Extrait

« Claire pousse sa bicyclette jusqu’en haut du muret. Elle s’éloigne de Jamblet toute fière de son panier d’huîtres et de pétoncles.

Le petit bout de terre isolé du continent retourne hors du temps pendant la saison morte. On vit lentement. Ce paisible troupeau de cent personnes ignore l’urgence. Entre les îles de Ré et d’Oléron, on a éprouvé l’agitation de la célébrité au temps de Napoléon. Depuis, on exploite paresseusement des restes de gloire. On n’a pas beaucoup d’ambition sur l’île d’Aix. On possède davantage. (…)

Claire pourrait ne pas gagner sa vie. Fille de riches, elle a tout de même choisi de ne pas dépenser l’argent de ses parents. Son unique petit frère, victime d’une crise mystique, est enfermé. Il ne vit pas à l’asile, mais dans un monastère. Claire ne veut pas voir la différence. (...)

Il se sent mieux depuis qu’il a accosté ici, le Québécois. Le grand brun quinquagénaire ne semble pas pressé. Arrivé hors saison, on dirait qu’il ne s’en ira plus. Au départ, les Aixois ont conclu au rentier.

Olivier Genest vit seul.

Le regard noyé dans la mer, il cultive si bien son secret qu’il arrive parfois à l’oublier. Au loin, Fort Boyard continue sa vie de star. Heureusement, sa gloire ne déborde pas jusqu’ici. (…)

Dans le soleil de fin d’après-midi, seul dans sa barque, son vieil ami Bono pêche la crevette. »