclina alors vers lui et remplit son bol de saké qu'elle lui tendit...

UN CONTEUR AVEUGLE nommé Ho-Ichi arriva un jour aux portes d’un temple situé sur le rivage de Dan-no-ura.

Ce lieu était exceptionnel car il avait été construit à la mémoire du clan des Heike, qui avait gouverné le Japon d’une main de fer pendant une centaine d’années. Il avait ensuite été détrôné par celui des Minamoto lors d’un effroyable combat naval.

Peu après cette défaite, des choses étranges se passèrent à l’endroit même où la flotte des Heike avait disparu. En effet, les bateaux qui se risquaient dans ces parages étaient comme tirés vers le fond par des forces invisibles. Puis des feux fantômes s’allumèrent la nuit pour perdre les marins. Et, enfin, les crabes de ces eaux funestes portèrent sur leur carapace le dessin d’un samouraï mort.

Ces signes, et bien d’autres encore, effrayèrent les habitants de cette contrée et ils comprirent que le clan des Heike n’avait pas trouvé le repos. Espérant calmer leur colère, ils leur dédièrent alors un temple et édifièrent des pierres tombales portant les noms des hauts personnages du clan disparu ainsi que ceux de leurs samouraïs morts au combat.

Mais hélas, cela ne suffit pas à leur offrir la paix éternelle…

IL ÉTAIT UNE FOIS UN JEUNE SAMOURAÏ – pourtant cent fois vainqueur sur les champs de bataille – qui n’arrivait pas à se débarrasser d’un énorme rat ayant eu la malencontreuse idée de s’installer chez lui. L’affaire durait depuis des mois et l’horrible bête, non contente de s’en prendre régulièrement au garde-manger de son hôte, adorait également ronger ses meubles et parsemer de crottes les tatamis couvrant le sol de sa maison.

Bien que très habile au sabre, le samouraï n’avait jamais réussi à blesser ce rongeur indésirable et avait, en revanche, fendu en deux plusieurs de ses tables… De plus, cet animal devait être particulièrement intelligent puisqu’il ne touchait jamais à la nourriture empoisonnée cachée à son intention…

Un beau matin, le samouraï, comprenant enfin qu’il ne pourrait pas résoudre ce problème seul, se rendit au marché pour y acheter un chat. Ne voulant rien laisser au hasard, il prit son temps et regarda attentivement tous les matous à vendre.

Enfin, sur le coup de midi, il prit sa décision et en choisit un très jeune qui semblait déborder de vie et d’énergie. Il paya le marchand et retourna presque en courant chez lui tant il était impatient d’assister à la mise en pièces de son maudit rat par son nouvel animal de compagnie.

Hélas ! Il ne se passa rien de tel. Le jeune félin était si occupé à courir après sa queue ou après son ombre qu’il ne s’intéressa pas le moins du monde au rat. Celui-ci pouvait donc continuer tranquillement à tout saccager dans la maison, ce qu’il ne se priva pas de faire.

PAR UN BEAU MATIN D’ÉTÉ, une trentaine de personnes montèrent dans l’embarcation qui leur permettait de traverser le lac Biwa. Comme celle-ci n’était pas très grande, ils durent se serrer afin que tout le monde puisse prendre place à bord. Ceci fit immédiatement protester l’un d’entre eux, qui prétendit que son rang et son prestige lui autorisaient bien plus d’espace qu’aux autres. En effet, poursuivit-il, il était l’un des plus fameux samouraïs du Japon et son nom seul suffisait à mettre ses ennemis en déroute. Il ajouta ensuite qu’il était si habile au sabre et à l’arc que le nombre de ses victimes ne pouvait pas se compter sur tous les doigts des passagers présents, y compris ceux de leurs pieds.

Mais tandis que la grande majorité des voyageurs écoutaient avec respect les paroles de ce samouraï prétentieux, il en était un qui l’observait d’un air amusé. Bien sûr, cela n’échappa pas au bavard qui l’apostropha sans ménagement :

— Qui es-tu pour oser te moquer de moi si ouvertement ?

CETTE HISTOIRE, qui hante encore aujourd’hui la mémoire de tous les Japonais, commence en l’an 1701. Nous sommes à la cour du shogun(1) à Yédo, et celui-ci, comme le veut la coutume lors de chaque début d’année, a adressé ses vœux et de nombreux présents à l’empereur. Et, comme l’exige cette même coutume, ce dernier s’apprête à envoyer plusieurs délégués de sa cour chez le shogun afin de le remercier. Si cette visite est l’occasion de grandes fêtes, elle est surtout source d’énormément de tracas pour le shogun qui doit respecter des règles très strictes lors du séjour de ces prestigieux invités. Il sait bien qu’un thé qui ne serait pas servi selon les règles ou qu’un katana(2) porté à droite plutôt qu’à gauche pourraient entraîner de graves incidents diplomatiques, voire un bain de sang.

En cet hiver 1701, le shogun passe donc de longues journées à choisir ceux qui vont être chargés d’accueillir les ambassadeurs de l’empereur. Il finit par se décider et désigne deux jeunes samouraïs de sa cour. Ces seigneurs ont pour nom Asano Takumi-no-kami et Date Sakyô-no-suke. Bien que fiers d’être chargés d’une mission si importante, ces derniers sont surtout terrifiés à l’idée de ne pas être à la hauteur de cette lourde responsabilité. Le shogun, percevant leur inquiétude, leur promet qu’ils seront assistés dans leur tâche par un noble plus âgé et surtout plus expérimenté qu’eux.

Cet homme n’est autre que Kira Kôzuke-no-suke, le chambellan honoraire. Mais hélas, à Yédo, tout le monde connaît sa fâcheuse réputation. Il a en effet pour habitude de ramper plus bas que terre devant ses supérieurs et, à l’inverse, de se montrer affreusement méprisant vis-à-vis des personnes de rang inférieur. Et, pour couronner le tout, chacun sait que nul n’est plus cupide que lui dans toute la cour.